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C’est pas le pied

 

Décapode pourtant

 

 

Pauvre écrevisse que tant de vilains viennent tourmenter. Elle qui espérait couler des jours heureux dans sa rivière subit tant et tant d'agressions qu'elle ne sait plus où donner de la pince. C'est vraiment une vie de chien pour celle qui marche en arrière, sachant que son avenir est dans son dos et qu'il est fort probable qu'elle risque d'une manière ou d'une autre de finir à la casserole. C'est l'une d'elle justement qui exprima tout son dépit en m'interpelant sans rire, après l'une de mes facéties aux dépens de ceux de son espèce.

Reprenons le cours des choses par un retour en arrière, ce qui en l'occurrence s'impose avec notre amie. Tout avait commencé par la faribolerie : « Tout au fond de mon jardin  », la cabane qui s'y dressait était une tinette dont les offrandes achevaient leur parcours dans la rivière Loir. Si la pratique est condamnable, elle s'inscrivait alors dans une manière de faire qui ne choquait personne.

​​

 Nous avions remarqué qu'à quelques pas en aval, en posant des balances, nous prenions de merveilleuses écrevisses, grasses à souhait que nous nous empressions de dévorer avec délectation. Assez curieusement, plus nous mangions d'écrevisses, plus nous nous rendions dans la cabane du fond du jardin ce qui venait alimenter les pêches suivantes. Ainsi nous avions créé une chaîne sans fin mais avec gourmandise…

C'est en entendant ces horreurs et surtout les rires des quelques spectateurs qu'une vénérable écrevisse monta sur ses grands chevaux et sur la terre ferme afin de me signifier toute l'indignation que provoquaient au fond de l'eau mes propos insanes. D'une pince vengeresse, la dame outragée me fit grande réprimande et tint à débattre avec moi. Je vais tenter de vous rapporter fidèlement cet échange tenu en langue des signes.

Le crustacé fut dans un premier temps très véhément, accusant ceux de ma famille d'avoir souillé sans vergogne son domaine. Par honnêteté, l'animal ajouta qu'étant d'une nature détrivore, nos excréments n'étaient pas de nature à la contrarier, ce qui n'était pas le cas des pollutions industrielles et chimiques qui vinrent leur pourrir l'existence.

Je ne pus que la remercier pour sa franchise et sa lucidité. Le décapode agitait toutes ses pattes en tous sens, tant il avait de choses à vouloir me dire. J'avoue n'avoir pu saisir qu'une infime partie de son discours. Il était sorti des flots pour se faire le porte-parole d'une espèce gravement menacée et qui plus est, envahie par des visiteurs lointains, venus sans papier de Louisiane. Je dus lui demander de signer moins vite…

Ce n'est pas, me dit-elle, parce que notre repas est constitué de différents restes, que nous jouons le rôle des éboueurs de la rivière qu'il faut nous traiter comme des rebuts dont il convient de ne pas tenir compte. Vous les humains avez fort mal agi et je vous le reproche amèrement alors que nous sommes par ailleurs victimes de tant de prédateurs. La liste est fort longue de tous ceux qui se repaissent de nous. Une multitude d’animaux profitent notamment de la délicate période de notre mue pour nous croquer. Parmi eux de nombreux poissons : carpes, brochets, des oiseaux aquatiques : héron, balbuzards-pêcheurs et des mammifères comme la loutre, le ragondin.

Alors si l’homme se régale de sa chair tendre et raffinée quel espoir nous reste-t-il d'autant plus que nous sommes capables de nous entre-dévorer nous-même car j'ai honte de l'avouer, nous sommes cannibales ! Est-ce la raison du malheur qui ne cesse de s'abattre sur nous, une forme de malédiction divine qui nous condamne à la disparation ou pire encore, à périr ébouillantées vivantes dans vos marmites pour finir, ironie suprême en sauce à la nage ?

Je ne demande pourtant pas grand-chose pour vivre heureuse. Une eau douce et saine dans des rivières, canaux, lacs, étangs, barrages à l'écart des pollutions. J'ai besoin d'une eau bien oxygénée sur un sol ferme, sans cette maudite végétation si dense qui gagne actuellement avec l’euphorisation des rivières. J'aime les rives escarpées où je creuse des trous profonds ainsi que les endroits jalonnés de souches, pierres et autres abris. Autant d'habitats dont vous faites sorte de me priver par égoïsme et vanité.

Si je me meus en arrière par petits bonds en claquant fortement de la queue contre la partie inférieure de mon corps, c'est pour ne pas regarder la réalité en face. Vous m'avez rendu la vie impossible et je vous en veux. Même je suis capable de parcourir des kilomètres après avoir stocké de l'eau dans mes branchies afin de respirer sur la terre ferme, je ne parviens plus à trouver un coin vivable. Vous voulez ma mort et c'est celle des rivières que vous obtiendrez. Vous en serez alors les premières victimes mais il sera trop tard pour votre espèce aussi.

L'écrevisse s'en retourna dans les flots. Je ne savais quoi lui répondre, les bras m'en tombaient devant un tel réquisitoire. Je me fis un devoir de vous transmettre ce message, doutant évidemment que les véritables responsables accordent le moindre crédit aux propos d'une malheureuse écrevisse. Qu'importe ces misérables, de toute manière, nous non plus n'attendons plus rien d'eux.

À contre-sens.


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19 réactions à cet article    


  • zygzornifle zygzornifle 15 août 2023 08:08

    La pauvre, souhaitons qu’elle ne croise pas le chemin de De Rugy

    comme son grand frère le homard .....


    • C'est Nabum C’est Nabum 15 août 2023 08:13

      @zygzornifle

      L’écrevisse contrairement au homard ne rugit pas


    • charlyposte charlyposte 15 août 2023 13:35

      @C’est Nabum
      * OMAR M’A TUER * me souffle le Rugysseur !


    • Fergus Fergus 15 août 2023 10:37

      Bonjour, C’est Nabum

      « celle qui marche en arrière »

      Heu... non. Grand pêcheur d’écrevisses dans mon enfance en Auvergne (à la main et par des moyens empiriques), je peux vous l’assurer : ce crustacé marche en avant comme vous et moi, mais nage en arrière !


      • Fergus Fergus 15 août 2023 10:47

        Pour le reste, amusant billet.
        A propos de « moyens empiriques », j’évoque notamment l’usage  je n’ai jamais pêché avec des balances, trop facilement repérables par des garde-pêche — de buissons de genévrier jetés dans la rivière après que l’on ait placé dans le fouillis végétal des morceaux de gras de mouton afin de les appâter et de les piéger. Une technique rudimentaire complémentaire à la pêche à la main, nettement plus efficace que tout autre procédé. 


      • charlyposte charlyposte 15 août 2023 13:41

        @Fergus
        Tout ce qui est facile sera bientôt interdit smiley seul le QR-CODE pourra pêcher sans leurre et sans filet !!! hum smiley


      • C'est Nabum C’est Nabum 15 août 2023 14:05

        @Fergus

        Merci de la précision


      • charlyposte charlyposte 15 août 2023 14:10

        @Fergus
        En arrière comme MAC Macron ?


      • olivier cabanel olivier cabanel 18 août 2023 08:27

        @Fergus
        pourtant j’ai constaté la marche arrière de l’écrevisse : pour la capturer, je mettais mon panier derrière elle, et elle y allait tout droit !


      • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 18 août 2023 09:00

        @olivier cabanel
         
        ’’@Fergus
        pourtant j’ai constaté la marche arrière de l’écrevisse : pour la capturer, je mettais mon panier derrière elle, et elle y allait tout droit !
        ’’
        >
         cette écrevisse faisait rien que calomnier Fergus.
        La salope !
         


      • juluch juluch 15 août 2023 13:25

        Il y en a de moins des écrevisses....j’en ai bien mangé aussi !!!


        • charlyposte charlyposte 15 août 2023 13:44

          @juluch
          Ça se mange ?


        • C'est Nabum C’est Nabum 15 août 2023 14:06

          @juluch

          Elles nous viennent d’ailleurs désormais


        • mosel 15 août 2023 18:38

          L’écrevisse et sa fille

          Mère écrevisse un jour à sa fille disait : « Comme tu vas bon Dieu ! ne peut-tu marcher droit ?

          Et comme vous allez vous-même !dit la fille.Puis-je autrement marcher que ne fait ma famille.

          Veut-on que j’aille droit quand on y va tortu, »Elle avait raison ; la vertu De tout exemple domestique est universelle et s’applique

          En bien,en mal, en tout ;fait des sages,des sots ;

          Beaucoup plus de ceux-ci.Quant à tourner le dos

          A son but,j’y reviens ;la méthode en est bonne ; Surtout au métier de Bellone ;

          Mais il faut le faire à propos. 

          JEAN DE LA FONTAINE


          • C'est Nabum C’est Nabum 15 août 2023 19:10

            @mosel

            Laissons Jean et sa fontaine, je suis Nabum de la Rivière


          • Xenozoid Xenozoid 15 août 2023 18:49

            Qu’importe ces misérables, de toute manière, nous non plus n’attendons plus rien d’eux.

            il y n’y a qu’une ecrevise pour croire un instant,etre un con sur la lune

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