Le moteur prend l’eau
L’aventure c’est l’aventure.
La veille, j’avais reçu un message de monsieur l’appariteur : « Peux-tu nous aider à installer le moteur sur le futreau de G... ? ». L’homme est un marinier de Loire, propriétaire d’un bateau en bois sur le quai d’Orléans. Il est également l’heureux propriétaire d’une si somptueuse cave qu’il est bien délicat de refuser ses invitations y compris quand il faut mettre la main à la pâte. C’est donc avec empressement que j’acceptai la proposition.
Le lendemain, à l’heure dite j’attendais mon chauffeur. L’homme était en retard, je m’en inquiétais quand soudain le ciel s’obscurcit et lâcha des hallebardes venues des cieux. Un déluge brutal, violent qui me contraignit à me réfugier à l’abri. Hélas, mon ciré, vêtement indispensable dans pareille circonstance était rangé dans le coffre de mon deux roues, garé à l’extérieur. Je tentai l’aventure de le quérir et en fus quitte pour me retrouver mouillé de la tête aux pieds avant que d’enfiler l’imperméable salvateur.
C’est ainsi que je montai dans le véhicule de mon camarade qui se transforma dans l’instant en une cabine de Sauna. Comme l’eau du ciel tombait toujours avec la même vigueur, les marins d’opérettes déchantaient dans un habitacle coupé du monde extérieur. Nous dûmes attendre que le désembuage fut enfin efficace pour affronter le flot de la circulation, lui même fort ralenti par les précipitations transformant la route en succursale de la Loire.
Enfin, nous arrivâmes à bon port, sous une pluie battante qui contrariait notre dessein. Nous trouvâmes refuge dans la cave de notre camarade, un endroit à l’abri comme vous pouvez vous en douter. Ce fut un crémant d’Alsace qui s’offrit aimablement en sacrifice pour nous permettre de laisser passer la nuée. Il n’est pas prudent d’avoir la gorge sèche pour affronter une atmosphère forcément saturée en humidité. Nous agissions ainsi avec raison et prudence.
Le ciel enfin calmé, nous pouvions nous mettre en action. Charger un moteur hors bord dans une petite voiture urbaine n’est pas chose aisée. Nous y parvînmes non sans mal et quelques douleurs dorsales, prestige de l’âge sans doute et conséquence de l’humidité ambiante. La joyeuse troupe pouvait se rendre sur le quai pour remplir sa mission. Il n’est pas besoin de vous dire que dans les circonstances évoquées précédemment, la foule habituelle avait déserté la promenade préférée des orléanais.
Les bateaux ne sont pas à quai, ils font trop fréquemment l’objet de visites hostiles et parfois destructrices. Il convient de les éloigner des indélicats, ceux qui aiment à laisser bouteilles vides et immondices derrière leur passage et parfois, traces commémoratives de leur ivresse destructrice. C’est donc sur un quai flottant, à distance suffisante de la rive pour refroidir les ardeurs des malotrus, que la flottille de cette association est rangée.
Le premier exercice consistait à tenter à l’aide d’un grappin de saisir à la manière d’un vacher un élément du quai afin d’établir un contact avec l’inaccessible. Ce fut après des tentatives aussi maladroites que vaines que nous finîmes par accrocher un bout. C’est donc en équilibre instable que nous franchîmes le premier obstacle. Personne n’était tombé à l’eau, il y a du progrès !
Puis ce furent les préparatifs pour libérer le fûtreau, le vider aussi de toute cette eau tombée du ciel qui avait curieusement arrêté sa course sur son pont. Fort heureusement, nous étions trempés, ce petit désagrément nous parut bien ridicule. L’écope en main, les Shadocks pompèrent, ce qui les dissuada sans doute de boire de l’eau par la suite …
Ce fut alors la descente du moteur à bord. Sur des marches de pierres glissantes et pentues, irrégulières et parfois incomplètes, nous avions l’air patauds et malhabiles. D’autres diront que c’est exactement ainsi que nous sommes en temps ordinaire, laissons les dire avec un haussement d’épaules. Après bien des difficultés, le moteur trouva enfin sa place dans le puits destiné à le recevoir. Nous n’avions rien cassé, un autre miracle en somme.
Le moteur a besoin de sa nourrice, une marque sans doute de son immaturité chronique. C’est d’ailleurs par une série de rôts pitoyables qu’il accueillit les premières tentatives d’établir le contact avec lui. Le pauvre se trouvait noyé alors que nous avions vidé l’eau de son habitacle, il n’était vraiment pas bon compagnon. Malgré notre état pitoyable, nous ne renonçâmes pas et le récalcitrant finit par tousser ce qui ne nous surprit guère compte tenu de la fraîcheur d’une atmosphère devenue soudainement automnale. Par la suite, nous découvrîmes que rafraîchissement était également dans les relations humaines, quand un bateau nous croisa sans un regard ni un signe amical.
Nous nous offrîmes un petit tour de Loire pour récompense des efforts consentis. Cela nous mit en appétit et nous nous dépêchâmes de retourner vers la cave salvatrice. La suite se passe de récit. Il convient de ne jamais pousser le bouchon trop loin. Le moteur avait prit l’eau, nous célébrâmes le vin de Loire pour honorer son retour à la vie.
Parcimonieusement vôtre.
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