• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Culture & Loisirs > Parodie > Assurance tout risque

Assurance tout risque

 

Et Dieu, reconnaîtra les siens

 

Nous sommes le 4 janvier 1709, c'est le jour de l'épiphanie et chacun tire les rois pour honorer la venue de Melchior, Gaspard et Balthazar auprès de l'enfant dans son étable. Si ceux-là ont suivi l'étoile du berger, c'est l'étoile polaire qui brille de mille éclats qui vous glacent le sang. Les vieux avaient prévenu : « Les oignons ont beaucoup de peau, l'hiver sera rude ! »

Pourtant ce jour-là un beau soleil brille sur le ciel ligérien. Un froid sec et ensoleillé, n'arrête pas le marinier, d'autant que la rivière est afflot. Juste le temps de s'arrêter dans une taverne pour boire une chopine et manger le fameux Pithiviers feuilleté qui fait la fierté de la région. Tous, non … Il est un mécréant irascible, un drôle de paroissien qui se refuse à participer à toutes les bondieuseries. C'est le gars Achille, un voiturier d'eau qui reste sur son bateau mais laisse ses deux compagnons rejoindre le gros de la troupe.

Le soleil est couché, la navigation n'est plus permise. Achille boit un coup d'Arquebuse pour se remonter le moral qui n'est pas fameux. Il sent que le temps va tourner vilain. Il ne se trompe guère, les hommes ne sont pas sitôt rentrés de leurs libations qu'il gèle à pierre fendre et ça va durer tout un mois, même si deux ou trois jours de pluie, apportèrent un espoir vite refroidi.

La Loire deux jours plus tard, se charge de fleurs de glace qui s'entrechoquent en un vacarme lugubre. Chacun pressent que l'embâcle va advenir. On s'active auprès des chalands et des fûtreaux pour leur épargner les meurtrissures de la glace, on décharge ce qui peut être mis à l'abri dans des entrepôts, on repousse les amas de glace qui se forment déjà contre les coques.

Comme si tout ça ne suffit pas, les marins s'en vont à tour de rôle, allumer un cierge devant un de leurs saints patrons. « Une bonne assurance avec le ciel est recommandée dans cette corporation et comme la police est gratuite, autant multiplier les intermédiaires ». Ces propos blasphématoires sont de la bouche d'Achille, qui se sent invincible. Il ne participe d'ailleurs pas à la fête traditionnelle de la Saint Nicolas qui se moque du calendrier pour se dérouler en septembre dans son pays. Ce comportement l'exclut du vote pour désigner le syndic des bateliers et de ça aussi il n'a cure !

Bien vite, le froid se fait si fort que l'hiver 1709 fera son entrée dans le palmarès des calamités climatiques. L’embâcle est impressionnant, les embarcations qui n'ont pas été mises à l'abri dans des petits affluents explosent littéralement sous la pression des glaces. C'est la désolation pour tous ces professionnels qui voient disparaître leur gagne-pain tandis que sur terre, les cul-terreux sont eux aussi accablés par la glaciation de la nature.

Chacun d'implorer les cieux pour que cette malédiction cesse. Une procession est organisée dans chaque paroisse et en dépit d'un froid sibérien, les prêtres n'hésitent nullement à sortir les reliques pour obtenir les faveurs du ciel. Toutes ces manifestations de piété finissent par émouvoir le grand architecte qui accepte enfin de régler le thermostat.

Le dégel appelé par toutes ces prières unanimes (à l'exception d'Achille) donna un résultat spectaculaire, dépassant largement leurs espérances. Ce fut un dégel brutal, violent, une débâcle comme on en vit rarement dans le pays, une vague furieuse balayant tout sur son passage en emportant le peu de ce qui avait échappé aux dents de la glace.

La marine de Loire était à genoux, la flotte avait été anéantie et chacun de se lamenter sur son sort tandis que celui des autres, n'était pas plus enviable. La disette menaçait, la terre avait supporté de plein fouet ce gel sans fin qui détruit tout. Pourtant, il fallut relever la tête, survivre tant bien que mal et se remettre à l'ouvrage.

L'importance de la marine de Loire pour l'économie du Royaume provoque un vaste mouvement de solidarité. Guildes et confréries, aidées par la puissante organisation Marchands de Loire mettent en œuvre un vaste chantier partout sur les rives de la rivière pour construire de nouveaux chalands. C'est un impératif vital pour une économie exsangue.

Rapidement, des chantiers navals, des embarcations sont mises à l'eau. Les mariniers ne lésinent pas, échaudés qu'ils ont été par cette eau glacée, pour se concilier les forces surnaturelles et la divine providence. Les prêtres baptisent les nouveaux bateaux, c'est une garantie qui ne se refuse pas.

Quand le tour d'Achille arrive, qu'il a le bonheur de retrouver un chaland flambant neuf, fidèle à ses convictions, il refuse l'onction divine. « La seule eau que mon Chat noir recevra sera celle de la rivière ! » Ce diable de bonhomme avait donné un nom diabolique à son nouveau chaland, pour marquer sa différence. Le curé en fut horrifié, jamais on n’avait ainsi repoussé son goupillon. Il menaça le marinier des foudres du très grand et Achille éclata de rire.

Deux ans plus tard, en février 1711, la Loire se mit à grossir soudainement comme elle avait pris l'habitude de le faire, ces dernières années. Octobre 1707, juin 1709, novembre 1710 et maintenant février 1711, la diablesse ne cessait de jouer vilain tour aux riverains leur mouillant les arpions plus souvent qu'à leur tour. Mais tout ceci n'était que la contrepartie d'une rivière qui apportait alors richesses et limons, chacun faisant en sorte d'anticiper ses colères sans jamais bâtir là où elle prenait souvent ses aises.

C'est justement en cette nouvelle colère de dame Liger que le brave Achille mettait à l'eau son nouveau bateau. Ayant refusé l'onction du prêtre, il n'y avait pas foule sur le quai pour assister au départ de ce « Chat noir » qui avait fait beaucoup parler dans le pays. Une dernière fois avant qu'il ne soit trop tard, le curé est venu avec son eau bénite, un geste symbolique certes mais ô combien précieux pour les clients.

Achille était borné, il resta sur ses positions. C'est du moins ce qu'il pensait tandis que la Loire elle-même, vint apporter sa réponse à ce qu'elle prit pour un sacrilège. Dans un accès de fureur, la rivière emporta le bateau mécréant et son batelier impie. Le Chaland n'était pas armé, l'aventure allait tourner au drame.

C'est ce qu'il advint, inévitablement, au premier pont qui croisa sa route. Que le bateau fou se fracassât précisément sur la croix Saint Nicolas confirma à tous que Dieu venait de punir le méchant homme. Que l'accident ait eu lieu à Beaugency informa chacun de la destination de l'âme du pauvre Achille. Cette fois, le diable n'avait pas reçu monnaie de singe, il tenait là son client.

On ne retrouva jamais le corps du malheureux mais les enfants, en bons petits diables, récupérèrent le bois de l'épave afin de faire un grand feu de joie. Ainsi la messe était dite et de ce jour, jamais un marinier n'aurait lancé un nouveau bateau sans un bon coup de goupillon.

À contre-feu


Moyenne des avis sur cet article :  4.33/5   (3 votes)




Réagissez à l'article

12 réactions à cet article    


  • Clark Kent Séraphin Lampion 11 juillet 2022 09:51

    « Deux ans plus tard, en février 1711, la Loire se mit à grossir soudainement comme elle avait pris l’habitude de le faire, ces dernières années. « 

    C’est à l ’« effet de serre » qu’on attribuerait aujourd’hui ce changement climatique. Mais comme les activités humaines n’avaient pas recours aux énergies fossiles, c’est la colère de Dieu qui expliquait tout. On n’a guère avancé, en fait : on trouve toujours un coupable pour expliquer ce qu’on ne comprend pas.


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 11 juillet 2022 11:24

      @Séraphin Lampion Sauf que si par hypothèse, Dieu était dans le coup pour les catastrophes et la pandémie, il ne peut être coupable puisque qu’il est en position de juge...


    • Clark Kent Séraphin Lampion 11 juillet 2022 12:01

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      Responsable, peut-être ? 
      Sinon, il contrôle quoi, ce mec ?


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 11 juillet 2022 12:35

      @Séraphin Lampion quand l’homme fut créé au septième jour, dieu s’absente et laissa à l’homme son libre-arbitre. Mais quand une civilisation est dans l’hubris (se croire être Dieu et avec le tranhumanisme, immortel), il intervient comme avec la Tour de Babel.... Nous somme une année 22. Et au tarot (torah,...) , c’est la carte du fou ou TAV (la vérité, mais aussi l’apocalypse). Bon il y a eu plusieur apocalypses dans l’histoire et certains ont survécu : Sem, Japhet et Cham. Pour recommencer les même conneries... titre sur Agora.vox : la France est en état de mort clinique. Nous y sommes...


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 11 juillet 2022 12:39

      @Séraphin Lampion Dieu, cela peut-être aussi l’inconscient collectif (Jung) qui a décidé de se suicider... ou finir le travail d’Hitler (lire Christian Nots)...


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 11 juillet 2022 12:47

      @Séraphin Lampion il y a trois nombres sacrés : 11-22-33. 


    • C'est Nabum C’est Nabum 12 juillet 2022 07:32

      @Séraphin Lampion

      Vous faites grave erreur

      C’est la déforestation massive des Cévennes et de la Lozère qui expliqua alors ces crues démentielles

      L’industrie réclamait du bois alors


    • juluch juluch 11 juillet 2022 11:13

      comme quoi faut pas tenter le diable....ça ne réussit pas !!


      • C'est Nabum C’est Nabum 12 juillet 2022 07:33

        @juluch

        Moi à qui l’on donne le diable sans excommunication, j’aime à le tenter 


      • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 11 juillet 2022 11:25

        On parle de 144 000 élus. Très bien. Mais quel sera leur sort ?

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité