De curieux indiens sur le pied de guerre
Contes et mécomptes.
Comme chaque année, les membres de l’Atelier Contes de l’Université du Temps libre se réunissaient à la Brasserie de l’Indien, à la Source afin de proposer aux amis et aux clients de passage, le résultat de leur année de travail. C’est toujours un moment émouvant pour ceux qui débutent dans l’activité de se trouver ainsi confrontés pour la première fois à un véritable public. Les gorges sont serrées, l’appréhension grande juste avant de se lancer dans l’imaginaire.
Notre lieu de représentation se nomme ainsi car juste à côté se dresse une magnifique statue métallique d’un chef Indien sur le pied de guerre, plumes au vent et regard belliqueux. C’est un cadeau de la ville de Wichita, cité jumelle d’Orléans pour commémorer la participation d’un bataillon venant des plaines de l’ouest lointain à la délivrance d’Orléans en août 1944.
Jusqu’alors, notre indien s’était toujours parfaitement comporté, restant de marbre en dépit de sa composition, essuyant parfois quelques bombes de couleur, il savait rester stoïque tout en faisant honneur à la réputation de sagesse des amérindiens. Mais voilà que ce soir-là, il en alla tout autrement ...
Par quel étrange mystère le grand chef silencieux fit-il appel aux guerriers de sa tribu ? Nul ne le saura jamais mais toujours est-il que de partout, du quartier comme du cheval vapeur électrifié depuis peu, des hordes de jeunes peinturlurés convergeaient vers la terrasse placée devant la statue. Ils étaient tous, manifestement sur le pied de guerre, leur visage couvert de marques jaunes et rouges, pour certains harmonieusement tracées, pour d’autres, étalées dans la plus parfaite anarchie.
Pour être certains de se reconnaître, ils avaient tous revêtus des écharpes aux mêmes couleurs en dépit d’une chaleur estivale. Sans doute pour contrebalancer cette incongruité vestimentaire, hors de saison, ils buvaient de l’eau de feu de manière déraisonnable. Les uns prétendant que c’était pour se donner du courage avant d’aller mener bataille contre un ennemi qui jusqu’alors, n’avait pas donné signe de vie, les autres prétextant un besoin d’hydratation pour assouplir des cordes vocales déjà à rude épreuve.
Ils avaient sans doute croisé un troupeau de bisons, car les uns étaient équipés de cornes munies d’un curieux dispositif pneumatique afin de faire grand vacarme quand les autres beuglaient à tue-tête, cherchant sans aucun doute à imiter le mâle en rut dans le vain espoir de séduire quelques femelles isolées ; l’ensemble était si effrayant que je doute qu’ils avaient la moindre chance d’arriver à leur fin.
Plus ils étaient nombreux à se regrouper devant l’Indien, plus le bruit devenait assourdissant. Ils répétaient curieusement des chants de guerre communs à toutes les tribus analogues que l’on peut croiser de par le vaste monde. C’est à croire que tous les guerriers exaltés aiment à partager une culture sommaire, des chants furieux et jamais mélodieux qu’ils pensent agréables de brailler au rythme des canons qu’ils avalent sans modération.
Évidemment pour les conteurs, la mesure était pleine tout autant que leurs oreilles. C’est tout juste si à l’intérieur de la brasserie, on pouvait entendre celle qui tentait de raconter une histoire. Naturellement, il était strictement impossible d’aller demander un peu de calme à ces drôles d’oiseaux déplumés. Ils avaient investi le terrain avant de fouler en bande la vaste prairie sur laquelle se déroulera le combat rituel.
Car ces maudits exaltés allaient se poser dans une tribune pour assister à une bataille sacrée opposant deux groupes de onze guerriers chevronnés sous les hurlements de la troupe alcoolisée. Il est possible qu’une autre horde, peinte de couleurs différentes, semait le même désordre en un autre lieu sinistré. L’heure de la rencontre rituelle approchant, l’effrayante horde laissa la place dans un silence retrouvé.
Les conteurs purent poursuivre. La folie était passée par là. Les oreilles des spectateurs bourdonnèrent encore longtemps tandis que tous s’interrogeaient sur la santé mentale de ces individus sur le sentier de la guerre. Le grand Manitou ne doit pas être fier de tels fidèles qui curieusement ici sont appelés supporters. J’avoue ne pas avoir supporté cette exécrable cohabitation qui s’avéra totalement impossible. Car voyez-vous, ces aliénés en liberté ignore souverainement le monde qui les entoure.
La place vide, le chef Indien retrouva sa quiétude et tendit l’oreille pour nous écouter. Lui au moins, est un véritable sage. Les bisons s’en étaient allés, le temps était revenu de raconter des histoires …
Bruyamment leur.
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