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Histoire géopolitique de la Coupe du Monde : Episode V - 1954, le Miracle de Berne

L'invincible Aranycsapat hongroise du virtuose Ferenc Puskas, invaincue depuis 1950, se fracasse en finale contre le mur de la réalité, avant les tragiques évènements de la Toussaint 1956 et l'invasion de Budapest par les chars osviétiques. A l'inverse, pour l'Allemagne fédérale, le miracle de Berne signe le retour d'un pays marqué au fer rouge par le nazisme et sa responsabilité dans la Seconde Guerre Mondiale. La RFA retrouve par ce succès une place dans le concert des nations, trois ans avant le Traité de Rome créant la Communauté Economique Européenne avec l'ancien ennemi français ...

En 1954, la Suisse, rare pays neutre en Europe durant le conflit mondial (avec l’Espagne franquiste), accueille le tournoi, à domicile pour la FIFA donc. L’or nazi volé aux juifs dort encore au chaud dans les coffres forts des banques de Berne, Genève et Zurich, à moins qu’il ne soit au fond du lac Töplitz en Autriche, avec des faux billets conçus par les Allemands durant l’opération Barnhard pour détruire l’économie britannique. L’année 1953 a été marquée par deux évènements : la mort de Staline en Union Soviétique, et le fait que l’U.R.S.S. dispose comme les Etats-Unis de la bombe H, la force ultime de dissuasion nucléaire. Sur le plan du football, l’Angleterre cède 6-3 le 25 novembre à Wembley face à l’Aranycsapat hongroise, véritable épouvantail mené par un gaucher prodigieux, Ferenc Puskas. A l’occasion de sa cinquantième sélection en 1953, le Major Galopant, surnommé ainsi pour son grade dans l’armée hongroise, s’était vu offrir par le régime communiste un tapis persan et des couverts en argent pour douze personnes. L’hiver venu, Puskas et ses coéquipiers, les Czibor, Bozsik, Hidegkuti, Kocsis et autres Grosics, se reposaient au large du lac Balaton. A l’approche du tournoi suisse, l’Angleterre réclame sa revanche, au Nepstadion de Budapest le 23 mai 1954. La foudre s’abat une deuxième fois sur les Three Lions  : 7-1 pour les Magyars, Goliath a de nouveau écrasé David. Après la revanche, il n’y aura pas de belle, l’Angleterre a compris, même si le Wunderteam autrichien et la Squadra Azzurra italienne avait failli créer l’exploit respectivement en 1932 et 1934 : défaite de l’Autriche 4-3 à Stamford Bridge le 7 décembre 1932, revers de l’Italie 3-2 le 14 novembre 1934 à Highbury. Personne ne semblait donc pouvoir s’opposer à l’insolente facilité du onze d’or magyar, qualifié plus que facilement par forfait de la Pologne ... Bien qu’invincible, la Hongrie a été encore plus chanceuse que la Turquie, qualifiée par tirage au sort après un match d’appui s’étant terminé 2-2 après prolongations à Rome, face à l’Espagne … La Hongrie, invaincue depuis 1950 et championne olympique en 1952 aux Jeux Olympiques d’Helsinki, marche sur l’eau, prête à apposer son sceau sur le tournoi suisse avec une rare violence. Le onze d’or démarre sur les chapeaux de roue en Suisse : 8-3 devant l’Allemagne, 9-0 face à la Corée du Sud, alors que les Français suivent le tournoi par le biais de la télévision. A Paris, la foule se masse salle Pleyel dans le VIIIe arrondissement de Paris, ainsi qu’au collège Arago situé place de la Nation et dans le hall de la compagnie aérienne TWA sur l’avenue des Champs-Elysées, profitant des tubes cathodiques disponibles. Punching-balls, figurants, les rivaux des Hongrois sont surclassés par tant de maestria : Brésil et Uruguay sont chacun dominés 4-2 par l’Aranycsapat. L’équipe atteint la quadrature du cercle, tirant la substantifique moelle du talent de ses joueurs mais surtout d’un esprit collectif sans égal. Le seul bémol est la blessure du capitaine Ferenc Puskas, qui revient pour la finale de Berne face à la RFA. La Mannschaft a battu l’Autriche 6-1 en demi-finale, mais se retrouve vite menée 2-0 sur la pelouse du Wankdorf, mais la RFA égalise vite à 2-2. Le miracle de Berne va alors s’accomplir : pluie, potentiel de Puskas bridé par sa blessure, tirs des Hongrois sur les poteaux … Proche de son soleil d’Austerlitz, la Hongrie se noie dans la mer Egée tel Icare qui a vu ses ailes de cire fondre près du dieu Phoebus. L’ancien champion du monde 1954 et milieu de terrain allemand Horst Eckel explique les raisons de l’exploit, né dès la défaite 8-3 contre ce même onze d’or de Hongrie en phase de poules : Sepp Herberger nous avait dit qu’il ne mettrait sur le terrain que quatre ou cinq titulaires et qu’on laisserait filer le match pour tromper les Hongrois. Pour l’anecdote, j’ai dû rejouer attaquant sur ce match là, vu le nombre de titulaires sur la touche. La grande erreur des Hongrois, c’est de s’être grisés des huit buts qu’ils nous avaient mis. Et, jusqu’à la finale, ils n’ont jamais réalisé que nous, pourtant, on leur en avait mis trois avec une équipe B. Dans le vestiaire du Wankdorf, Sepp Herberger explique à ses joueurs quelle sera la clé du match : prendre ne marquage individuel non pas la superstar hongroise Ferenc Puskas mais Nandor Hidegkuti. Horst Eckel décrypte le génie d’Herberger : Il fut le seul à réaliser que Hidegkuti n’était pas un avant-centre. Qu’il revenait toujours très loin en arrière. La grande question était donc de le bloquer. Le sélectionneur ouest-allemand termine sa causerie en motivant ses joueurs par du courrier envoyé par des fans. Transcendés comme jamais, les Allemands sont prêts au combat contre la meilleure équipe du monde … Notre chance, ce fut de marquer deux minutes après avoir encaissé le deuxième but hongrois, se souvient Horst Eckel. Les Hongrois se sont montrés arrogants. Nous, nous avons joué en équipe. Nous n’avons pas baissé les yeux et, en rentrant au vestiaire à 2-2, c’est nous qui roulions des épaules et eux qui baissaient les yeux. En seconde période, le meneur de jeu Fritz Walter prend les choses en main sous la pluie de Berne … Ce n’était pas un joueur fait pour la chaleur¸ explique Horst Eckel. Il avait souffert de la malaria pendant la guerre. De plus, sa fabuleuse technique s’accordait parfaitement avec une pelouse glissante. Alors, quand il s’est mis à pleuvoir lors de la finale, on s’est dit que le ciel était avec nous. Fritz Walter est né en 1920. À 19 ans, le joueur du FC Kaiserslautern connaît sa première sélection en équipe d'Allemagne. Le 14 juillet 1940, pour sa première cape, Fritz Walter inscrit un triplé et l'Allemagne bat la Roumanie 9 à 1. Néanmoins, sa carrière professionnelle (comme celle de beaucoup de footballeurs) connaîtra un coup d'arrêt en raison de la Seconde Guerre mondiale. Il est mobilisé comme fantassin en 1942 et envoyé en Lorraine. Il jouera d'ailleurs en 1943 au Thionville FC (renommé TSG Diedenhofen, la ville ayant été annexée par les Allemands) ainsi qu'au sein de l'éphémère équipe militaire d'Allemagne, le Rote Jäger (« chasseur rouge »). Il sera plus tard déployé sur la Corse, la Sardaigne et l'île d'Elbe. À la fin de la guerre, il est prisonnier de l'Armée Rouge dans un camp en Roumanie. Alors qu'il est destiné à être déporté dans un goulag et qu'il souffre de la malaria, il est reconnu par un soldat hongrois avec qui il joue au football et dont il était l'idole. Ce dernier le fera passer pour un Autrichien enrôlé de force dans la Wehrmacht, ce qui lui vaudra de rentrer chez lui le 28 octobre 1945. Après 31 matches sans défaite des Magyars, l’Allemagne de l’Ouest met fin à cette fabuleuse série, contre la meilleure équipe de tous les temps, ce que montre l’application du classement Elo – un Hongrois - des échecs au football … Le Miracle de Berne a pris forme, mais pas seulement le dimanche 4 juillet. Durant cette Coupe du Monde 1954, le Onze d'Herberger a pris ses quartiers à Spiez, sur le lac de Thoune. L'esprit de Spiez y a été développé, ayant une grande part dans le succès de la Coupe du Monde. Le co-entraîneur allemand à cette époque Albert Sing, était alors l'entraîneur des Young Boys de Berne et avait des connaissances en Suisse. Il avait des parents à Spiez, qui possédaient un hôtel là-bas. Sing a demandé à ses proches si l'équipe nationale allemande pouvait rester à l'hôtel Belvedere. Après une longue hésitation, la direction de l'hôtel a finalement accepté. L'équipe allemande s'est rendue à Spiez à la fin du mois de mai 1954. Le plan d'Herberger prévoit que la Mannschaft devrait être protégée du monde extérieur. La presse et les épouses ou amis n'étaient pas autorisés au siège de l'équipe. Le principe directeur de l'entraîneur était que l'équipe ne pouvait être qu'une communauté. Cette communauté est née à l'hôtel de l'équipe à Spiez. Le programme a non seulement fourni une formation, mais a également encouragé la communauté. Des excursions communes dans la région et des jeux de cartes ont favorisé le tissu social. Herberger a également mené des entretiens individuels avec chaque joueur afin de les adapter psychologiquement aux tâches à venir. Le fait que Sepp Herberger ait effectivement formé une communauté dans le sens de Tous pour un - un pour tous, c'est-à-dire l'équipe dans le sens le plus primordial, peut être considéré comme décisif pour la réalisation de l’objectif final ... En 2003, le film Das Wunder von Bern attirera 3.7 millions de spectateurs dans les salles obscures, un des plus grands succès du cinéma allemand … Aujourd'hui encore, cette victoire est considérée comme un symbole : le véritable acte de naissance de la RFA, le retour de l'Allemagne dans le concert des nations dix ans après la défaite nazie mais aussi la résurrection d'un peuple. C'est le jour de la renaissance psychologique, économique et sociale de l'Allemagne, expliquait d'ailleurs l'ancien chancelier Helmut Kohl en 2004 à la chaîne de télévision Arte. C'est une date clé de l'histoire allemande, rappelle un historien, Manfred Oldenbourg : Ce match, écouté par tout le pays à la radio, a permis à l'Allemagne de relever la tête. Ces nonante minutes ont changé la face du pays. Les Allemands ont retrouvé ce jour-là leur honneur perdu. En 90 minutes, la Hongrie de Puskas est passée du Capitole à la Roche Tarpéienne. Dindon de la farce du Traité de Trianon en 1920 où elle perdit la Transylvanie avant de devenir après la guerre un pays satellite de Moscou dans le Pacte de Varsovie à l’Est du Rideau de Fer, la Hongrie manque l’occasion unique de graver son nom en lettres d’or au panthéon du football (malgré deux nouvelles médailles d’or aux Jeux Olympiques de Tokyo en 1964 et Mexico en 1968) : car l’insurrection hongroise d’octobre 1956 est matée par les chars soviétiques de Khrouchtchev dans Budapest. Profitant de déplacements internationaux avec leurs clubs, Puskas, Kocsis et consorts restent en Europe occidentale, avant de vivre une deuxième carrière en Espagne, à Madrid pour Puskas, à Barcelone pour Kocsis et Czibor qui rejoignent l’exilé Kubala. Au lieu de cela, Ferenc Puskas rejoint Matthias Sindelar dans le gotha des rois maudits de la Coupe du Monde, où Eusebio, Johan Cruyff, Zico, Socrates et Michel Platini viendront les rejoindre plus tard … Avec le Real Madrid qu’il rejoint en 1958, Puskas se console en gagnant la Coupe d’Europe des Clubs Champions le 18 mai 1960 face à l’Einthracht Francfort. Le Hongrois s’offre un quadruplé, son complice Alfredo Di Stefano complétant le feu d’artifice castillan par un triplé : 7-3 pour un cinquième titre européen de suite, mais le premier pour le Major Galopant, interdit en 1959 d’entrer sur le territoire ouest-allemand par les autorités de RFA pour la finale européenne de Stuttgart contre le Stade de Reims, battu 2-0 au Neckarstadion par Di Stefano et Kopa. Cette décision s’était appliquée en représailles des allégations de dopage de Puskas à l’égard de la Mannschaft de Sepp Herberger, coach qui entraînait déjà l’équipe au temps des nazis. En 2010, une étude du Comité olympique allemand affirme que ces héros de la nouvelle Allemagne étaient dopés à la méthamphétamine, la drogue du soldat, rendue célèbre par la série télévisée Breaking Bad. Les Allemands répliquent à Ferenc Puskas que les crampons Adidas les ont aidés sur la pelouse détrempée de Berne en ce 4 juillet 1954. Adidas, marque fondée par Adolf Dassler, est la rivale de Puma, propriété de Rudolf Dassler, son frère. La lutte fratricide entre les Dassler, des deux côtés de la rivière Aurach à Herzogenaurach (village de Bavière qui verra naître un certain Lothar Mätthaus en 1961), sera terrible, telle celle des deux jumeaux de la Louve, Romulus et Remus dans la Rome Antique. D’autres théories du complot avancent le paiement de la Hongrie par l’Allemagne : les chefs du parti communiste magyar auraient reçu cinquante Mercedes pour laisser filer la victoire, d’autres sources évoquant le paiement de récolteuses à petits pois par Bonn à Budapest ... Parmi cette grande équipe de Hongrie, se trouvait notamment l'illustre József Zakariás, tantôt défenseur tantôt milieu de terrain évoluant au Vörös Lobogó SE, reconnu pour ses qualités défensives et convoité par les grands clubs de l'époque. C’est alors qu’un ancien légionnaire tchécoslovaque revenu d’Indochine profite de la célébrité du joueur en se faisant passer pour le défenseur. L'imposteur arrive donc à Lille (le LOSC étant champion de France 1954) en se présentant en tant que Zakariás et déclare avoir passé le rideau de fer et choisi le camp de la liberté. Pensant avoir mis la main sur une perle du football mondial, le président lillois Henno, sans avoir déjà vu le véritable joueur et oubliant de lui demander ses papiers d'identité, l'embauche et convoque toute la presse. La tromperie prend fin pendant un match de préparation contre le FC Rouen le 2 juillet 1954. Les spectateurs venus en nombre voient évoluer le faux Zakariás largement moins à l'aise sur le terrain que le véritable joueur. Maladroit et blessant un joueur, il est arrêté sur la pelouse par les gendarmes et passe aux aveux. Cet épisode qui débouche sur une peine d'emprisonnement de deux mois pour le légionnaire, a sérieusement entaché la réputation du club nordiste ...


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2 réactions à cet article    


  • Axel_Borg Axel_Borg 7 décembre 2018 14:31

    Le Mondial 1954 poursuit la version football des Rois Maudits : pas de malédiction proférée par les Templiers vers le trio Nogaret / Philippe le Bel / Clément V, ni d’adultère à la Tour de Nesle comme chez Maurice Druon, mais plusieurs rois sans couronne : Ferenc Puskas sera le deuxième de cette dynastie après Matthias Sindelar en 1934, et avant Eusebio en 1966, Johan Cruyff en 1974, Zico et Socrates en 1982, Michel Platini en 1986, Roberto Baggio en 1994, Lionel Messi en 2014 ...

    D’autres seront plus heureux dans le gotha du foot : Giuseppe Meazza en 1934 et 1938, Pelé en 1958 et 1970, Garrincha en 1958 et 1962, Franz Beckenbauer en 1947, Diego Maradona en 1986, Lothar Mätthaus en 1990, Romario en 1994, Zinédine Zidane en 1998, Ronaldo en 2002, Xavi et Andres Iniesta en 2010, Kylian Mbappé en 2018 ...


    • Fred Astaire Fred Astaire 11 juin 2019 11:44

      @Axel_Borg

      Même s’il manque la finale de 59, et qu’il ne joue que 3 matchs en 65-66, Puskas est officiellement détenteur de 3 C1, puisque les règlement de l’UEFA sont rétroactifs, à savoir qu’un joueur est déclaré vainqueur d’une coupe d’Europe, s’il a participé à au moins une rencontre dans la saison.
      Quand à l’histoire du passeport non délivré, on a jamais eu la preuve. Je connais deux autres versions :
      - blessé, il aurait rencontré à Stuttgart un spécialiste, et sans succès, aurait déclaré forfait.
      - mécontent de sa prestation du match précédent (en Coupe d’Espagne, je crois), le coach argentin Luis Carniglia (qui ira à Nice plus tard), et qui ne l’aimait guère, paraît-il, ne l’a pas aligné (et pas emmené ?).

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