Après le retrait du Grand Prix des États-Unis puis l'annonce de la liquidation de l'écurie de Formule 1 Marussia, dont le sort précède dit-on dans les paddocks celui de Caterham (ex-Lotus), c'est tout un écosystème qui est remis en cause. Nombre de solutions sont envisagées : des plus farfelues au plus salutaires mais l'inertie en dépit de l'urgence semble prévaloir et 2015 risque d'offrir le même scénario indigent alors que le public se détourne de la F1 pour d'autres sports mécaniques dont la prometteuse Formula E (E pour électrique). Moins que la technique, n'est-ce pas surtout l'âme de la Formule 1 qui a disparu depuis de trop nombreuses années ?
La Formule 1 connait des jours difficiles, et tend ostensiblement depuis plusieurs années à délaisser le vieux continent qui l'a vu naître pour de nouveaux horizons.
Cette désaffection territoriale partagée, à la fois par les dirigeants de ce sport automobile et par les spectateurs, est multi-causal. Néanmoins l'un d'eux tient une responsabilité accrue : l'insipidité née de la sécurisation à outrance et du balafrage de circuits mythiques. L'on pointe souvent du doigt la gestion très orientée finances de Bernie Ecclestone, qui le pousse notamment à privilégier certains circuits extra-européens au détriment de vénérables anciens. Les grands prix de Malaisie, d'Abu Dabi et de Singapour sont les meilleurs exemples puisqu'ils cumulent à eux seuls presque 200 millions de dollars de préparation. Mais s'ajoute à cela le crayon et surtout bistouri de l'architecte allemand Hermann Tilke qui est le principal projeteur/correcteur de tracés de Formule 1 consulté par son ami milliardaire Bernie Ecclestone, lequel est, accessoirement, patron de Formula One Management, la société détentrice des droits sportifs. De fait, le retracé d'Hockenheim (perdant toute sa partie forestière, soit près de 50% de développement) ou la création du Korea International Circuit ne sont pas des réussites car limitant les dépassements et restreignant par trop les pointes de vitesse sans disposer pour autant du cachet d'un Spa-Francorchamp ou du circuit de la Sarthe (Le Mans). Il ne faut pas noircir outrancièrement le tableau, l'A1 Ring ou l'Istanbul Park sont de bons parcours mais ils détonnent hélas dans un déroulé de circuits axés principalement sur la sécurisation à outrance, au détriment du spectacle. Et le spectacle c'est aussi le risque que les pilotes acceptent de prendre pour eux-mêmes. Et ce tragique cimente aussi l'histoire des compétitions puisqu'elle sont des histoires d'hommes qui vivent et partagent leur passion en repoussant les limites de leur monture comme de leur propre organisme. Si l'on ne peut qu'être d'accord sur le fait que certains aménagements structurels sont à effectuer pour éviter les risques inutiles et inconsidérés, aller à l'extrême en stérilisant les parcours, sans prendre l'avis des pilotes pourtant les premiers concernés, pour les rendre sans saveur et sans relief produit naturellement rejet ou pire, désintérêt. Par ailleurs et sur la lancée de cette réflexion, pourquoi ne pas à terme remplacer ces mêmes hommes par des machines, des drones commandées à distance, si l'on tient tant que cela à expurger tout danger et tout écart ? Après tout...
Sur cette acceptation du risque et de la course automobile, il faut relire pour cela le manifeste du futurisme de l'artiste Filippo Tommaso Marinetti qui dans ses articles 1 et 4 disposait que :
1. Nous voulons chanter l'amour du danger, l'habitude de l'énergie et de la témérité. 4. Nous déclarons que la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l'haleine explosive... Une automobile rugissante, qui a l'air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace.
Pour excessif que soit le propos, car faisant fi de la beauté des oeuvres passées ce en quoi je suis en désaccord car les constructions antiques m'apparaissent plus élaborées et esthétiques que les formations cubiques architecturales contemporaines, il n'en demeure pas moins que cette ôde au dépassement et au risque n'est plus de mise de nos jours sur les pistes avec pour conséquence première que les circuits devenus stériles tendent irrésistiblement à éloigner les spectateurs et même anciens aficionados. Un retrait qui se manifeste sur les abords des autodromes et lors des audiences télévisés. Même la chaîne française TF1 qui détenaient les droits de retransmission depuis 1992 a décidé de laisser son concurrent Canal + reprendre le flambeau en ne renchérissant pas son offre pour les prochaines saisons. Il n'est pas ici que question de positionnement du curseur sécurité-spectacle mais aussi d'état d'esprit qui privilégie désormais, contre l'avis de nombreux pilotes anciens et nouveaux, l'aseptisation d'une discipline.
En sus de cette tare rémanente depuis bien trop longtemps, les changements incessants et abscons de réglementation n'aident en rien, ainsi que la monétisation effrénée de ce sport automobile (contrairement à une idée reçue, la F1 se porte financièrement bien, avec 1,5 milliard de dollars de chiffre d'affaires en 2013 dont 1/3 seulement provenant de la billetterie) couplée à des coûts rendant la présence de petites écuries difficilement tenables (Sauber et Lotus étant sur la sellette, Marussia n'en mène pas plus large budgétairement, et Honda comme Toyota ne sont plus dans la course depuis quelques années) ainsi que la tenue de Grand Prix dont la vente de billets est en berne. Pour attester de cette inflation de la question financière, il est récurrent depuis un an d'entendre parler d'introduction en bourse sur lequel table CVC Capital Partners, actionnaire principal de Formula One Management pour une valorisation estimée à... 10 milliards de dollars ! Même le président de la Fédération Internationale de l'Automobile Jean Todt éprouve grand peine à faire passer son projet de plafonnement des budgets par écurie. Malgré une baisse de nombreux de spectateurs et de téléspectateurs, la F1 voit ses revenus augmenter constamment de même que les dépassements de budget constructeurs : bulle spéculative à l'horizon ? Pour conclure, expurger l'aléa et le dépassement de soi, le sel de toute discipline sportive, c'est fatalement éviscérer la poule aux oeufs d'or.
Enfin, je tiens à vous faire profiter d'un document d'archive assez unique : le grand prix de Tripoli de 1937 ! Un retour sur la grande épopée des flèches d'argent d'Auto Union (future Audi qui en reprendra le symbole des anneaux croisées rappelant la fusion des quatre constructeurs originaux) et Mercedes, affrontant les redoutables bolides d'ERA (English Racing Automobiles) et surtout les diaboliques italiennes Alfa Romeo et Maserati.