Séduisante Oslo
Campée à l’extrémité de son fjord, la capitale norvégienne, dépourvue d’unité architecturale et pauvre en monuments emblématiques, ne peut rivaliser avec des villes comme Rome, Prague ou Amsterdam. Elle ne le prétend d’ailleurs pas. Oslo souffre en outre d’être la capitale la plus chère d’Europe. Cette ville étonnante ne manque pourtant pas d’atouts. Et par-dessus tout, elle a réussi à donner vie au concept cher aux humoristes : « construire les villes à la campagne » !

Aksel amène lentement le drapeau norvégien qui flotte en haut du mât, puis il le plie soigneusement et va le ranger dans la petite maison de bois peinte en rouge. Enfin, après s’être assuré que tout est en ordre, il referme la porte et s’éloigne vers l’appontement pour attendre la navette qui le ramènera au cœur de la ville, sur le môle de Vippetangen, tout à côté de la halle aux poissons. La petite maison fermée pour le long hiver scandinave, c’est dans leur appartement proche du stade Bislett qu’Aksel et son épouse Solveig attendront patiemment le retour du printemps, non sans aller de temps à autre se dégourdir les jambes dans la forêt du nord (Nordmarka), imbriquée jusque dans la ville, ou sur les pistes de fond de Lillehammer. Soudain, un bref appel de sirène signale l’arrivée du bateau, faisant fuir les tournepierres à collier, les bécasseaux violets et les harles piette qui squattaient les abords du ponton…
Aksel a de la chance, et il le sait. Posséder dans l’une des îles du fjord l’une de ces coquettes maisons est un privilège rare. Mais qu’à cela ne tienne, si peu d’Osloïtes y sont propriétaires, nombre d’habitants de la capitale norvégienne aiment à prendre les navettes aux beaux jours pour aller se détendre dans les îles : la verdoyante Hovedøya, fière des ruines de son monastère cistercien, les riantes Lindøya, Nakholmen ou Bleikøya si typiquement scandinaves avec leurs maisons de bois aux couleurs vives, Gressholmen et ses milliers de lapins, Langøyene et ses plages naturistes. Avec ou sans maillot, bercés par le clapotis des eaux du fjord et le cancanement des bernaches, les Osloïtes se dorent la peau sur un carré d’herbe folle ou un solarium naturel de granit, dans une harmonie totale avec la nature, seulement dérangés, de loin en loin, par les chamailleries des goélands ou la puissante sirène d’un ferry en provenance d’Allemagne ou du Danemark.
De Munch à Vigeland
Une nature jamais très éloignée du cœur d’Oslo : vingt minutes de métro seulement séparent le Storting (parlement) des rives sauvages du romantique Sognsvann, l’un des nombreux lacs d’Oslo. Un peu plus long, le trajet en bus pour atteindre le non moins spectaculaire – et beaucoup plus vaste – Maridalsvann d’où l’on pourra revenir à pied en suivant le sentier de la rivière Akerselva, ponctué d’une vingtaine de cascades. Sans oublier le « must » : une demi-heure suffit au vieux tramway en bois d’Holmenkollen pour atteindre et dépasser le légendaire tremplin* avant de s’immobiliser à Frognerseteren en un terminus surréaliste où les framboisiers et les herbes folles tiennent lieu de gare. Là, à plus de 500 mètres d’altitude, les Osloïtes peuvent, avec une légitime fierté, admirer les reflets moirés des eaux de leur fjord avant de plonger, à travers bois, à pieds ou à skis selon la saison, vers la station Midstuen, trois kilomètres plus bas, où le vieux tram les ramènera au cœur de la ville en leur vrillant les oreilles de son crissement caractéristique dans les virages.
Car Oslo, c’est avant tout cela : une ville à la campagne qui a su s’étendre sans dénaturer sa richesse naturelle. Mais Oslo n’est pas que cela, loin de là, et si la ville est pauvre en collections de peintures, mise à part l’œuvre pléthorique d’Edvard Munch, elle est riche de sculptures. Coulées dans le bronze ou taillées dans la pierre, elles sont omniprésentes, de l’impressionnant tigre qui accueille les voyageurs à la sortie de la gare centrale à ce couple de consommateurs attablé à la terrasse d’un bar d’Aker Brygge, en passant par les gracieuses fillettes du bassin d’Eidsvolls Plass. Sans oublier la prodigieuse collection léguée par Gustav Vigeland dont les 214 œuvres, parfois d’imposantes dimensions, qui parsèment le parc Frogner. Des sculptures qui symbolisent la famille, l’amour ou le travail, et dont tous les personnages, généralement bien charpentés, sont aussi nus que le jour de leur naissance.
Un bateau du… 9e siècle !
On peut aimer ou détester les peintures de Munch ou les sculptures de Vigeland, mais une chose est sûre : pas un visiteur de la capitale norvégienne ne la quittera sans avoir été ébloui, ému ou passionné par les musées de la presqu’île de Bygdøy (prononcer Bugdeu). Des musées atypiques qui sont, chacun à sa manière, de formidables voyages dans le temps sur les traces d’épopées humaines hors du commun. À commencer par le musée Fram où l’on peut visiter LE navire emblématique des expéditions polaires, ce légendaire Fram – précurseur du Pourquoi pas du commandant Charcot – à bord duquel partirent à la conquête des immensités glacées ces géants de l’exploration polaire que furent Fridtjof Nansen et Roald Amundsen. Tout à côté se dresse un autre musée consacré à l’aventure maritime, celle qui, au péril de leur vie, a jeté Thor Heyerdhal et ses compagnons sur les océans à bord de radeaux : le légendaire Kon-Tiki, bien frêle dans sa structure de balsa pour faire face aux fureurs de l’océan Indien, et le non moins étonnant Râ II, entièrement construit en… papyrus pour affronter les colères de l’Atlantique ! Mais le plus émouvant reste à venir dans un troisième musée sous la forme de bateaux vikings, dont celui d’Oseberg, prodigieusement conservé durant plus d’un millénaire d’existence par les boues du fjord.
Tout proche, le Musée populaire norvégien, construit dans un vaste parc, mérite lui aussi qu’on s’y attarde, ne serait-ce que pour se balader dans ses allées boisées et ses clairières, à la découverte de ses 140 maisons caractéristiques de l’habitat des différentes provinces du pays. Toutes sont authentiques et ont amenées là, avec d’infinies précautions, dans un but didactique. Mais aussi belles soient-elles, et certaines sont réellement magnifiques, le joyau du lieu est incontestablement la superbe église en « bois debout » (Stavkirke) transférée du village de Gol (250 km au nord) pour être implantée là et symboliser aux yeux du plus grand nombre une architecture religieuse dont il ne reste malheureusement plus que 28 églises dans tout le pays.
De retour au cœur de la cité, on peut encore visiter bien d’autres musées et monuments, à l’exception du Palais royal. Mais ni l’austère et très imposant hôtel-de-ville (Rådhus), ni la forteresse chargée d’histoire d’Akershus ne laisseront un souvenir impérissable. C’est pourquoi, entre deux randonnées dans l’extraordinaire environnement naturel de la ville, le mieux est de faire comme le conseille Aksel : flâner dans Karl Johans Gate puis aller s’attabler à une terrasse d’Aker Brygge (les anciens docks) pour déguster des crevettes arrosées d’une bonne Ringnes bien fraîche. « Pour nous autres, Norvégiens, le bonheur est dans les choses simples », ajoute Solveig dont les yeux pétillent de malice. Comment lui donner tort ?
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