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Accueil du site > Tribune Libre > 1873, l’année où la France refusa son roi : l’histoire méconnue (...)

1873, l’année où la France refusa son roi : l’histoire méconnue d’Henri V et du drapeau blanc

Imaginez un instant : la France, à peine remise des affres de la guerre franco-prussienne, s'apprête à couronner un nouveau roi. L'Assemblée nationale, à majorité monarchiste, est prête à l'accueillir. Le peuple, las des instabilités politiques, espère un retour à l'ordre et à la stabilité. Et pourtant, ce roi, Henri V, ne montera jamais sur le trône. La raison ? Un symbole : le drapeau blanc. 
 

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L'héritier "miraculé" : une enfance entre ombre et lumière

Henri d'Artois, duc de Bordeaux, voit le jour le 29 septembre 1820 au palais des Tuileries. Un événement qui tient du miracle pour les royalistes. Sept mois plus tôt, son père, le duc de Berry, a été assassiné, plongeant la famille royale dans le deuil et la succession dans l'incertitude. Cet enfant posthume, dernier espoir de la branche aînée des Bourbons, est aussitôt surnommé "l'enfant du miracle".

 

 

Il grandit choyé par sa mère, la duchesse de Berry, une femme énergique et passionnée, et sous l'œil bienveillant de son grand-père, le roi Charles X. Son enfance est marquée par le faste de la cour et l'ombre portée de l'assassinat de son père. Mais cette insouciance est de courte durée. En 1830, la révolution de Juillet chasse Charles X du trône et contraint la famille royale à l'exil.

 

ملف:Carolina, Duchess of Berry and her son the Duke of Bordeaux by François Pascal Simon Gérard (1770-1837).png

 

C'est en Autriche, au château de Frohsdorf, que le jeune Henri poursuit son éducation. Loin de la France, il grandit bercé par les récits de la grandeur passée de la monarchie et imprégné des valeurs de l'Ancien Régime. Il s'instruit auprès de précepteurs légitimistes, développe une foi catholique profonde et une vision traditionaliste de la société. Le "duc de Bordeaux" devient le comte de Chambord, symbole de l'espoir d'une restauration pour les monarchistes.

 

 

L'espoir d'une nation : la monarchie à portée de main

Les années passent, les régimes se succèdent en France. La monarchie de Juillet, la Deuxième République, le Second Empire... Autant d'expériences politiques qui, aux yeux des monarchistes, ne font que confirmer l'instabilité du pays et la nécessité d'un retour à l'ordre monarchique.

En 1870, la défaite face à la Prusse et la chute de Napoléon III ouvrent une nouvelle ère d'incertitudes. L'Assemblée nationale, élue en 1871, compte une majorité monarchiste. Le moment semble venu pour le comte de Chambord de faire valoir ses droits et de monter sur le trône.

 

Portrait d'Henri de Bourbon, duc de Bordeaux, comte de Chambord  (1820-1883). - PICRYL - Public Domain Media Search Engine Public Domain  Search

 

Des négociations s'engagent entre les différentes factions monarchistes. D'un côté, les légitimistes, partisans de la branche aînée des Bourbons, soutiennent sans réserve le comte de Chambord. De l'autre, les orléanistes, représentés par Adolphe Thiers, sont prêts à accepter Henri V comme roi, à condition qu'il s'engage à respecter un régime parlementaire. 

 

 

L'intransigeance du "roi" : le drapeau, symbole d'un impossible compromis

Un obstacle de taille se dresse pourtant sur la route du comte de Chambord : la question du drapeau. Pour lui, pas question d'abandonner le drapeau blanc, symbole de la monarchie traditionnelle et de la légitimité dynastique. Il le voit comme l'étendard d'Henri IV, de François Ier, de ses ancêtres. Adopter le drapeau tricolore, ce serait renier l'héritage historique de la France et trahir ses convictions.

 

J'ai reçu le drapeau blanc comme un dépôt... | L'Histoire en citations

 

En 1871, il publie une lettre ouverte où il affirme : "Je ne laisserai pas arracher de mes mains l'étendard d'Henri IV. Je le relèverai dans la poussière où il est tombé." Ces mots, loin de rallier l'opinion publique, créent la consternation. Pour beaucoup, le drapeau tricolore représente l'unité nationale, la Révolution, les combats pour la liberté. Le refuser, c'est se couper d'une partie du peuple français et ignorer l'histoire du pays.

Les négociations piétinent. On tente de convaincre le comte de Chambord de faire un geste. On lui propose de conserver le drapeau blanc comme drapeau personnel du roi, tout en adoptant le tricolore comme drapeau national. Mais Henri V reste toujours inflexible. "Je suis le pilote nécessaire", écrit-il en 1873, "mais je ne monterai pas sur le pont si l'on me force à arborer un pavillon que je considère comme un signal de détresse."

 

 

Fichier:Drapeau Royaume de France 1815-1830.jpg

 

Ce qui rend cette situation encore plus consternante pour les partisans de la royauté, c'est que le drapeau blanc n'a jamais été le symbole officiel de la France en dehors de la période de la Restauration (1815-1830). Avant la Révolution française de 1789, il n'y avait pas de drapeau national officiel. 

 

Le poids de l'héritage : une décision lourde de conséquences

Le refus du comte de Chambord de transiger sur la question du drapeau met fin aux espoirs de restauration monarchique. Les monarchistes, divisés et déçus, ne parviennent pas à trouver un autre candidat. La France se tourne alors vers la République. En 1875, l'Assemblée nationale vote les lois constitutionnelles qui fondent la Troisième République.

Le comte de Chambord se retire à Frohsdorf, où il meurt en 1883. Il laisse derrière lui l'image d'un homme prisonnier de ses convictions, incapable de s'adapter aux réalités de son temps. Certains l'ont admiré pour sa fidélité à ses principes, d'autres l'ont critiqué pour son entêtement et son manque de réalisme politique.

Quoi qu'il en soit, le choix d'Henri V a eu des conséquences considérables sur l'histoire de France. Il a marqué la fin définitive de la monarchie et ouvert la voie à une nouvelle ère politique, celle de la République. Le "roi qui ne fut jamais" reste un symbole des tensions entre tradition et modernité, et du poids du passé dans les choix du présent.
 


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18 réactions à cet article    


  • Seth 7 février 16:15

    Ce qu’il reste encore de la monarchie fin de race va défiler avec les anti-IVG, l’extrême droite, les tradis et cie.

    Il faudrait une nouvelle tournée de guillotine. Et pas que pour les prétendants d’ailleurs...


    • Eric F Eric F 7 février 16:25

      @Seth
      Ne soyez pas trop prompt à raccourcir les prétendants, la jurisprudence Robespierre montre qu’à trancher la tête des autres, on finit par perdre la sienne.


    • Seth 7 février 17:21

      @Eric F

      La chute de la tête de Robespierre est un problème interne et n’a pas grand chose à voir avec la royauté.

      On devrait traiter radicalement de tous ces fins de race tout comme de la nouvelle noblesse française du fric de manière urgente.

      Perso la gentillesse bébête ne fait partie de mes valeurs.


    • @Seth

      Henri, comte de Paris (1908-1999), m’avait fait l’honneur de m’accorder son amitié. Il avait appelé à voter François Mitterrand et, de plus, c’était un homme qui était tolérant et humain. Ce qui ne fut pas le cas de son fils qui avait appelé à manifester aux côtés de la Manif pour tous ou contre l’IVG. Même chose pour son fils, actuellement prétendant orléaniste au trône de France.

      Quant à la branche aînée des Bourbons qui vit en Espagne, ce n’est guère mieux. De plus l’actuel prétendant légitimiste, Louis de Bourbon, est l’arrière-petit-fils de Franco. Il n’est pas comptable des fautes de son aïeul. Par contre, il l’a toujours défendu et il a porté son cercueil lors de son exhumation. 


    • Seth 8 février 12:24

      @Eric F

      Le roi d’Espagne actuel est un Borbon y Grecia. Ce n’est plus ce que c’était. Fini les Borbon y Borbon.  smiley


    • @Seth

      Toutes les monarchies actuelles ont compris qu’il fallait cesser de pratiquer des mariages incestueux entre cousins et cousines. La consanguinité avait des conséquences tragiques. On se souvient des Hasbourg d’Espagne avec le pauvre roi Charles II qui avait de nombreuses tares physiques et mentales.

      En outre, il y a plus en plus de mariages avec des roturiers. Ce qui permet d’apporter un sang neuf et d’être beaucoup plus proche de la population. La monarchie se modernise est n’est plus synonyme de régime autoritaire. 


    • Seth 8 février 13:37

      @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

      Les pouacres de la roture ? Quelle chute !  smiley


    • @Seth

      Je ne suis pas membre d’une famille royale mais d’une ancienne famille de la noblesse italienne. Les mariages consanguins étaient fréquents. J’avoue avoir quelques membres de ma famille qui sont atteints de handicaps sérieux. La soeur de mon père a épousé son cousin germain : 2 fils sourds et muets et un autre avec une défience mentale sévère. Ils me font beaucoup de peine depuis qu’ils sont nés, il y a une cinquantaine d’années.

      Heureusement, les unions consanguines n’existent plus dans ma famille. Mon grand-père a épousé une roturière italienne. Quant à mon père, une roturière franco-belge. Tous les deux avaient fait l’objet de vives critiques. Mais c’était une autre époque. Une époque révolue, Dieu merci !


    • Eric F Eric F 7 février 16:20

      Ne pouvant obtenir le drapeau blanc, il a quand même ’’hissé le drapeau blanc’’ pour capituler.


      • @Eric F

        Je regrette que le comte de Chambord n’ait pas cédé sur cette histoire de drapeau blanc. Nous aurions encore un roi à la tête de l’Etat et je pense que la France ne serait pas dans une telle situation.


      • Eric F Eric F 8 février 17:20

        @Giuseppe di Bella di Santa Sofia
        En fait, dans le titre, ce n’est pas la France qui a refusé le roi, mais le roi qui a refusé la couronne.

        Ceci dit, quelle aurait été la durée de l’épisode monarchique ? Depuis le début du 19è siècle il y avait eu un changement de régime ou dynastie tous les 15 ans environ.
        Vu sa rigidité, s’il avait cédé sur le drapeau, il y aurait eu un autre blocage qui l’aurait conduit à se démettre, ou à fuir nuitamment comme ses prédécesseurs fleurdelyssés.

        Mais assurément c’était la dernière chance de la monarchie, car ensuite la coupure était trop longue après le précédent règne pour se prévaloir d’une continuité. Votre ami le comte de Paris Henri [VI] avait pu intéresser le côté nostalgique du grand Charles, mais le pays n’aurait pas accroché.


      • @Eric F

        En fait, j’ai beaucoup hésité avant de choisir un titre. Le comte de Chambord a accepté la couronne mais à condition que le drapeau blanc, qui était le drapeau officielle de la France de 1815 à 1830 seulement, redevienne le drapeau national. Il avait déjà cédé sur plusieurs points. Il voulait être roi de droit divin et oint à la cathédrale de Reims, le lieu de sacre des rois de France, comme ce fut le cas de Charles X, son grand-père.

        Adolphe Thiers, qui était pourtant orléaniste, avait accepté le comte de Chambord car il n’avait pas d’héritier. A sa mort, le trône de France aurait été occupé par les Orléans. 

        Comme vous l’avez souligné, le XIXe siècle a été particulièrement mouvementé : Consulat, Premier Empire, Première Restauration, Premier Empire, Seconde Restauration, monarchie de Juillet, Deuxième République, Second Empire et Troisième République... 


      • rogal 7 février 17:25

        Entre tradition et modernité : cliché peu approprié puisque fausse tradition, si l’on comprend bien.


        • @rogal

          Effectivement, il s’agissait d’une tradition assez récente. D’ailleurs, il l’évoque dans la citation illustrée. Il n’y avait pas beaucoup de pays qui avaient un drapeau national avant la fin du XVIIIe siècle.

          Toutefois, le drapeau blanc était le pavillon de la marine royale sous l’ancien régime, bien avant la Restauration.


        • Opposition contrôlée Opposition contrôlée 7 février 19:17

          Version « image d’Epinal » complètement bidon. 


          • Eschyle 49 Eschyle 49 8 février 14:48

            Le 30 janvier 1875, mon trisaïeul faisait adopter, par 353 voix contre 352, l’amendement éponyme :
                « Le président de la République est élu à la pluralité (et non «  majorité absolue ») des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en
               Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans ; il est rééligible. »
             
               D’où vient cet amendement ? A l’époque, le prétendant le plus sérieux était Henri d’Artois, Comte de Chambord
               (https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_d%27Artois).

                Mon trisaïeul, déjà auteur, en 1849, de l’abolition de l’esclavage, et qui avait enclenché la procédure de canonisation de Jeanne d’Arc (introduction
               de la cause en 1869 ; vénérable, le 27 janvier 1894 ; bienheureuse, le 18 avril 1909 ; sainte, le 16 mai 1920 ; patronne de la France, le 2 mars 1922),
               connaissait parfaitement la sociologie des français du dernier quart du 19ème siècle , français certes instruits des novations révolutionnaires , mais
               demeurés foncièrement monarchistes .

                Cependant, le Comte de Chambord, exigeant le retour de la bannière blanche fleurdelysée, refusait obstinément d’adopter le drapeau tricolore, provoquant,
               le 28 mai 1872, cette réplique du duc d’Aumale : « Les Français sont bleus, et ils voient rouge quand on leur montre du blanc. »

               Bref, la situation était bloquée.

               Heureusement, mon trisaïeul interrogea Édouard Carrière (http://vdaucourt.free.fr/Histmed/Medrois.htm), médecin du Comte de Chambord : « Dites-moi,
               Docteur, il en a encore pour combien de temps ? - Oh, sept ans au maximum ! » (Et effectivement, il mourut en 1883).
               « Très bien, Docteur, en ce cas, je proposerai un septennat, en attendant ... »

                Et c’est ainsi que Patrice de Mac Mahon, précédemment élu président de la République par la majorité royaliste de l’époque, le 24 mai 1873, fut
               reconduit pour un bail de sept ans, en attendant le rétablissement de la monarchie.

                Cependant, ce qui n’avait pas été prévu, fut une poussée de la gauche, lors des élections des 14 octobre 1878 (Assemblée nationale) et 5 janvier 1879
               (Sénat).

               Comme Mac Mahon ne disposait plus d’aucun soutien parlementaire, il préféra démissionner le 30 janvier 1879, après avoir refusé de signer le décret
               retirant leur commandement à certains généraux.
                Selon la formule de Léon Gambetta (15 août 1877) : « Le Président n’a que ce choix : il lui faut se soumettre ou se démettre. »
                Le républicain Jules Grévy lui succéda huit heures plus tard ; la franc-maçonnerie avait provisoirement verrouillé les institutions.


            • Eric F Eric F 8 février 17:29

              @Eschyle 49
              Episode amusant quant à la justification de la durée septennale. J’avais lu une autre théorie, selon laquelle il se serait agit d’un compromis entre le décennat de l’époque du consulat, et le quinquennat


            • Merci pour votre commentaire. Vos précisions sont très intéressantes et elles permettent d’apporter un éclairage complémentaire à l’article. J’apprécie beaucoup votre contribution.

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