A la recherche de l’illustre Orbandale
Le premier nom duquel fut honoré notre Ville fut celui d'Orbandale : car bien que les titres et que les auteurs qui le témoignent ne soient pas des plus anciens, il ne faut pas tenir pour cela leurs autorités suspectes. Le sieur de Saint-Julien, qui fut autrefois doyen et chanoine dans l'illustre Chapitre de Saint Vincent de Chalon, parle avec éloge de cette Orbandale. Il dit que ni la furie du tyran Attila, ni la fureur des Hongres et des roturiers n'ont pu effacer les monuments et les caractères de cette fameuse Orbandale tant prisée par l'ancienne poésie et que les premières histoires de nos Français ont élevée au plus haut degré de la gloire... Les trois cercles de briques dorées desquels les murailles étaient bandées se montraient encore dans les murs que le vulgaire appelle sarrazins... et afin de perpétuer honorablement ces trois cercles d'or, la Ville a encore aujourd'hui conservé ces trois cercles d'or dans ses armoiries, qui sont comme le glorieux langage de son antiquité... (Extraits de "L'illustre Orbandale ou l'histoire ancienne et moderne de la Ville et Cité de Chalon-sur-Saône" par le père Berthaut,1662).
En 1662, Louis XIV règnait à Paris mais il n'avait pas encore construit Versailles ni établi son pouvoir absolu. L'année précédente, il avait fait arrêter Fouquet et remplacé la surintendance par un Conseil royal des finances (l'argent, comme tout le monde le sait, est le nerf de la guerre mais aussi du pouvoir). Le père Berthaut adresse son ouvrage au nouveau conseiller du Roy, Monsieur Perrault, baron de Chagny, apparemment un enfant du pays. Pour Berthaut, Paris, c'est la capitale des Français et le siège de l'autorité royale, certes, mais la ville qui s'inscrit depuis la plus haute antiquité dans l'héritage de Rome, c'est notre ville de Chalon. Son ouvrage, ou plutôt son homélie à la gloire de notre cité, s'inscrit d'une façon étonnante dans la ligne des panégyriques du rhéteur Eumène dans lesquels, quelque 1365 ans plus tôt, celui-ci glorifiait notre antique patrie éduenne. On y trouve la même flamme mais aussi la même emphase. Etonnant, ce père Berthaut ! Etonnant, toutes ses citations qu'il a puisées dans les ouvrages anciens ! Il faut dire que notre région fut fertile en monastères, que les bibliothèques y étaient en grande faveur et les églises très fréquentées. En 1573, le plan de Rancurel nous montre une ville toute en harmonie avec ses clochers, ses quartiers bien rangés et ses murailles intactes. Van Eyck a peint notre ville avec ses murailles, au XV ème siècle. On n'y voit pas de bandeaux.
J'ai vraiment du mal à croire que le père Berthaut ait pu voir dans les actuelles murailles la trace éparse des fameux cercles d'or de la cité perdue. Ces murailles datent de l'époque où la ville fut fondée, au III ème siècle après J.C. par l'empereur gaulois Posthumus. Les parties restantes sont en bon état et ne montrent aucune trace de bandeaux. Pour expliquer l'erreur de Berthaut, le plus simple serait d'admettre qu'en 1662, nos habitants avaient perdu le souvenir de la citadelle/ville qui se dressait, à l'origine, sur la colline de Taisey. Il ne leur venait donc pas à l'esprit de venir chercher ici ce qu'ils n'arrivaient pas à retrouver dans la ville des bords de Saône, ou si peu. En revanche, Pierre de Saint-Julien, quelque 50 ans plus tôt, aurait dû au moins s'interroger sur les murs ou les parties de mur qui probablement subsistaient encore, au lieu de décréter, pour la postérité, que les trois cercles d'or ne pouvaient avoir décoré que la ville des bords de Saône. S'il n'a pas vu ces murs, comment se fait-il qu'il soit en mesure de nous préciser que "les murailles de la ville étaient de briques rouges, enceintes par le milieu de trois rangs de briques dorées qui, ainsi, la ceinturait de trois cercles d'or, ce qui est la raison pour laquelle lui fut donné le nom d'Orbandale ?" Comment se fait-il qu'il soit en mesure de nous préciser que le blason de la ville était, à l'origine, de gueules, c'est-à-dire rouge, avec trois anneaux d'or, et que ce n'est qu'ensuite que les comtes ont préféré un fond bleu. Il semble pourtant bien renseigné, mais il est vrai que sur le sceau de 1246 du comte de Chalon, les bandeaux n'apparaissent pas.
Ces murailles ceinturées de bandeaux ne pouvaient être qu'à l'image d'autres murs gaulois tels que le mur des Sarrazins de Clermont.
En 1682, Philippe Bataille, noble d'épée, vend sa propriété seigneuriale de Taisey à Guillaume Magnien, noble de robe, conseiller du roi. Ce n'est qu'à quelques dizaine de mètres que ce dernier fait construire son nouveau château. Que sont devenues toutes ces briques ? La logique voudrait qu'elles aient été réutilisées dans les murs du nouveau bâtiment. Mais comme je ne suis pas archéologue, ce n'est pas à moi de le dire.
Essai de reconstitution.
L'erreur à ne pas faire est de placer la haute tour à l'intérieur de la haute enceinte comme s'il s'agissait d'un donjon médiéval. Absolument pas ! La haute tour - toujours existante - était la tour d'entrée principale et elle se trouvait en avant. Comme on n'y voit pas de bandeau, il faut logiquement en conclure que nos trois bandeaux ceinturaient la haute enceinte, ce qui correspond d'ailleurs à ce qu'on trouve dans d'autres murailles de villes gauloises, comme à Bourges. Voilà une première explication de ce qu'a écrit le père Berthaut. Cette explication est-elle suffisante ? Les trois cercles qui figurent sur le blason de notre ville ne seraient-ils pas disposés ainsi pour évoquer également les trois tours de la forteresse avec leurs enceintes d'eau ? Enfin, autre curiosité, nous retrouvons nos trois anneaux sur une monnaie gauloise attribuée aux Bituriges, trois anneaux qui correspondent aux trois grandes tours dont les archéologues ont retrouvé la trace à Bourges. Tout cela nous amène à revoir complètement l'image qu'on s'est faite jusque-là de la Gaule.
Plus qu'à Bibracte, c'est ici sur la hauteur de Taisey qu'il faut se placer pour comprendre les origines de notre histoire. Le centre de la cité de Cabillo nommée par Strabon, son oppidum/castrum, c'est à Taisey qu'il faut le placer. Le Cabillo de César, riche en blé, c'est ici qu'il faut se le représenter et non dans la ville des bords de Saône qui ne sera fondée qu'au III ème siècle. C'est de là, centre politique de la Gaule, qu'Ambicat, roi des Bituriges, a fait partir ses expéditions, l'une vers l'Italie, l'autre vers le Danube. C'est de là que les Bituriges sont partis fonder des colonies à l'intérieur du territoire, à Bourges, à Orléans, à Bordeaux, à Argenton et probablement aussi en d'autres lieux. Il existe, en effet, un marqueur - c'est une expression d'archéologue - qui l'indique d'une façon précise ; il s'agit du quadrilatère des enceintes en forme de petite Ourse ou de grande Ourse. Ce quadrilatère, on le retrouve souvent représenté sur les monnaies gauloises. De toute évidence, les Gaulois devaient y voir la demeure de la divinité, peut-être symbolique (?). Et puis, il y a la logique de l'histoire. Quand notre cité, tombée entre temps sous le pouvoir des Eduens, s'est étendue jusqu'à la Loire, ce ne sont pas les Romains qui sont venus fonder Bourbon-Lancy mais, bel et bien, Chalon ; le marqueur le prouve.
Mon explication de la Gaule est à l'opposé de celles qui ont cours. C'est pour cela que je n'arrive pas à la faire connaître.
Les archéologues qui se sont exprimés à l'occasion de l'exposition de la cité des sciences sur les Gaulois ont expliqué qu'ils avaient, eux aussi, un marqueur : c'est de considérer tout ce qui est en pierre comme romain et tout ce qui est en bois comme gaulois. J'espère que ce n'est pas l'avis de l'ensemble de la profession tellement une telle idée me semble contraire au simple bon sens. Je ne mets pas en doute les techniques de fouilles, ni même certaines reconstitutions, mais je conteste formellement les interprétations qui découlent de ce marqueur absurde.
En effet, ce que ces archéologues appellent villes ne sont en réalité que des bourgs ; ce qu'ils appellent demeures aristocratiques ne sont que des fermes isolées. Ignorants le latin et la logique militaire, ils ne font pas de différence entre le mot oppidum et celui de "urbs" (ville). Ils ne tiennent pas compte de ce qu'écrit César, notamment quand il écrit au sujet des Helvètes : ils incendièrent tous leurs oppidum, au nombre de douze, leurs bourgs, au nombre de quatre cents, et toutes leurs fermes isolées. Nous avons là une image extrêmement précise de ce qu'était un paysage gaulois mais à condition de comprendre que les oppidum sont des fortifications en pierre qui se trouvent principalement sur des points hauts, et que les villes, comme Mont-Saint-Vincent et Le Crest, se trouvent soit à leurs pieds, soit à l'intérieur, pour des questions de sécurité. C'est tout un pan du paysage gaulois que ces archéologues ne veulent pas voir, et c'est pourtant le plus important.
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