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Alexandre Del Valle rencontre une association turque laïque

Quand le monde réel rattrappe l’imaginaire. Rencontre de courtoisie avec un des pères du turco-scepticisme français : Alexandre Del Valle, politologue et auteur de plusieurs ouvrages et articles contre l’entrée de la Turquie en Europe. Deux visions du monde qui s’affrontent calmement autour d’un verre, dans un café parisien.

« A moi, Comte ! Deux mots ! »
Corneille, Le Cid.

Il y a à peu près un an, je publiais un article intitulé Alexandre le Magnifique à l’adresse de celui qui est à mon avis le plus grand adversaire de l’entrée de la Turquie en Europe : Alexandre Del Valle, dit le Caméléon pour avoir su s’immiscer chez les divers extrêmes de France. On retrouve la plume turcophage d’Alexandre tant sur les sites d’extrême droite que sur les sites sionistes ; l’homme s’est illustré après le 11 septembre avec des ouvrages tels que La Turquie dans l’Europe, un cheval de Troie islamiste ? ou Le dilemme turc ; et vous avez certainement vu ce brun ténébreux blasphémer sur la Turquie dans divers émissions télévisuelles où radiophoniques dont l’ordre du jour était l’entrée de ces diables de Turcs en Europe, telles que dans C dans l’air...

Certaines têtes de Turcs nous diront que pour un Anatolien, rencontrer Alexandre Del Valle pour un dialogue, c’est un peu comme vouloir faire causette avec les Thénardier... A ceux-là Voltaire aurait répondu que toujours prime la liberté d’expression, qu’importe même l’individu qui se trouve en face de vous. Les sociétés démocratiques évoluent parce que nous savons confronter nos idées. Aussi lorsque missive fut reçue par cet écrivain dont les textes servent essentiellement à ce que se gargarisent les ultranationalistes de France et de Navarre, ou accessoirement à remplir quelques toilettes « à la turque » quand vient cruellement à manquer le molletonné fraîcheur byzantine, notre sang bleu du schtroumpf démocrate ne fit qu’un tour, et nous partîmes pour une belle joute verbale avec notre adversaire.

Alexandre nous avait donné rendez-vous au Café du Trocadéro, et ce serait vous mentir de dire que c’est près de Notre-Dame. Arrivés en avance, c’est un Alexandre décidé que nous vîmes traverser à grands pas les grandes baies vitrées de cette brasserie bourgeoise. L’homme est grand, courtois, souriant, un brin séducteur. Il se dit touché par mon article pour son caractère humain, nous lui signifions que nous n’en avons pas moins des idées diamétralement opposées.

Une anecdote attire notre attention. Au début de l’entretien, Alexandre dit avoir été lâché par nombre des ses « amis » chrétiens, arméniens (à la suite de son article sur Hrant Dink), etc., et il nous explique être constamment sur ses gardes, recevant fréquemment des menaces d’extrémistes. Il dit être un homme traqué, ayant, comme il le dit sur son site, une quantité incroyable d’ennemis de tous bords. Il ajoute aller deux fois s’exercer aux sports de combat par semaine. Nous l’avons de suite rassuré en lui affirmant que nous n’étions vraiment pas venus pour lui faire la peau.

Il se montre très à l’écoute et est vraisemblablement venu pour un dialogue, ce qui reste tout à son honneur. Il nous parle des « grands personnages » (notamment Hrant Dink qu’il dit avoir bien connu mais avec lequel il était en désaccord) qu’il a rencontrés en Turquie, du kémalisme et d’Atatürk auquel il voue une admiration incroyable. Et il nous demande notre position vis-à-vis d’Israël. Question au demeurant étrange, qui ne manque pas de nous interpeller sur sa façon de voir les choses.

Fier de ses racines méditerranéennes et judéo-chrétiennes, lorsque nous attirons son attention sur l’intégrisme chrétien en Europe (pour plus d’équité avec le monde musulman), il se révèle à notre grand étonnement assez anticlérical, ayant des propos assez fleuris envers les responsables religieux, dont le pouvoir au sein de l’Europe politique lui semble néanmoins insignifiant. Cela ne fait pour nous que mettre à jour son désintérêt total, et donc une ignorance flagrante pour l’actualité laïque (vote prochain contre l’avortement thérapeutique en Pologne, la volonté de l’Eglise de condamner le blasphème dans toute l’Europe ; Angela Merkel, fille de pasteur, reçoit un pape ayant eu de multiples propos intégristes et lui parle d’une constitution basée sur les racines judéo-chrétiennes de l’Europe, racines auxquelles par ailleurs Alexandre se dit attaché par force de l’Histoire). Etonnés, nous le fûmes encore, lorsqu’abordant le thème de la laïcité, nous en vînmes à ce cher Nicolas Sarkozy. Quand je lui ai fait savoir que pour moi, Monsieur Sarkozy n’était pas laïque, il a acquiescé de façon très détendue, et au tac au tac : « Ah ! Non, il ne l’est pas ! » La réponse avait au moins le mérite d’être claire et sans détour !

En ce qui concerne la vision systématiquement diabolisée d’un peuple qui aurait voté pour un parti islamiste, l’AKP, si nous avons maintes fois dénoncé les atteintes à la laïcité du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan - et qui se sont d’ailleurs régulièrement soldées par des scandales retentissants dans toute la presse turque - il n’en faut pas moins garder un œil objectif afin de conserver une vision rationaliste des choses. Cela s’appelle de l’honnêteté intellectuelle. Nous avons donc rappelé à Alexandre que le gouvernement AKP de Recep Tayyip Erdogan fut élu à seulement 34% des voix, ce qui est loin de faire la majorité écrasante comme on peut l’entendre en filigrane dans ses allocutions. Et que pour qui a lu, entre autres et à titre d’exemple, Courrier International n° 628 du 14 novembre 2002 où est traduit un article de Taha Akyol paru dans le quotidien Milliyet disant que « selon les statistiques du Centre de recherches sociales (SAM), 30 % de ceux qui ont voté pour l’AKP le 3 novembre avaient voté en 1999 pour le Parti de la vertu (Fazilet, islamiste), 18 % avaient voté pour le Parti de l’action nationaliste (MHP, extrême droite, membre de la coalition tripartite sortante), tandis que 17 % d’entre eux sont d’anciens partisans des partis de centre droit. Mais il y a aussi des électeurs de l’AKP qui viennent de la gauche : 9 % du Parti de la gauche démocratique (DSP, de Bülent Ecevit, le Premier ministre sortant) et 1 % du Parti républicain du peuple (CHP). Les 25 % restants avaient voté pour d’autres partis en 1999 ou s’étaient abstenus ». Si d’aventure l’AKP s’éloignait d’une ligne qui lui a permis de remporter des voix grâce à son pragmatisme et à son image de parti "démocrate conservateur", et s’il tentait de mener la Turquie vers une théocratie, ce mouvement subirait une érosion et se diviserait. » Hitler, rappelle Taha Akyol, « est peut-être sorti des urnes, mais le parti nazi n’avait pas la structure hétérogène et démocratique de l’AKP. » Il faut noter par ailleurs que la campagne d’Erdogan n’a pas été axée sur l’islamisme mais bien au contraire, sur sa volonté d’effectuer des réformes afin d’adhérer à l’Union. Et c’est donc bel et bien un électorat boudant les grands partis, et qui était à l’époque fermement volontaire pour entrer dans l’UE à presque 80%, qui a voté pour Erdogan. Et non un peuple au bord de l’islamisme. D’ailleurs force est de reconnaître qu’aucun parti n’a jamais tant effectué de réformes démocratiques, depuis Atatürk, que le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan (abolition de la peine de mort, amélioration du droit des minorités, réforme du code de famille avec la disparition de notion de « crime d’honneur », etc.).

Nous comprenons qu’Alexandre est un homme dogmatique, attaché aux grands courants de pensées qui ont fait le XXe siècle, et qui se sont tous effondrés un part un. Se définissant lui-même lors de l’entretien comme « culturaliste ». Sur son site il confie au lecteur, dans un article intitulé J’en ris ! - Alexandre Del Valle répond à ses détracteurs : « On ne me pardonne pas notamment d’être passé d’une famille politique de départ gaulliste, antiaméricaine et souverainiste, à un positionnement libéral proaméricain - mais capable de critiquer les erreurs des Etats-Unis - et pro israélien ». Et c’est en fait, au-delà des écrits sombres sur la Turquie somme toute subjectifs, cette vision classifiée du monde que nous ne partageons pas. Un monde culturaliste, classifié, avec des petits tiroirs. Soit judéo-chrétien, soit musulman, soit pro israélien et pro gaulliste, soit pro américain, pro européen, ou anti-européen. Un monde dans lequel les valeurs des uns seraient différentes des valeurs des autres. C’est là une Europe diamétralement opposée à la nôtre, mélancolique de sa « grandeur passée » coloniale, complexée, et qui ne s’aime pas elle-même. Une Europe qui a perdu tout son feu sacré et son héritage humaniste des Lumières, sans aucune idée du futur, cloisonnée, pessimiste et pour ainsi dire, suicidaire.

Finalement, nous lui demandons plus d’équité dans sa façon de traiter la Turquie et surtout sa société civile qu’il semble s’acharner à ignorer totalement dans ses écrits. Nobel lui explique que c’est la société civile qui fait l’avenir d’un pays, ce qui est notre vision, et non l’inverse. Il ajoute que faire croire aux lecteurs qu’il faut garder le bâton de l’armée turque pour faire peur au peuple afin qu’il ne dérive pas dans l’islamisme, c’est non seulement totalement faux, mais de plus une vision colonialiste des choses (pour ne pas dire racialiste) : penser que seules les populations du monde judéo-chrétien aspirent aux valeurs démocratiques et à la liberté, et que les autres non. A cela, évidemment, Alexandre ne trouvera rien à redire. Il se contentera de nous déclarer « avoir changé » et nous promet de nous revoir, autour d’un verre de raki, pour nous offrir son livre dédicacé : Le dilemme turc.

Finalement, notre Alexandre n’est pas bien méchant. Plutôt un brin paranoïaque, perdu, sans plus rien à quoi se rattacher. C’est un cas de repli identitaire très courant que nous connaissons bien dans la communauté turque de France, lorsque les individus se sentent dépassés et rejetés par le monde qui les entoure. Ils finissent par se croire haïs par l’ensemble de la planète et se mettent à adhérer à d’étranges « valeurs » colportées çà et là par des gourous psychotiques dont l’alternative à l’asile d’aliénés ne peut être que le prêche d’une politique ou d’une religion légitimée par la sacro-sainte liberté d’expression.

Alors, Alexandre est-il plus ultra-nationaliste qu’un ultra-nationaliste turc ? De ceux-là mêmes qui sacralisent l’armée parce qu’ils craignent un peuple qui s’émancipe trop vite ? La théorie paranoïaque du pire n’est pas effectivement sans rappeler les derniers best-sellers de Turquie comme Tempête de métal, roman où les Etats-Unis envahissent la Turquie, ou encore L’Amérique est à nous, quand les ultra-nationalistes turcs aidés par des extraterrestres envahissent les Etats-Unis et qu’ils collent une moustache à la statue de la Liberté. Bref, les ouvrages d’Alexandre, dont la plume semble être essentiellement dictée par la peur, et non la raison, ne trouveraient-ils au fond pas meilleure place dans les librairies... au rayon science-fiction ?


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7 réactions à cet article    


  • Briseur d’idoles (---.---.168.182) 22 février 2007 11:05

    Alexandre Del Val de son vrai nom Marc d’Anna, s’épand partout en haine des Musulmans, en particulier dans Israël-Magazine !


    • Briseur d’idoles (---.---.168.182) 22 février 2007 11:12

      Del Valle, est un ancien ? de l’extrême-droite pro-sioniste (avec Guillaume Faye)qui a fait de son soutien au racisme sioniste et de la haine des musulman son fonds de commerce...

      On le trouve aussi ici


      • Kik’ (---.---.231.68) 22 février 2007 12:09

        Tient un article qui fait semblant de parler de Del Valle smiley

        Concernant d’Anna, il a fait preuve d’un tel esprit de partisannerie qu’il s’est grillé, et comme n’est pas Sarkozy qui veut, il veut lui se racheter une conduite, il y a encore des livres, des conférences à vendre...


        • erdal (---.---.242.88) 22 février 2007 12:14

          Bonjour Athétürtk,

          En effet, j’ai remarqué cette personne dans l’émission « c’est dans l’air ». Il avait une connaissance sur les différentes sectes qu’existaient en turquie et qui ressortait à travers l’europe.

          Son analyse de la turquie était focalisé sur ces groupuscules littéraliste et extrémistes qui sont effectivement un problème. Il est claire qu’à force de concentrer son analyse sur ces phénomèmes la partialité de son jugement ne fait plus aucun doute.

          Je ne sais pas si vous connaissez ce phénomème psychologique actuel qui est que l’on focalise l’attention sur les détails. C’est ce qui se passe chez cette personne...

          Je m’explique : lorsque l’on regarde un tableau noir et que sur ce tableau se dessine une tâche, on ne voit que la tâche et à fortiori, la tâche définit le tableau. Ou bien, une autre métaphore, dans un ciel étoilé, on ne regarde que les étoiles alors que le fond fait partie intégrante du paysage.

          Je pense qu’il est tombé dans ce piège et qu’il n’a pas les moyens d’appréhender la turquie dans son ensemble à moins d’essayer de rééquilibrer son approche, ce qui demande un effort considérable. Mais avec votre initiative, il comprendra peut être les choses de manière différentes(à voir).

          Pour finir, la complexité de ce monde globalisé devient la norme et il n’est pas facile d’aborder certains sujets, car l’esprit lui, est demandeur de simplisme.

          selam

          erdal


          • Marsupilami Marsupilami 22 février 2007 16:19

            Très intéressant article. Et en plus très vivant et très bien écrit. Bravo !


            • (---.---.155.19) 25 février 2007 15:28

              Ternisien, journaliste au journal Le Monde, avait accusé Del Valle d’islamophobie il y a quelques années. Je ne me souviens pas de la suite de l’affaire mais ça ressemblait à un lynchage médiatique, pour le compte de qui ?.


              • docdory docdory 28 février 2007 19:16

                @ ip 1555 etc...

                Ternisien « journaliste » au journal Le Monde accuserait d’islamophobie n’importe qui ! Pour lui , être partisan de la laïcité ou contester n’importe quel propos de Tariq Ramadan , c’est déjà être islamophobe . S’il pouvait voir ce scribouillard déblatérer des insanités dans son journal, le pauvre Hubert Beuve Méry s’en retournerait dans sa tombe !

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