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Accueil du site > Tribune Libre > Alpinisme : mort tragique d’un Sherpa

Alpinisme : mort tragique d’un Sherpa

Jeudi 27 juillet 2023, Hassan, un jeune alpiniste pakistanais partit en précurseur pour poser des cordes sur un chemin étroit traversant la zone la plus dangereuse du K2, le deuxième plus haut sommet culminant à 8 611 mètres dans le massif du Karakoram, glisse à 400 mètres du sommet. Il est 14 h 15. Une cinquantaine d'alpinistes va contourner Mohammad suspendu par les pieds, la tête en bas au bout d'une corde, et poursuivre leur ascension sans lui porter secours. D'après le caméraman autrichien Philip Flämig : « les autres alpinistes, animés par le défi, ont mal évalué leurs priorités. C’était une ascension très animée et compétitive vers le sommet ». Pour Wilhelm Steindl qui a préféré rebrousser chemin que de poursuivre dans des conditions dangereuses : « Ce qu'il s’est passé là-bas est scandaleux. Une personne vivante est laissée sur place pour que l’on puisse encore monter. Il n’aurait fallu que trois ou quatre personnes pour le sauver ».

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L'Himalaya, la plus haute chaîne de montagnes du monde et qui s'étend en arc de cercle sur 2500 kilomètres de longueur est formé de couches sédimentaires et métamorphiques (roches à l'intérieur de la terre). Selon la théorie de la dérive des continents, le Dekkan (Inde du sud) était séparé de Laurasia par un océan et l'Inde faisait alors partie du Gondwana. Ce super continent se brisa il y a environ 200 millions d'années, la plaque indienne dériva vers le nord à la rencontre de la plaque asiatique séparée par l'océan Thétys. La rencontre des deux plaques forma de très hautes montagnes plissées découpées en pics ou en aiguilles, couvertes de neige et de glace, et l'océan Thétys disparut. Les autres grandes chaînes plissées : Alpes, Rocheuses, Andes, Appalaches ont une genèse comparable.

Les cartographes britanniques découvrent en 1749 au cours de leur « relevé de l'Inde » dans une région reculée, un sommet élevé qu'ils appellent Pic XV. En 1852 une nouvelle mission conclut qu'il s'agit de la plus haute montagne du monde que les Tibétains appellent Chomolungma (la Déesse mère du monde). Plusieurs noms furent proposés : Devadhunga (trône des dieux), Guarishankar (fiancée blanche de Shiva). Le mont Everest sera finalement retenu en 1865 par The Royal Geographic Society sur une suggestion de Andrew Waugh, cartographe en chef, en souvenir de son prédécesseur Georges Everest, géographe et cartographe britannique en charge de la cartographie des Indes.

Le K2, deuxième plus haut sommet de la planète fut conquis pour la première fois en 1954 par une expédition italienne. Ce sommet qui culmine à 8.611 mètres fut répertorié par le lieutenant Thomas Montgomerie, cartographe de The Great Trigonometric Survey. Il désigna les sommets du Karakoram par la lettre K selon leur altitude (K1 à K5). En 1858 et suite à une erreur d'estimation, il baptisa le Masherbrum (7.821 m) K1. Reste que le K2 est bien le deuxième sommet de la planète avec ses 8 611 mètres. Les autres sommets furent renommés : Broad Peak pour le K3, Gasherbrum II K4, et Gasherbrum K5.

La chaîne himalayenne parsemée d'aiguilles et de crevasses est parcourue de passages propices aux avalanches et son orographie affecte les épisodes météorologiques. Les grandes expéditions font appel à des routeurs météorologues. La température peut atteindre -40°C, les vents y souffler à plus de 60 m/sec et connaître d'importantes variations saisonnières et d'altitude. Le toit du monde tutoie les cirrus et les jet-streams résultant de la rencontre de l'air froid venu du nord avec l'air plus chaud venu du sud. Le ressenti au froid est accentué par une température basse et un vent violent (température relative). Confronté à ces circonstances extrêmes, l'alpiniste risque la cécité des neiges et des gelures très graves en quelques minutes seulement.

Le globe terrestre est entouré par une couche d'air troposphérique qui s'élève à 14 000 m à l'Equateur et à 6 000 mètres aux pôles. Saussure en 1787 avait déjà mis en cause le manque d'oxygène dans les malaises d'altitude, mais il faut attendre l'ouvrage de Paul Bert « La pression barométrique » pour associer la diminution de la pression atmosphérique à la diminution partielle de la pression d'oxygène responsable de l'hypoxie. Vers 5 500 mètres d'altitude, la pression est divisée par deux (50 kPa) et par trois vers 8 000 mètre (33 kPa). Le mal des montagnes est responsable de : vertiges, fatigue, maux de tête, œdème pulmonaire et cérébral (certaines expéditions emportent avec elles un caisson pneumatique).

L'ascension et la descente n'ont rien d'une sinécure, la zone située au-dessus des 8 000 mètres a été surnommée la « zone de mort ». La raréfaction de l'oxygène et l'inspiration d'air froid entravent le réchauffement corporel, les gestes sont ralentis et le moindre effort est exténuant. Le rythme conseillé de montée au-dessus de 3 000 est d'un jour de repos par tranche de 1 000 mètres supplémentaires ; 3000 m 1 jour, 4 000 m 2 jours, 5 000 m 3 jours, 6 000 4 jours. Le camp de base se trouve vers 5300 mètres, et les camps I à 6 100 m, II 6 500, III 7 400 m et IV à 8 000 m. Ces conditions dantesques ne rebutent aucun « aficionados ». A certains endroits des files se forment et des alpinistes font la queue avant de poursuivre leur parcours vers un camp de base. Des alpinistes n'ayant plus suffisamment d'oxygène doivent faire demi-tour en pleine ascension et les vols de matériel devenus indispensables n'y sont pas rares. La dernière étape vers le sommet s’accomplit à la lampe frontale afin de redescendre au camp IV à la lumière du jour et prévenir tout accident.

En 2007 des médecins britanniques parvenus au sommet du mont Everet ont ôté leur masque à oxygène pendant vingt minutes avant de redescendre 400 mètres plus bas pour effectuer un prélèvement de sang artériel au niveau de l'artère fémorale. La pression d'oxygène dissous dans le sang artériel au niveau de la mer est comprise entre 90 et 110 mm Hg, la leur était à 27 mm Hg ! Un patient présentant un tel tableau clinique hospitalisé serait placé immédiatement sous assistance respiratoire ou intubé. Certaines montres connectées comportent un oxymètre de pouls. La saturation en oxygène normale est comprise entre 95 % et 100 % (selon l’âge). On parle d’hypoxémie lorsque cette valeur est inférieure à 93 % : essoufflement, respiration accélérée et superficielle, cyanose.

Les Sherpas, véritables bêtes de somme, n'ont pas d'autres choix que d'endosser le rôle de « boys » pour quelques happy few fortunés pour assurer la subsistance de leur famille. Hassam, père de trois enfants, avait été engagé par la société Lela Peak et affecté à une équipe russe. Un alpiniste assure du travail à trois locaux. La saison est courte, quatre mois, et ils perçoivent 150 dollars pour une expédition d'une dizaine de jours(l'inflation atteint près de 30 %). Les clients déboursent entre 30 et 90 000 euros. Qu'il pleuve, gèle, neige ou vente, les sherpas transportent une vingtaine de kilogrammes à dos d'homme. La cohorte de sherpas s'ébranle au lever du soleil après avoir dormi sous une bâche en plastique et avalé thé et galettes.

L’Everest et le K2 sont devenus de véritables poubelles à ciel ouvert. Les alpinistes préfèrent se délester du matériel devenu inutile que de le redescendre. Les Sherpas assurent la corvée de nettoyage en redescendant le matériel, les déchets abandonnés et les excréments des WC dans des tonneaux en plastique... « Les déchets posent problème sur deux montagnes : le K2 et l'Everest. (...) Une campagne de ramassage en 2022 a permis de collecter 1,6 tonne de déchets sur le K2. Les cordes abandonnées peuvent induire en erreur des alpinistes, les tentes abandonnées obliger les autres campeurs à s'installer dans des endroits plus exposés, à la merci des éléments ».

Une expédition reste une activité collective. Les « conquérants de l'inutile » ne peuvent se passer de guides ni de porteurs. Si l'Everest a été conquis, la première fois, au mois de juin 1953 par un groupe de Britanniques aidé de porteurs tibétains, le recours à des porteurs est consubstantiel aux expéditions. Au début de la discipline les scientifiques avaient recours à des porteurs locaux pour transporter leur barda. Août 1787 Horace Bénédict de Saussure affronte la « Montagne maudite », la plus haute montagne des Alpes (le Mont Blanc) en culotte courte, tricorne visé sur la tête et accompagné d'une vingtaine de porteurs pour charrier échelles, tentes, matelas, draps, vêtements de rechange, tables de logarithmes et la totalité de l’œuvre d'Horace en latin...

Ce même jour, le 27 juillet, la Norvégienne Kristin Harila, 37 ans, remportait le record du monde détenu jusqu'alors par le Népalais Nirmal Purja. Elle et son guide népalais, Tenjin Sherpa, ont enchaîné treize sommets des plus difficiles en quatre-vingt-douze jours ! Quelques jours plus tard des images de drones échangées entre alpinistes la montraient accompagnée de son équipe : « passer au-dessus du corps visiblement blessé de Mohammad Hassan, tandis qu'elle poursuivait son ascension du K2 pour décrocher le record. Ils se trouvaient à ce moment-là sur le Bottleneck du K2, un couloir étroit et hautement dangereux surplombé par des séracs d'un champ de glace à seulement 400 m au-dessous du sommet ».

L'alpiniste norvégienne de préciser : « qu'il ne semblait pas avoir l'équipement ou la formation appropriée en tant que porteur à haute altitude et que cela semblait avoir été sa première ascension ». Si elle et son équipe avaient décidé de poursuivre leur progression à la suite d'une alerte avalanche, « son » caméraman était resté aux côtés de Hassan pendant deux heures et demie partageant avec lui son oxygène et son eau chaude avant d'être à cours d'oxygène. « Gabriel s'est ensuite dirigé vers le sommet pour rencontrer les sherpas de l'équipe qui avaient des réservoirs d'oxygène supplémentaires ». A leur descente, ils ont constaté que Mohammad Hassan était décédé. Mais qu'ils « n'étaient pas en mesure de descendre son corps en toute sécurité, car il aurait fallu au moins six personnes pour le faire ». Les autorités pakistanaises qui délivrent les autorisations d'ascension ont annoncé l'ouverture d'une enquête. Selon le secrétaire du club d'alpinistes, Karar Haidari : une centaine d'alpinistes ont atteint le sommet du K2 ce jour-là.

Le nombre de morts parsemant les différentes voies d’accès est estimé à plus de trois-cents et les Sherpas représenteraient un tiers des victimes. Les causes les plus fréquentes sont : inexpérience, préparation physique insuffisante, chutes, équipement inadéquate, avalanche, épuisement, erreur d'itinéraire, croisement de cordées, glissement de terrain et tremblement de terre. En 2015, un séisme a écrêté le Hillary Step, une masse de neige et de glace haute de treize mètres.

Les alpinistes se sont préparés mentalement à la rencontre avec ces « morts dans les nuages » dont certains représentent des jalons. En 2006, la mort de David Sharp avait suscité une controverse similaire. Epuisé, il s'était assis à proximité d'un corps connu des alpinistes sous le nom de « Green Boots » à 8 500 m d'altitude avant de mourir d'hypothermie. Une quarantaine d'alpinistes l'avait dépassé sans se retourner. Chacun ensuite de se justifier, il faisait nuit et ils ne l'avaient pas vu dans le faisceau de leur lampe, d'autres l'avaient pris pour « Green Boots » en raison de la couleur verte de ses chaussures. La vérité est peut-être plus terre à terre. Les alpinistes de haute altitude tout comme les navigateurs solitaires sont des aventuriers épris de liberté à la recherche du dépassement de soi et chacun entend rester responsable de son choix. Lorsqu'un journaliste demanda à George Leigh Mallory pourquoi il persistait à vouloir gravir le Mont Everest, Mallory lui fit cette réponse « Parce qu'il est là ». George Mallory et Sandy Irvine furent aperçus pour la dernière fois, le 8 juin 1924 vers 13 heures, sur le versant nord s’apprêtant à franchir le " deuxième ressaut ", un mur rocheux d'une dizaine de mètres perché à 8500 mètres d'altitude. Les deux alpinistes ont-ils réussi à conquérir le plus haut sommet avant de disparaitre ? la question demeure. Une remarque, une correction, une précision ?

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10 réactions à cet article    


  • Brutus Grincheux 24 août 2023 09:50

    "Si l’on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée, c’est toute la cordée qui dégringole"- Emmanuel Macron


    vous n’allez pas chipoter pour un caillou, quand même


    • Hervé Hum Hervé Hum 25 août 2023 14:54

      @Grincheux

      Bah, Macron est le président de la confusion, car la véritable référence n’est pas la corde qui relie une cordée, mais la corde qui reliait le radeau de la Méduse aux premiers à sauver.


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 24 août 2023 15:13

      Merci pour ce sherpa, et honte à ces ’’quelques happy few fortunés’’

      qui l’ont laissé mourir.


      • yvesduc 25 août 2023 06:31

        Excellent, merci pour votre article.

        À voir, le film « Everest  » qui raconte l’histoire vraie d’une expédition particulièrement meurtrière lors des débuts de la démocratisation de l’ascension de l’Everest (arrivée d’entreprises commerciales proposant la prestation clés en main).


        • mmbbb 25 août 2023 09:23

          l alpinisme contemporain est à l image de notre société .

          Seul compte le résultat , fusse à enjamber des cadavres .

          Combien de bagarres de vol de matériels lors de l ascension du Mont Blanc .

          L année dernière en descendant du plan de l Aiguillle , je tombe sur un parking de la ville de Chamonix

          un dépotoir et pourtant ce sont des personnes aisées avec des campings cars de luxe 

          A instar des camps de bases qui sont pollués

          Le genre humain est un porc qui s égosille de ses exploits mais en laissant sa merde .


          • ZenZoe ZenZoe 25 août 2023 11:36

            @mmbbb
            Insultant pour les porcs mon cher !


          • ZenZoe ZenZoe 25 août 2023 11:35

            C’set absolument terrible ce que vous racontez, ces ersatz d’humains seront-ils poursuivis pour non-assistance ?


            • Krokodilo Krokodilo 25 août 2023 13:04

              Beau et impressionnant documentaire sur  l’exploit de Purja et son équipe composée exclusivement de sherpas, les quatorze 8000 en six mois et des poussières. Il a eu du mal à le financer malgré un palmarès déjà solide (et ex-forces spéciales GB montagne) et dit à la fin que les journalistes auraient été bien plus nombreux si la cordée avait été occidentale il a certainement raison...

              Ils ont même trouvé le temps de secourir un alpiniste isolé.

              (Exploit en partie (pb d’autorisation chinoise) battu depuis, par un duo Norvégienne-sherpa)


              • Hervé Hum Hervé Hum 25 août 2023 14:55

                Le sherpa, c’est pas celui qui porte le casse croûte jusqu’au sommet de l’Everest et prend la photo !?

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