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Annus horribilis

« Gisant sur le plancher, était un homme mort, en habit de soirée, un poignard au cœur !… Son visage était flétri, ridé, repoussant !… Ce ne fut qu’à ses bagues qu’ils purent reconnaître qui il était… »

Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray (1891)

 

De l’humiliation qu’il a subie au salon de l’agriculture jusqu’à celle que lui a infligée le vieux Bayrou, le plus jeune président de la Vème aura vécu une année un peu difficile. Il n’en conviendra pas évidemment puisqu’il a une immense capacité de déni et de mépris. Aussi, si dieu lui prête vie, il entendra rester le patron envers et contre toutes et tous.

Des experts se sont interrogés gravement sur sa motivation réelle lorsqu’il s’est décidé à se soumettre à l’injonction de dissolution que venait de lui faire le Bardella à télévision. Lui-même, pour ne pas perdre la face, a déclaré qu’il avait jeté ou lancé une « grenade dégoupillée » pour clarifier la situation. La réponse la plus vraisemblable est qu’il comptait bien voir ce Bardella à Matignon, pour un PACS ou une cohabitation.

Les résultats électoraux ont troublé cette stratégie jupitérienne. Le parti de Bardella est bien devenu le premier en termes de votes et de nombre de députés, mais il n’a pas obtenu la majorité, même relative, pour convoler dans un gouvernement d’union sacrée, nom de dieu !

Le bloc bourgeois, qui prétend s’intituler « socle commun » (encore un emprunt à l’avenir en commun), est désormais profondément divisé quant au soutien à un président affaibli, qui se croit très intelligent, mais qui n’a pas la finesse d’un Mitterrand.

La question se pose pour la classe dirigeante de ce pays : vaut-il mieux miser sur le parti national sécuritaire, La Pen ou le Bardella, dont elle pourra tenir la main ? Ou laisser les islamo bolcheviques s’emparer du pouvoir, quitte à devoir provoquer la faillite économique afin de le faire tomber ? Car c’est cela qu’entrevoit la classe dirigeante : un second tour entre les « extrêmes », entre lesquels elle devra choisir.

De la censure

A tout prendre, je préfère l’excès de caricature à l’excès de censure », disait Nicolas Sarkozy qui s’efforce de rester toujours dans l’actualité. Et il a été entendu par d’anciens opposants qui ont imaginé « un pacte de non-censure ». Tout s’est passé comme si le bureau politique du PS avait pris au mot cette formule de 2006 jusqu’à offrir le spectacle de sa propre caricature.

On a pu les voir, ces chevaliers des « derniers jours du parti socialiste », sortir de Bercy ce lundi 7 janvier. Ce devait être aussi la date de la commémoration de l’attentat contre Charlie. Patatras ! Ce fut d’abord le jour que choisit Jean Marie Le Menhir pour passer l’arme à gauche. Depuis, on tente de le rhabiller en « lanceur d’alerte ». Rien que ça. Louis Alliot est invité pour expliquer calmement que ses condamnations pour antisémitisme, finalement, avec le recul de l’histoire,…bref ce serait mois grave que les soupçons d’antisémitisme qui pèsent sur la France Insoumise. On rappelle aussi son accession au second tour en 2002, mais sans souligner que ce résultat était d’abord la conséquence de l’écroulement du candidat socialiste, qui avait voulu jouer au plus fin, en déclarant qu’il n’était pas socialiste et en favorisant la candidature de Christiane Taubira pour écarter le danger incarné par Jean Pierre Chevènement.

Bref, ce PS des derniers jours a rejoué son histoire depuis 1981. Oubliée, « la rupture avec le capitalisme » qui avait servi à François Mitterrand pour accéder au pouvoir. Attali, Delors et Hollande étaient depuis longtemps déjà résolument convertis aux vertus du néolibéralisme[i]. Avec « mon ennemi, c’est la finance », ce François Hollande était déjà dans la caricature de Mitterrand. En 1985, sous le pseudonyme Jean François Trans, il avait publié La Gauche bouge, pour définir la seule gauche « capable de faire passer sans brutalité le pays de la France d’après-guerre au monde du XXIè siècle » [ii]. On a vu le résultat dans son mandat unique. A peine élu, deux de ses sbires s’employèrent à lui faire comprendre « bouge de là », le plus jeune avec succès. Réélu récemment à la députation, Jean François Trans n’a jamais caché préparer, non pas l’après Macron (puisqu’il ne s’agira là, selon lui, que d’une simple reprise en main), mais l’après Mélenchon. Cependant après des alternances qui n’en étaient pas vraiment (Sarkozy, Hollande, Macron), ce n’est pas gagné. Il ne suffira pas d’invoquer le 7 octobre et de traiter ses opposants d’antisémites. On ne peut pas se moquer indéfiniment les mêmes électrices et électeurs. Certes, on peut les décourager d’aller voter, rétablir ainsi de fait le suffrage censitaire.

Le moment est venu d’appliquer le programme de « la société ingouvernable », de « la crise de la démocratie », et du « faux sans réplique »[iii], étant entendu que cette démocratie ne doit pas être gouvernée par un pouvoir politique qui ne se soumet pas à la loi du marché, ce que la constitution européenne a prétendument institué. Cette réalité, Benyamin Nétanyahou, la formule clairement comme à son habitude, résumant en mot « la recette du « miracle israélien »  : le « capitalisme ».[iv]

Pour ne pas le dire si crûment, si cruellement, les médias officiels français[v], les chaînes et stations privées ou publiques, répètent chacune à sa façon qu’une nouvelle censure serait une catastrophe et combien Mélenchon est méchant d’employer des mots comme « vilenie » et « forfaiture », qui vont nécessiter la consultation d’un dictionnaire de vieux français.

Les choses sont simples au fond : de la même façon que Macron comptait voir Bardella à Matignon, le PS, à commencer par Hollande, n’imaginait pas le FRN voter la censure contre Barnier.

Il ne faut pas oublier que ce parti, ou ce qu’il en reste, est très divisé ; et que seule une partie de ses députés et de son électorat soutient réellement le NFP. L’autre, qui se félicite sans cesse d’un score flatteur aux européennes, lorgne plutôt vers le retour à une « social-démocratie » fantasmée. Mais ce score flirtant avec les 14% est dû pour la moitié ou presque au renfort de macroniens déçus qui voulaient envoyer un signal à leur président. Depuis, ils sont revenus au bercail. Quant au PS, il devrait dans un prochain congrès tenter de faire une synthèse. Pour l’heure, il a décidé de faire cadeau à Bayrou d’une non-censure, même si huit de ses parlementaires ont voté cette censure[vi].

« Obsession présidentielle ». Cette expression résume bien la situation pour peu qu’on ne la réduise pas à l’usage qu’en font le PS et les médias officiels pour disqualifier Mélenchon. Attal, Braun Pivet, Darmanin, Retailleau, Wauquiez seraient exempts d’« obsession présidentielle » ? Et ce qui reste du PS avec son quarteron de candidats naturels, de Faure à Glucksmann, en passant par Hollande qui souhaite ardemment« la confrontation des deux gauches » ?[vii].

Et cette « obsession présidentielle », c’est ce qui résume le mieux le comportement de Macron, enfant perpétuel qui a foutu le bordel dans sa chambre et qui demande à ses valets de la ranger. Il a désormais le choix entre l’issue sud-coréenne et l’issue canadienne, sauf à se risquer à des extrémités roumaines ou irakiennes[viii]. Ces comparaisons pourraient faire hurler les commentateurs professionnels, mais il faut préférer l’excès de caricature à l’excès d’auto censure.

Si une élection anticipée avait lieu, malgré les résultats flatteurs qu’obtiennent toutes les candidatures de droite (RNaissance et cie, DR et FRN) dans les sondages publiés, il est probable qu’un second tour se profile sans eux. Il leur faut donc au moins deux ans pour s’assurer un duel entre l’un (ou l’une) d’entre eux face l’extrême droite dédiabolisée.

Il convient donc ne reculer devant aucun moyen pour disqualifier la gauche dite radicale. Les médias feront tout leur possible pour souligner le caractère extrémiste, violent, voire terroriste, de cette radicalité. Mais cette gauche est simplement réformiste au sens de Rosa Luxemburg. Elle radicale au sens de Marx : elle prend les choses à la racine ». Elle est raisonnable. C’est « la raison qui tonne en son cratère  » et s’oppose à la « déraison dans les arts, les sciences et les métiers », dont nous voyons le spectacle et subissons les nuisances.

 

In girum imus nocte et consumimur igni

Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu.

Cette remarque ne s’applique pas uniquement à la situation politique française, pas plus que le titre de ce billet et la citation d’Oscar Wilde en exergue. Certes, un président ne devrait pas se conduire comme ça : se vanter de la réussite des Jeux de la honte et de la réparation de Notre Dame de Paname pour se refaire une santé. Un cirage de pompes en direct ne suffira pas à lui rendre le respect qu’il a perdu[ix].

L’année horrible, c’est d’abord celle qui a été vécue à Gaza, et une deuxième s’annonce, même si un cessez-le-feu est enfin envisagé.

Le feu qui nous consume est bien réel pour celles et pour ceux qui subissent régulièrement des incendies « naturels ». Et quand ce n’est pas le feu, c’est l’eau qui envahit de plus en plus de territoires sans respecter le droit du sol.

Quant à la mort de Dorian Gray, qui se croyait immortel parce qu’il s’était convaincu que son portrait allait vieillir à sa place, c’est une parabole sur la conscience que les classes dominantes ont d’elles-mêmes. Pas seulement ce Macron qui n’est en somme que le valet fort bien rémunéré de ces classes dominantes. Ce déni de la mort entraîne une violence suicidaire généralisée. Comment interpréter autrement l’attaque du Hamas et la réaction d’Israël ? Qui a piégé qui ? A qui profite le crime ? Un génocide s’annonce qui ne sera pas motivé par des discours de haine, mais justifié par des calculs de réduction des coûts et des bouches à nourrir.

On a pu l’exprimer plus légèrement, il y aura bientôt soixante ans :

« L’histoire présente évoque certains personnages de dessins animés, qu’une course folle entraîne soudain au-dessus du vide sans qu’ils s’en aperçoivent, de sorte que c’est la force de leur imagination qui les fait flotter à une telle hauteur ; mais viennent-ils à en prendre conscience, ils tombent aussitôt.

Comme les héros de Bosustov[x], la pensée actuelle a cessé de flotter par la force de son propre mirage. Ce qui l’avait élevée l’abaisse aujourd’hui. A toute allure elle se jette au-devant de la réalité qui va la briser, la réalité quotidiennement vécue. »[xi]

 

[i] François Denord, LE NEO-LIBERALISME A LA FRANÇAIS (2016) ; Bruno Amable, LA RESISTBLE ASCENSION DU NEOLIBERALISME (2017, 2021)

[iii] Ces mots entre guillemets seront précisés et sourcés ultérieurement.

[iv] Pauline Graulle, le 29 décembre dernier, dans une enquête intitulée : Elnet, un agent d’influence pro-Israël au cœur du Parlement

[v] Il faut compter Médiapart dans médias officiels puisque Pauline Graulle, toujours elle, y titrait sa lettre politique du 13 janvier : Négociations avec Bayrou : et si le PS réussissait (quand même) son coup ?

[vi] Alain David (Gironde), Fatiha Keloua Hachi (Seine-Saint-Denis), Philippe Naillet (Réunion), Claudia Rouaux (Ille-et-Vilaine), Pierrick Courbon (Loire), Paul Christophle (Drôme), Peio Dufau (Pyrénées-Atlantiques) et Iñaki Echaniz (Pyrénées-Atlantiques).

[xi] Raoul Vaneigem, Traité de savoir vivre à l’usage des jeunes générations (1967)


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8 réactions à cet article    



    • ETTORE ETTORE 20 janvier 23:40

      Vu la photo....je me demande,...... Enfin j’ai un doute....

      Vous êtes certain que, « annus » prend bien deux « n » ?


      • Furax Furax 21 janvier 12:26

        @ETTORE
        C’en est un autre avec du poil autour !


      • yakafokon 22 janvier 11:17

        @ETTORE
        Annus en latin,a donné année en français


      • AmonBra AmonBra 21 janvier 15:49

        Merci @ l’auteur pour le partage,

        Des 2 présidents ayant précédé le simili caméléon nommé Macron, même si je n’ai voté pour aucun des trois, mon préféré au plan humain est Sarkozi, probablement parce lui au moins il me fait marrer et puis de temps en temps, un peu comme Chirac que je préférais aussi à Mitterrand, (Jésus-Marie-Josèphe m’en gardent, suis je en train de virer à droite ?) il la ramène avec des propos intéressants qu’il semble penser, ce qui n’est nullement le cas pour les autres faux culs, la tête d’anus. . . En tête. . .


        • Jason Jason 21 janvier 17:46

          Ne vous en faites pas, notre bonhomme a l’habitude des quolibets, des sarcasmes, des critiques et tout ce que vous voudrez, cela fait partie du métier.


          Vous parlez de la fin politique du personnage, mais ne vous y fiez pas. Comme le disait un député, un homme politique n’est mort que quand il est enterré.


          P.S. J’aime beaucoup votre façon de vous présenter, la légèreté est rare par les temps qui courent (si tant est que le temps puisse courir). J’ai fait imprimer sur ma carte de visite « Abonné au gaz et à l’électricité ».

          Jason


          • Panoramix Panoramix 21 janvier 19:13

            Des trois derniers présidents, Hollande est le seul à avoir réduit d’année en année les déficits publics. C’est forcément impopulaire vis à vis de son électorat, mais Macron qui a distribué des chèques à tout va et plombé la dette arrive à être encore plus impopulaire.


            La France est désormais complètement déclassée aux yeux du reste du monde, finalement les ’’agences de notation’’ sont bien indulgentes vu l’état calamiteux de l’économie productive du pays, la suradministration paralysante et ruineuse, l’assistanat permettant parfois aux non-cotisants et irréguliers d’être mieux pris en charge que les cotisants.


            • yakafokon 22 janvier 11:13

              Une idée m’est venue, qu’elle est bonne !

              La France a un gros problème d’assimilation, avec les immigrés.

              C’est une situation facile à régler : on transforme toutes les églises en mosquées, y compris les cathédrales, et l’on met le croissant et l’étoile de l’Islam sur le blanc du drapeau français !

              Au point de lâcheté où l’on est arrivé, ça ne devrait choquer personne !

              Et l’on va gagner du temps, au lieu de palabrer des mois autour des baobabs de l’Assemblée Nationale et du Sénat !

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