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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Approcher « la Philosophie »

Approcher « la Philosophie »

« Quand tu philosophes, tu planes, à te poser trop plein de questions abstraites, spéculatives et inutiles. C'est (du) délire. Tu fais totalement ce que tu veux. » Voilà, à peu près, le genre de propos sur lequel voudrait revenir cet article.

 

« La Philosophie »  : un bien trop grand mot, certes utile

Déjà, dire « la » « Philosophie » est beaucoup dire. Y en a-t-il bien une, de philosophie, et non plusieurs ? Et puis, la Philosophie se présente-t-elle comme un tout ? ... Pas vraiment. Est-ce un problème ? ... Pas vraiment non plus.

En effet dans la vie, il y a différents arts & métiers, différents goûts & loisirs. Qui cela dérange-t-il ? ... Et pourtant, tout cela est rangé sous les catégories vie professionnelle et vie personnelle. C'est-à-dire que la philosophie est un terme ayant ce degré de généralité.

Personne n'est capable d'envisager l'ensemble de la vie professionnelle ni a fortiori des vies personnelles. Où donc, « la Philosophie », c'est pareil. Pourquoi ? ... Tout simplement parce que « la Philosophie » peut raisonner sur tout. Or, comme « tout, c'est très vaste », vous avez la raison pour laquelle ...

  1. la philosophie semble floue : en fait, elle est aussi floue que si vous cherchiez à penser à tout en même temps : personne n'est capable d'une telle attention en dehors d'un esprit cosmique, s'il existe seulement (un dieu, par exemple) ;
  2. quelques branches de la philosophie s'interrogent sur le tout, telles que la métaphysique (la réflexion sur les principes ultimes, s'il y en a bien quelques uns), l'ontologie (la recherche raisonnée de ce qu'est l'Être, s'il y en un bien un) ou l'épistémologie (la mise en question des connaissances elles-mêmes, connaissance de la connaissance).
  3. certain·es philosophent si témérairement, qu'ils·elles produisent des raisonnements sans teneur, à vous faire une mauvaise réputation à « la Philosophie », voire à entretenir l'idée de « la Philosophie » comme une, se présentant comme un tout.

En fait, « la Philosophie », sous un angle, c'est tout comme « la Science » : pas plus qu'en philosophie, « la Science » ne se présente comme totale et une, même s'il arrive aux médias de présenter des tentatives d'unification. La plupart du temps, d'ailleurs, ces tentatives d'unification concernent un seul domaine, la physique, domaine qui lui-même se divise pourtant en plusieurs (la mécanique et la chimie, par exemples).

En somme ? ... « La Science », ça n'existe pas comme cela, mais bien comme une pluralité de pratiques éclectiques, propres à toutes les équipes de recherche différenciées, réparties tout autour de la planète, selon leur domaine, leur spécialisation de recherche, mais aussi les dynamiques d'équipes.

 

Philosophie contre Science ?

A ce point, les gens trouvent spontanément que « quand même, la Science, c'est plus valable que la Philosophie », mais un tel avis est justement quelque chose qui se discute philosophiquement (en épistémologie, notamment).

Comment cela ? ... Eh bien, cette témérité de trouver « la Science » plus valable que « la Philosophie », elle est déjà une option philosophique en faveur de « la Science » (en plus de prendre « la Science » et « la Philosophie » pour totales et unes, spontanément).

D'ailleurs encore au XIXème (début de notre ère industrielle) l'expression « la Philosophie » servait à désigner l'ensemble des savoirs humains. A la charnière du XVIIIème siècle (siècle des Lumières) et du XIXème siècle, un philosophe aussi impressionnant que Hegel explique que sa philosophie recherche « la Science » (in préface à la Phénoménologie de l'esprit) : pour vous dire comme les notions ne sont pas séparées ! ... Ou bien, notre fameux Descartes (je pense donc je suis), grand mathématicien, estime au XVIIème siècle (Grand Siècle) que les sciences prennent philosophiquement racinent dans la métaphysique, et tout ensemble (la métaphysique et les sciences) forment la philosophie naturelle. Isaac Newton, en clair, était un philosophe naturel, quand il produisit la théorie de la gravité.

« Oui mais », reprennent les gens spontanés, « ce sont des affaires de mot tout ça, et il y a bien une différence entre la Philosophie et la Science ». Malheureusement, on voit mal comment les recherches scientifiques seraient nées des recherches philosophiques, à ce compte ! car elles sont bien nées des recherches philosophiques.

« Non mais, il y a bien une nuance aujourd'hui, entre les résultats de la Science et les rêvasseries de la Philosophie. » ... Non plus. Car, même si la plupart des scientifiques n'ont pas l'impression de philosopher et d'être bien loin de la « la Philosophie », à exercer « une activité sérieuse, enfin rationnelle et concrète, par rapport la Philosophie » ... il se trouve qu'ils répètent les gens spontanés. Pire : ils donnent une sorte de crédit aux gens spontanés, parce que leur métier scientifique procure une notoriété, avec l'aura d'expertise qui va avec. Malheureusement cette expertise, ils ne l'ont pas, en dehors de leurs recherches scientifiques ; pour tout le reste, ils s'expriment spontanément comme les gens.

 

Que font les sciences, au juste ?

Les recherches scientifiques procèdent selon un principe de manipulation concrète : on attend d'elles de pouvoir manipuler concrètement les choses, soit en ouvrant de nouveaux horizons manipulatoires, soit en augmentant des puissances manipulatoires déjà ouvertes. C'est ainsi que du télégraphe, on passe au téléphone, et du téléphone réservé à l'élite, au réseau des télécommunications, puis de ce réseau terrestre au réseau satellite, satellites qui rendent possible la téléphonie cellulaire, avant qu'on transforme nos téléphones cellulaires en micro-ordinateurs interconnectés - par exemple. Bref : on manipule concrètement les possibilités de communiquer, en élargissant leurs horizons et en augmentant leur puissance.

Evidemment, toutes les sciences n'ont pas d'applications aussi rentables : elles souffrent de précarisation autant que le reste. Néanmoins, après une phase de découverte, on escompte des sciences des possibilités manipulatoires concrètes. C'est-à-dire que les sciences systématisent le bricolage et l'artisanat, au point de pouvoir inventer l'industrie - par exemple.

 

La philosophie est-elle inutile, rapport aux sciences ?

Le principe de manipulation concrète qui règne sur les sciences, leur accorde-t-il le monopole de l'utilité ? ... Car c'est une autre objection faite à « la Philosophie » (le procès est permanent). Eh bien non.

En effet, la manipulation concrète, d'une part, est rendue possible par l'empirio-rationalisme - l'empirisme et le rationalisme philosophiques, en philosophie naturelle. C'est-à-dire que les sciences restent la philosophie naturelle de nos jours. Et puis, d'autre part, cette philosophie naturelle centrée sur la manipulation concrète, ne dit absolument rien quant aux choix moraux, sociaux et politiques à opérer alors.

C'est-à-dire que tout progrès scientifique, on le sent, n'est pas automatiquement un progrès moral, ni un progrès social, ni un progrès politique. Tout cela se décide et, en l'occurrence, c'est l'affairisme qui décide. Et ça décide que seules les recherches scientifiques aux applications manipulatoires concrètes rapides, sont des progrès moraux, sociaux et politiques, parce que ces progrès permettent de faire du profit. La planète Mars est riche en fer, aussi gagnera-t-on à en faire des affaires.

Le lucre tient lieu de philosophie morale, sociale et politique, quoiqu'un certain réalisme politique (philosophique lui-même) explique qu'on craigne de voir autrui développer plus rapidement tels horizons et telles puissances. Aussi ne serait-il pas stratégique de rester sur le touche de tels progrès finalement techniques : on se panique dans cet ordre d'idées, et l'on appelle cela « les réalités ».

 

Qu'en déduire quant à la philosophie ?

« La Philosophie » passe pour fermée sur de tels horizons et bien impuissante devant toutes ces « réalités ». Aussi est-elle disqualifiée d'entrée de jeu, encore qu'un·e philosophe prenne parfois place dans certaines comissions et autres comités (think tanks) tels qu'André Comte-Sponville et Cynthia Fleury, sans parler de leurs apparitions médiatiques (Clément Rosset, Alain Finkielkraut, Michel Onfray, Raphaël Enthoven, Medhi Belhaj Kacem, etc.).

Car les philosophies et recherches philosophiques idoines, éparses et variées ont belles et bien lieu, avec intérêt. Au-delà de certains cafés-philo parfois trop légers ou prétentieux, au-delà de certains forums parfois trop festivaliers ou internautiques, au-delà de certains rayons de développement personnel, psycho, philo-pratique et même ésotérisme ... il y a des vies philosophiques - vies intelligentes, sagaces et factives, plus ou moins cohérentes, plus ou moins prégnantes, plus ou moins mûries. Et, parfois, ça fait un·e philosophe notoire, voire original·e, avec une philosophie conséquente.

Mais, couramment, la philosophie permet de devenir vivement quelqu'un·e, donc de pouvoir vivre plus judicieusement. Vivre judicieusement  : quelque chose de rare ? ... En tout cas, pour soi-même, il n'y a que chacun·e pour le savoir, l'amplifier ou s'en détourner.

Comme disait Epicure : « Il ne faut pas faire semblant de philosopher mais philosopher réellement. Car ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de paraître en bonne santé, mais d’être réellement en bonne santé. »

Mal' - LibertéPhilo

 


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