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Accueil du site > Tribune Libre > Arrias, pour confondre tous les vaniteux...

Arrias, pour confondre tous les vaniteux...

Voilà un portrait de la Bruyère qui dénonce un caractère humain intemporel : le vaniteux, c'est un portrait en action original car l'auteur ne décrit pas l'aspect physique du personnage, il n'énumère pas non plus ses défauts, mais il nous fait percevoir ses caractéristiques morales en nous montrant sa façon d'agir : c'est ce que l'on appelle un portrait en action, technique souvent utilisée par cet auteur du 17ème siècle.
 
La Bruyère sait mettre en scène ce personnage qui nous est présenté à travers une anecdote exemplaire : au cours d'une conversation mondaine, à la table d'un homme important, Arrias trouve une occasion de briller...
Et l'occasion est particulièrement tentante : on parle "d'une cour lointaine"... il pourra, ainsi, inventer à loisir...

Puis, comme dans une pièce de théâtre, intervient un conflit qui montre que le personnage ne supporte pas la contradiction.

Certaines indications font penser à des didascalies théâtrales : "il en rit le premier jusqu'à en éclater" "avec plus de confiance..."
Arrias semble victorieux, il cite même le nom de "Sethon, ambassadeur de France", pour justifier ses propos.

La scène s'achève sur un coup de théâtre final : un renversement de situation qui ridiculise Arrias, puisqu'il se trouve devant Sethon, en personne. Le hâbleur est condamné à se taire jusqu'à la prochaine occasion où il pourra encore briller...
 
En fait ce personnage nommé "Arrias" parle plus qu'il n'agit, le champ lexical de la parole est particulièrement développé : "on parle, il prend la parole, il discourt, il récite, dit-il, je ne raconte..."
Arrias est avant tout un beau parleur.... et il représente un défaut principal : la vantardise.

Ce défaut s'incarne dans cette volonté qu'a le personnage de s'imposer à autrui par la parole.
Une succession de phrases courtes, sans mot de liaison nous montre qu'Arrias monopolise la parole. La Bruyère sait utiliser différents types de discours pour mettre en évidence la faconde intarissable du personnage : discours indirect, indirect libre, discours direct.

Arrias apparaît aussi comme un être égocentrique, plein d'assurance, et d'autosuffisance, ce que suggèrent 6 occurrences du pronom personnel "je" : " Je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'original : je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance. "
La répétition du mot "tout" dans la première phrase du portrait souligne son assurance : "Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c'est un homme universel, et il se donne pour tel..."

De plus, ce personnage est violent, excessif, sans gêne, autoritaire : non content de monopoliser la parole et l'attention, il s'emporte facilement, si quelqu'un vient à le contredire : "Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l'interrupteur."

A la fin du portrait, le personnage, confondu par son interlocuteur, s'efface : on ne voit pas sa réaction, il devient inconsistant.
 
Les Arrias sont encore si nombreux à notre époque !
Certains se reconnaîtront-ils dans ce portrait ? La vanité dont ils font preuve risque de les aveugler encore et toujours, sans doute...
Mais ils sont nombreux les fanfarons de pacotille, les bouffons petit pied, les prétentieux beaux parleurs...
Ils sont nombreux les hâbleurs qui essaient de s'imposer par un verbe haut et des mensonges.

"L'oeuvre de La Bruyère tend un miroir à l'âme pour qu'elle s'y regarde à fond et quand nous croyons rire d'un tel, Pamphile ou Cliton, c'est déjà de nous qu'il est question..."

 

Le blog :

http://rosemar.over-blog.com/2017/10/arrias-pour-confondre-les-vaniteux.html

 
 
Le texte : 

Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c'est un homme universel, et il se donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. On parle à la table d'un grand d'une cour du Nord : il prend la parole, et l'ôte à ceux qui allaient dire ce qu'ils en savent ; il s'oriente dans cette région lointaine comme s'il en était originaire ; il discourt des mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu'à éclater. Quelqu'un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l'interrupteur : « Je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'original : je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance. » Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait commencée, lorsque l'un des conviés lui dit : « C'est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive fraîchement de son ambassade. » 
 
 

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Arrias, pour confondre tous les vaniteux...

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7 réactions à cet article    



    • rosemar rosemar 16 octobre 2017 18:25

      @Sozenz

      MERCI pour cet extrait : la vanité et l’orgueil peuvent mener au pire... les grecs anciens condamnaient ce qu’ils appelaient l’hybris, une forme d’orgueil et de démesure...

    • Agafia Agafia 16 octobre 2017 19:22

      Je, je, je, je... moi, moi, moi...


      Il me fait penser à un auteur d’Avox votre vaniteux Arrias ^^ Du genre mégalo-narcisso qui se croit incontournable, indispensable, toussa toussa.
      Qui pense être calife à la place du calife... Qui croit même qu’il sait écrire ! ^^

      • rosemar rosemar 16 octobre 2017 19:33

        @Agafia

        On peut penser aussi à certains commentateurs, des « Monsieur, je sais tout... », non ?

      • Bernie 2 Bernie 2 16 octobre 2017 19:37

        @rosemar

        A bon chat, bon rat.


      • rosemar rosemar 16 octobre 2017 21:16

        @covadonga*722

        L’écriture inclusive : quelle bêtise !

      • Christian Labrune Christian Labrune 17 octobre 2017 01:34

        Les Arrias sont encore si nombreux à notre époque !
        ---------------------------------------------------------------
        Rosemar,
        Je me disais bien en commençant la lecture que vous deviez avoir quelque idée derrière la tête !
        Celles et ceux qui devraient se reconnaître dans le portrait, pourtant, ne s’y reconnaîtraient certainement pas parce qu’il ne conviendrait pas à leur narcissisme.
        Le narcissisme est une grande faiblesse et c’est pour cette raison probablement que celles et ceux qui en sont atteints seront à tout jamais incurables ; ils ou elles n’auront jamais assez de force pour triompher d’eux-mêmes ou d’elles-mêmes. Un autre moraliste, La Rochefoucauld, le remarquait déjà un peu plus tôt dans l’une de ses maximes : « la faiblesse est le seul défaut que l’on ne saurait corriger ».
        Bref, on en a encore pour près de cinq ans, avec celui-là.

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