Après le contre-la-montre par équipe d’hier et le triomphe de l’équipe Astana, qui place cinq de ses hommes dans les sept premières places du classement général, il ne fait aucun doute que Lance Armstrong, meilleur coureur de son équipe et second au classement (à égalité avec le Suisse Fabian Cancellara), sera dans les prochains jours au centre de toutes les réflexions... et de toutes les suspicions.
Succès et impopularité
Il est vrai que le Texan a toujours fait figure d’homme à abattre sur le Tour de France, depuis sa victoire inespérée en 1999, un peu plus d’un an après avoir guéri d’un cancer du testicule, jusqu’à son ultime succès en 2005, au nez et à la barbe de la prétendue relève du cyclisme international (de l’Espagnol Francisco Mancebo à l’Italien Ivan Basso, tous deux mêlés l’année suivante à l’affaire Puerto, scandale de dopage retentissant) et surtout devant des Français condamnés à l’impuissance. Ainsi, dans une interview à L’Humanité (27 août 2005), Thomas Voeckler, alors chouchou du public, déclarait : "Les révélations de son [Armstrong] dopage en 1999 remettent en cause ses victoires suivantes. En même temps, je considère cela comme un cas supplémentaire, rien de plus. Je suis fataliste". Toutefois, le coureur français admettait un peu plus loin que "quand on a un coup de blues, on a vite fait de noircir le tableau et de se dire que ceux qui sont devant n’ont pas les mêmes moyens physiques"...
La première chose à signaler est que ce prétendu "dopage" sur le Tour en 1999, conséquence de l’article de L’Equipe du 23 août 2005 (6 échantillons d’urine auraient été contrôlés positifs à l’EPO, substance indétectable à l’époque et qui permettrait d’améliorer les performances d’un sportif d’environ 10%), n’a jamais été confirmé, Lance Armstrong mettant en avant pour sa défense la possibilité de manipulation des échantillons par les chercheurs, ainsi que la destruction antérieure des échantillons A, ce qui limitait selon l’Américain la crédibilité du test. En tous les cas, cette révélation du quotidien sportif n’a jamais été véritablement prise au sérieux par les spécialistes, en dépit du "choc" d’abord occasionné.
Ensuite, Lance Armstrong a toujours pâti de son image de miraculé, ce qui n’est pas pour nous surprendre quand on sait l’acharnement des spectateurs français à ne pas croire aux "succes stories" à l’américaine, à imaginer qu’on ne peut briller après avoir traversé la pire des maladies. Cette habitude de supposer que derrière la version officielle, il y a fatalement imposture, dissimulation, triche, qui explique la multiplication d’articles sur internet remettant en cause le rôle d’Al Qaida dans les attentats du 11 septembre ; oui, cette manie qu’ont les Français de se faire chacun porte-parole de vérités qui leur sont propres, aussi fantaisiste soient-elles, et pourvu qu’elles soient le plus loin possible de ce qu’énonce l’autorité, c’est cela, le talon d’Achille du prodige Lance Armstrong. Pendant ses années de succès et d’impopularité, il aura vu défiler sur les cols qu’il escaladait avec maestria des messages plus insultants les uns que les autres, et entièrement infondés. Ces "Armstrong = EPO" ne peuvent avoir été tracés que par des médisants, apologistes de la violence gratuite, tant morale que physique. Cette incrédulité devant tout ce qui ressemble de près ou de loin à de l’héroïsme est tout aussi offensant à l’égard de ce coureur français, Sébastien Joly, atteint lui aussi d’un cancer des testicules en 2007, et aujourd’hui revenu à son meilleur niveau, en lice sur le Tour de France 2009, et plus motivé que jamais. C’est aussi cela, la marque d’un grand champion.

Astana, une équipe sulfureuse
Un autre élément qui ne manquera pas dans les prochains jours d’entretenir le doute autour des performances de Lance Armstrong, c’est son équipe. Sous licence Kazakh (ce qui ne sera pas pour déplaire aux fiers pourfendeurs du dopage de masse en Union Soviétique dans les années 70 et 80), l’équipe née en 2005 a en effet accumulé dès l’année de sa création les scandales de dopage. Son leader sur le Tour d’Espagne 2005, l’Espagnol Roberto Heras, par ailleurs ancien coéquipier de Lance Armstrong, est convaincu de dopage à l’EPO alors qu’il vient de remporter le classement général. L’année suivante, l’affaire Puerto (mai 2006) concerne bon nombre de ses coureurs, pour la plupart d’origine espagnole, tant et si bien que l’équipe, jusque-là sous co-sponsorat américain, voit l’assureur Liberty l’abandonner aux seules mains d’entreprises du Kazakhstan désireuses de vendre leur image suspecte à l’étranger. L’année 2007 arrive à un moment où Astana doit absolument redorer son blason. Mais le pire est à venir. En juin, le coureur allemand Matthias Kessler est contrôlé positif à la testostérone, et en juillet, c’est au tour de l’Italien Eddy Mazzoleni d’être renvoyé par son équipe pour dopage. Le Tour de France est l’apogée de cette année catastrophique : le leader Alexandre Vinokourov, l’un des favoris pour la victoire finale, est contrôlé positif à la transfusion sanguine, et Astana quitte le Tour, prenant la fuite devant la police et les médias. L’année 2008 est donc celle de la méfiance devant la crainte d’un nouveau scandale pouvant ternir la réputation d’épreuves cyclistes telles que Paris-Nice ou le Tour de France : l’équipe sera toutefois invitée sur le Tour d’Italie puis sur le Tour d’Espagne, qu’elle remporte grâce à son nouveau leader, l’Espagnol Abert Contador. C’est dans ce contexte que Lance Armstrong, malgré tous les soupçons, s’est engagé avec Astana dès la fin de l’année 2008. Il est vrai qu’il y avait sans doute des équipes à l’image plus reluisante. Mais auraient-elles voulu du Texan ?...
Lance Armstrong, retraité depuis 2005, et qui revenait pour gagner de nouveau le Tour de France, n’était certes pas épargné par les mésaventures de ses anciens coéquipiers de 1999 à 2005. Pas moins de cinq d’entre eux avaient depuis la retraite de l’Américain été rattrapés par la patrouille antidopage (les Américains Tyler Hamilton et Floyd Landis, les Espagnols Roberto Heras et Manuel Beltran, le Tchèque Pavel Padrnos). Ce que certains voient comme des preuves de la culpabilité de Lance Armstrong ne peut en effet que nuire à son image, sans toutefois constituer un indice suffisant. Rappelons que le champion américain n’a jamais été contrôlé positif, et qu’il a pourtant été contrôlé à plus de trente reprises cette année.
Une course palpitante
En tous les cas, le retour de Lance Armstrong s’accompagne d’un début de Tour prometteur. S’il est déjà second au classement général (mais à quelques centièmes de secondes seulement du premier), et si la plupart des favoris sont largement distancés (du Russe Denis Menchov à l’Australien Cadel Evans, en passant par le tenant du titre, l’Espagnol Carlos Sastre), mis à part le Luxembourgeois Andy Schleck qui limite les dégâts, le duel qui se profile à l’horizon devrait opposer Armstrong à son coéquipier Alberto Cantador, déjà vainqueur en 2007. Dès lors, qui sera le leader de l’équipe Astana ? L’équipe sera-t-elle contrainte de quitter le Tour s’il s’avère que l’un de ses coureurs a consommé des substances illicites ? Lance Armstrong saura-t-il faire parler son expérience et sa science de la course, et faire ainsi oublier ses 37 ans ? Mais surtout, le public français pourra-t-il se réconcilier avec le champion américain ? Autant de questions auxquelles on ne pourra répondre avant l’arrivée sur les Champs-Elysées, tant le Tour s’annonce palpitant.