Austérité : la saignée ne fait que commencer
La séquence s’était déroulée sur le plateau de BFM Business, lors du vote du budget 2022. Un certain Christian Chavagneux, docteur en économie et journaliste économiste très investi sur la dénonciation des paradis fiscaux, est interrogé par le présentateur Nicolas Doze dans son émission Les experts.
« Moi 2022 honnêtement ne m’intéresse pas beaucoup. C’est une année électorale, le gouvernement crache un peu plus d’argent public, un grand classique. Moi ce qui m’inquiète c’est la suite, c’est l’éventuel futur deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron. J’ai eu la curiosité d’aller regarder le programme de stabilité que la France a envoyé au début de l’été à la Commission Européenne, concernant 2023 et les 5 ans qui suivent. Et là j’ai été sidéré. Généralement on commente le déficit budgétaire, les dépenses moins les recettes. Or il y a un autre chiffre dans le programme de stabilité de la France c’est le déficit primaire hors effets de la conjoncture. Et là je m’aperçois qu’en 2022 ce déficit est à 3.6 % du PIB et que 5 ans plus tard il est prévu à 1 %. Une division drastique ! Vous allez deux pages plus loin et vous découvrez que vous avez pour les 5 ans à venir une baisse des dépenses publiques de plus de 3 points de PIB. Jamais depuis 1960 on n’est arrivés à baisser de plus de 3 points de PIB la dépense publique ! Ça donne une orientation politique. Quelle est l’orientation politique de l’éventuelle futur ministre de l’Économie ? Une réduction DRASTIQUE des dépenses publiques. Comment ils font ça ? 85 % de cette baisse s’explique comment ? Un petit bout concerne l’investissement public qui en pourcentage du PIB va baisser. Alors quand le gouvernement nous dit « on fait faire sur la transition écologique, sur la transition numérique ... », « on va mettre beaucoup d’argent », non ! Le deuxième c’est la réduction du nombre de fonctionnaires. Et le troisième, et c’est le plus gros, c’est la baisse des dépenses sociales. Donc la réforme des retraites, et peut-être d’éventuelles autres réformes de l’assurance chômage, peut-être que ça aussi c’est en filigrane. En tout cas voilà le programme budgétaire post 2022 : de l’austérité comme on en a jamais connue en France. En tapant sur les fonctionnaires, sur les investissements publics et sur les dépenses sociales ».
Un peu plus d’un an après, la veille du premier jour de la présentation du projet de la réforme des retraites en commission parlementaire, notre désormais actuel « futur ministre de l’économie et des finances » Bruno Lemaire du désormais actuel « éventuel futur deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron, déroulait le menu en Une du Journal du Dimanche où il a table ouverte.
Titre de l’article ? « Je veux passer au peigne fin toutes les dépenses » !
Et pour ceux qui auraient la flemme de lire la suite, un sous-titre on ne peut plus explicite :
Alors que la dette publique est en passe d’atteindre le seuil symbolique des 3 000 milliards d’euros, le ministre de l’Économie annonce des « réductions significatives » dans le budget 2024.
Vous commencez à comprendre pourquoi Elizabeth Borne, en une aimable sortie en stéréo le même jour, a déclaré se montrer inflexible quant au recul de l’âge de départ en retraite fixé à 64 ans, prenant ainsi le risque parfaitement contrôlé de braquer la totalité de ses opposants ?
Celles et ceux qui ont pris l’habitude de s’informer à certaines sources en temps et en heure ne seront en rien surpris. Le gouvernement actuel ne fait rien d’autre que dérouler tranquillement une feuille de route signée depuis 2021 avec Bruxelles qu’ils s’étaient en son temps bien gardés d’exposer à l’opinion. Quelques voix à l’époque s’étaient élevées pour alerter l’opinion en vain, aussitôt recouvertes par les caquètements des perroquets. Si ma mémoire est bonne, à l’époque, on ne parlait surtout que de grand remplacement et de créolisation.
On comprend ainsi pourquoi au printemps dernier notre aimable suzerain s’était tant hâté de reculer non point l’âge de la retraite mais la date de son entrée en campagne. Également pourquoi la presse de ses soutiens se contentait de gloser sur ce faux suspens sans jamais nous mettre sous le nez ce fameux programme de stabilité qu’ils avaient pourtant tous sur leur bureau. Aussi pourquoi Macron s’était interdit d’échanger avec quelque concurrent que ce soit lors de débats où auraient pu être discutés certains sujets qu’on voulait à tout prix éviter. De même pourquoi on eut tous l’impression d’une campagne gadget aussi ennuyeuse que vide, dont on avait en conscience ôté les seuls sujets qui réellement comptaient.
Habilement, Macron n’avait lors de sa campagne en trompe l’œil lancé guère que deux galops d’essai en guise de provocations : la réforme des retraites et le conditionnement du RSA à quelques heures de travail hebdomadaires. Autrement dit : une variable d’ajustement parmi d’autres dans la saignée d’austérité planquée sous le tapis, agrémentée d’un petit clin d’œil à droite pour séduire les électeurs de Pécresse. Juste avant d’opérer un rapide salto arrière sur la transition écologique entre les deux tours, en promettant une nouvelle fois d’en faire la cause de toutes les causes. Sans bien entendu préciser que ceci se ferait sous condition de baisse des investissements publics dans la part de PIB.
Tout ayant été fait pour cacher les véritables enjeux du scrutin présidentiel de 2022, nos chers compatriotes ont donc reconduit les yeux grand fermés le même obligé des actionnaires à qui ce dernier avait par anticipation déjà adressé le budget prévisionnel pour le renouvellement de son propre mandat. Lequel mandat fut donc renouvelé par ceux-là même qui pour beaucoup d’entre eux semblent découvrir les premières salves du pot aux roses, Plutôt cocasse, non ?
N’y voyez de ma part aucune ironie mal placée, mais je ne cesse de m’étonner que tant et tant de mes compatriotes en soient encore à espérer, après l’avalanche de contre-exemples que l’actualité depuis au bas mot 2003 leur a opposés, que la rue et les mouvements de protestation que nous allons continuer à voir se déployer ont quelque chance de faire reculer d’un millimètre un pouvoir aussi déterminé. On peut certes à loisir continuer à gloser à vide sur la psychologie de celui dont tant et tant n’ont pas vu venir avec des mois d’avance combien sa réélection ne serait qu’une formalité et un blanc-seing à poursuivre quoi qu’il en coûte la feuille de route entamée les cinq premières années. Au cœur de l’Empire, un tout petit village résiste contre les assauts des gaulois réfractaires, retranché sous les dorures du Palais de l’Élysée, auxquels ces derniers ont refilé en avril dernier leur dose de potion magique. La saignée ne fait que commencer.
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