Bienvenue dans la Vallée Étroite !

L’histoire commence le 29 mai 1343 lorsqu’Humbert II cède le Dauphiné à la France en échange, entre autres, d’un statut particulier pour les populations des cinq Escartons (regroupements de communautés) qui composent le Briançonnais de l’époque. Deux de ces Escartons font actuellement partie du territoire français (Briançon et le Queyras) et trois du territoire italien (Oulx, Pragela devenue Pragelato et Château-Dauphin devenu Casteldelfino). Cet ensemble, abusivement connu depuis 1856 sous le nom de République des Escartons, est en réalité une zone de franchise qui bénéficie d’un certain nombre d’avantages, notamment fiscaux, qui fait des habitants du Briançonnais ce que l’on appelle des francs-bourgeois.

Cette unité territoriale est brisée le 11 avril 1713 par la signature du Traité d’Utrecht. Conformément aux engagements pris, la France cède au royaume de Piémont-Sardaigne les trois Escartons d’Oulx, de Pragela et de Château-Dauphin. Les privilèges du Briançonnais sont définitivement abolis le 4 août 1789. Pour la Vallée Étroite, tout cela n’a guère d’importance : dauphinoise ou piémontaise, pastorale elle était, pastorale elle demeure, bien loin de l’agitation politique. 

Rattachée à la commune de Névache

L’histoire rebondit le 10 février 1947 avec la signature du Traité de Paris par les Alliés et les forces de l’Axe. D’une part, ce traité garantit la dénazification et la répression des crimes de guerre. De l’autre, il acte un certain nombre de rectifications de frontières dans différents pays d’Europe. Parmi elles, la cession par l’Italie à la France des communes de Tende et de La Brigue (Alpes Maritimes), bien connues des randonneurs du Mercantour. La plupart des Français intéressés par l’histoire contemporaine savent cela. Ce que beaucoup ignorent en revanche, c’est qu’à l’annexion de ces deux communes est venue s’ajouter celle d’une petite vallée alpine accessible uniquement depuis… la ville italienne de Bardonècchia : la Vallée Étroite. 

Physiquement, la modeste Vallée Étroite est parallèle à celle de la Clarée. Elle est séparée de sa grande sœur par un éperon montagneux couvert de mélèzes dont l’extrémité nord vient buter sur les contreforts du majestueux Mont Thabor (3178). Un Thabor (rien à voir avec son célèbre homonyme du Sinaï) dont l’ascension, que ce soit au départ de la Vallée Étroite ou des villages d’altitude de la Maurienne, constitue l’un des grands classiques de la randonnée alpine. 

Dès 1947, la Vallée Étroite est donc un territoire français. Mais un territoire accessible, depuis la Clarée et la commune de Névache à laquelle il été rattaché par le Traité de Paris, uniquement à pied ou à skis, via le col de l’Échelle (1762 m) ou le col des Thures (2194 m) ! La situation ne pouvait évidemment pas s’éterniser ainsi. Il faudra pourtant attendre le 15 août 1968 – plus de vingt ans après ! – pour que soit enfin inaugurée une route reliant Névache à Bardonècchia via le Col de l’Échelle et donnant accès, en contrebas du col, à l’ancienne et chaotique route Bardonècchia-Les Granges (Vallée Étroite). Et une quinzaine d’années de plus pour qu’elle soit entièrement goudronnée !

Il conto dei francesi ! 

Depuis, rien n’a réellement changé dans la Vallée Étroite : devenue française sur le plan administratif, elle est restée italienne pour ce qui est de la propriété et de la signalétique. À cet égard, les deux refuges de la vallée symbolisent parfaitement cette situation originale, que ce soit le rifugio Terzo Alpini, dénommé ainsi en hommage au 3e Régiment Alpin italien, ou le rifugio I Re Magi dont le nom – les rois mages – fait référence aux pointes Gaspard, Melchior et Balthazar qui dominent la rive orientale de la vallée. Et que dire du téléphone ? Italien lui aussi, il vous faudra passer par le préfixe 039 si vous appelez l’un des rares numéros de la vallée !

Par exemple celui du rifugio Terzo Alpini (également appelé Tre Alpini). Ce refuge abrite les quatre seuls habitants permanents de la vallée, tous italiens. Nantis du statut de résidents français, ils accueillent les randonneurs et les skieurs dans la bonne humeur et la convivialité. Il y a quelques années, j’y ai déjeuné avec ma femme et mon fils au cours d’une randonnée. Ce jour-là, nous étions les seuls Français dans la salle. Nous avions pris une polenta arrosée d’un pichet de vin. Le café bu, nous avions demandé l’addition à la serveuse. « Il conto dei francesi ! » avait-t-elle crié à la patronne pour couvrir le brouhaha des conversations animées. Par chance, elles acceptaient les francs !

Si vous allez un jour en vacances du côté de Briançon ou de Montgenèvre, n’hésitez pas à visiter la Vallée Étroite. Ne serait-ce que pour admirer les eaux turquoise de son lac vert (pardon : lago verde !). Ou parcourir le superbe sentier qui s’élève dans les alpages et les mélèzes en direction du Mont Thabor au-delà des vieilles granges dont plusieurs ont, comme dans la Clarée voisine, été reconverties en résidences secondaires. Mais n’espérez pas aller dans la Vallée Étroite en voiture hors saison estivale depuis Névache : la route du col de l’Échelle est fermée de mi-novembre à mi-juin : durant plus de sept mois, la seule voie d’accès carrossable redevient… Bardonècchia, du moins tant que la neige n’a pas encore pris possession de la chaussée ! À défaut, reste… la marche ou le ski !

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