Botticelli : Allégorie du printemps ? Allégorie de l’année ? Ou tout simplement Renaissance ?
À gauche, la déesse hellénistique Aphrodite dont le modèle original aurait été sculpté par le Grec Praxitèle vers 400 avant J.C.. À sa gauche, le vêtement qu'elle vient de retirer est négligeamment posée sur le vase tradionnel des sources fluviales. Sa main droite soulève son sein nourricier tandis que la gauche s'appuie sur son sexe reproducteur. Sa chevelure tourbillonnante évoque l'écoulement d'un cours d'eau. Non, il n'y a rien de pudique dans cette représentation mais une allégorie de l'eau qui abreuve la nature et les hommes.
Dans la Théogonie d'Hésiode du VIII ème siècle avant J.C., elle naît, nue, de l'écume de la mer, debout sur une conque, abordant l'île de Cythère pour finalement s'installer dans l'île de Chypre où les quatre saisons, filles de Thémis, vont la revêtir de riches habits. Quand elle parut dans l'Olympe grec, accompagnée de l'Amour et du Désir, tous les dieux furent stupéfaits d'admiration devant tant de beauté.
Relatant l'histoire de la guerre de Troie, Homère en fait la déesse de l'Amour. En émigrant dans le Latium, le troyen Énée la fera revivre en Italie sous le nom de Vénus.
Des siècles s'écoulent. Dans "La naissance de Vénus" - tel est le titre donné à ce célèbre tableau - Botticelli et son commanditaire se sont-ils contentés de rappeler le mythe ancien ? Je ne le pense pas. De même que la déesse a remonté le rivage, d'Athènes jusqu'à Rome, de même Botticelli l'a fait remonter jusqu'au rivage de la Toscane, de l'embouchure du Tibre à l'embouchure de l'Arno, de Rome à Florence.
Avec l’essor du christianisme, on aurait pu penser que la grande civilisation gréco-romaine appartenait désormais au passé. Heureusement non ! La voici miraculeusement revenue, poussée par les vents printaniers Zéphir et Aura, souffle puissant et brise légère. Et c’est la coquille Saint-Jacques, clef de voûte et symbole architectural du monde ancien qui la dépose sur la plage.
Voyez le magnifique manteau que la déesse Flore lui présente pour la recouvrir. Cette déesse Flore, c'est Forence à qui la plus belle femme de la ville - Simonetta Vespuccia - a prêté ses traits. Ce manteau est le symbole d’une culture nouvelle qui reprend l’héritage gréco-romain tout en le prolongeant et en l’enrichissant. Il s'agit de la "Renaissance". Aux fleurs roses de la Vénus romaine éparpillées par le vent s’ajoutent désormais les nombreuses fleurs de l’art florentin.
Sur la robe blanche de Flore, la fondation J.-E Berger voit des bleuets. J’y vois plutôt des bouquets de violettes dont l’éclat pictural se serait terni du fait de l’usure du temps. A l’origine, violettes au bleu intense, couleur des Médicis ? d’où le violet Médicis bien connu des peintres.
Mais quels sont donc ces arbres qui poussent au bord de la rive ? Mais oui ! Ce sont des orangers. Le feuillage est caractéristique. Certes, on m’objectera que les oranges manquent. La réponse est facile. Si les oranges manquent, c’est tout simplement parce que l’arbre n’a pas encore donné son fruit. Cela signifie que nous ne sommes dans ce tableau qu’au début du printemps, à son arrivée. Cela signifie que ce tableau et le suivant ci-dessous sont liés dans une même histoire chronologique et qu’ils doivent être mis côte à côte, comme ils l'étaient à l'origine dans la riche villa du propriétaire apparenté aux Médicis. Cela signifie que la dite "Naissance de Vénus" devrait s’appeler "Le Printemps" et le suivant dont je vais parler : "Le Sacre de l'Année". Cela signifie que la Vénus nue du premier est devenue Violette dans le second et qu’il s’agit d'une évocation claire mais modeste de la "Renaissance". Je m'explique...
S’infiltrant au travers des branches et des troncs dénudés, le vent froid de l’hiver a retenu son souffle. Dans un dernier élan amoureux qui lui plisse les rides du front, son étreinte se desserre et ses bras languissants frôlent pour la dernière fois l’être aimée qui le quitte. Février s’achève : mois froid des gelées tardives et des engourdissants frimas.
Amoureusement surprise de ce souffle qui s’arrête, l’être aimée, que les Anciens appelaient jadis Chloris ou Flore, tourne un regard plein de tendresse et de reconnaissance vers son amant qui se retire tout en la libérant. La chevelure encore défaite après son long sommeil, elle porte dans son ventre les promesses de sa gestation hivernale. Le jaune des premiers rayons du soleil l’habille délicatement en se mêlant à un bleu hivernal qui s’estompe. Ses yeux s’ouvrent et sa bouche s’entrouvre, laissant échapper la première plante rampante de l’année. Nous sommes au mois de mars, la nature se réveille.
Que les sous-bois sont beaux à l’éclosion des fleurs d’avril ! Dans l’assurance de sa jeune beauté, elle avance doucement, pieds nus, sur un tapis de verdure. Sorties de leur bulbe comme d’un cocon, les jeunes plantes fleuries l’habillent. Des couronnes de fleurs ornent son cou virginal et sa chevelure blonde. La jeune écorce dorée décore ses avant-bras. Imitant le geste auguste du semeur, elle sème à la volée les fleurs du sous-bois.
Auréolée comme une sainte vierge par un fond de ciel bleu, dans l’ombre d’une cépée de frênes, les petites et modestes fleurs des sous-bois, violettes et autres plantes vivaces, apparaîssent au sommet du mois de mai. Les rayons tamisés du soleil les éclairent. Les fortes couleurs de leur robe sont des couleurs nuptiales et royales, merveilleux massifs de fleurs où le bleu fait vibrer le pourpre, et que décorent d’harmonieux galons de clochettes d’or. De la main droite, la violette (?) fait le signe de majesté, et de la gauche, retient le pan de sa tunique pour souligner le fruit qu’elle porte dans son sein.
Portant dans leurs chevelures bouclées et dans leurs tresses délicates les reflets dorés du soleil, les trois Grâces de juin, juillet et août se sont mises dans une ronde pour célébrer par leurs gestes liés la grandeur, l’équilibre, et l’harmonie de l’été. Sur leur visage d’épouses comblées, se reflète la sérénité d’un grand amour accompli. Elles ont aimé. Elles ont donné leur fruit. Autour de leurs corps harmonieux, tourbillonne une brise légère et fraîche qu’on ne trouve que dans les sous-bois au plus fort de l’été. Merveilleux bouquet qu’on découvre au détour d’un chemin forestier.
Messager entre le ciel et la terre, chargé par Dieu de donner vie à la nature, le beau Mercure a rempli sa mission. Dans son corps nu de jeune dieu vêtu de rouge, se devine, de même que dans le baliveau vigoureux, la force mystérieuse de la sève divine. Le regard tourné vers le ciel, il lève son caducée comme pour éteindre un réverbère, et dans ce geste de rideau qui se ferme, il annonce l’arrivée des premiers brouillards givrants. Nous sommes en septembre, mois de Mercure. Le sabre d’élagage annonce la mort prochaine de l’année.
Toi qui cherches dans le monde l’indéfinissable présence, ce n’est ni dans les landes désertes ni dans les prés à perte de vue qu’il te faut promener, mais dans la demi ombre des futaies, sous l’épais feuillage des plantations d’orangers. Tu y découvriras la fraîcheur, la luxuriance de la nature, son harmonie divine, sa modestie, son calme et son mystère. Tu y effleureras le voile léger des nymphes, puis levant ton regard vers les frondaisons verdoyantes, tu y verras, dans une trouée de feuillage, l’amour solaire aux yeux bandés, brandissant sa flèche de feu. Il frappe à l’aveuglette la corolle des fleurs au plus fort de l’été.
Vivants et mystérieux sous-bois, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?
Photos Wikipédia
E. Mourey, 27 septembre 2017
22 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON