Cargo de nuit (vague 20) : la guerre Iran-Irak, initiatrice du système
Retour historique sur ces trafics illicites d'armes où l'Iran apparaissait au premier plan ; la mère de tous ces trafics, pourrait-on dire, comme il y a eu la mère des guerres annoncée un peu présomptueusement par Saddam Hussein, c'est justement le terrible conflit qui a précédé la première Guerre du Golfe, une guerre terrible entre l'Irak et l'Iran, qui a duré de 1980 à 1988. Les deux pays ayant été frappés d'embargo sur l'import des armes, d'autres, dont certains ayant pourtant voté à l'ONU cet embargo, ont dû ruser pour leur fournir armes... et munitions. De la poudre à canon, surtout, dans cette guerre d'un autre âge où on en était revenu au principe des bombardements au canon de tranchées, comme en 1914. Un consortium européen des plus grands fournisseurs, dont faisait partie les français Luchaire et la SNPE (société d'Etat), s'est vite arrangé pour contourner les interdictions internationales, en apportant à l'Iran, notamment, ce que ce dernier demandait. Si parfois les arrivages venaient à manquer, la pratique de la prise d'otages était une méthode utilisée par les iraniens pour les accélérer. Et au milieu de tout ça, un petit pays, dont la plupart des navires de contrebande de poudre à canon étaient issus : le Danemark, qui permettait à deux gros fournisseurs, à savoir les USA et Israël, de faire parvenir à l'Iran ce que leur diplomatie refusait de reconnaître officiellement. Place à la duplicité mise en place au milieu des années 80. 25 ans après, peu de choses, hélas, a changé.

Le livre indispensable de Walter de Bock et Jean-Charles Deniau paru chez Gallimard en 1988 devrait être aujourd'hui réédité il me semble, tant il a été prophétique : il contient l'explication de l'origine des divers trafics alimentant l'Iran, qui a depuis bien retenu la leçon pour l'effectuer dans le sens inverse, et surtout servir à de nombreux pays pour faire de même, dont certains étant les anciens fournisseurs en poudre noire des iraniens. Tout cela à l'insu de la communauté internationale, les gouvernements préférant mettre en avant la vente d'avions sophistiqués que de bête poudre à canon, plus honteuse sans doute dans l'opinion publique. Dés 1986, on savait déjà tout, et surtout on avait découvert quel pays servait de tête de pont au réseau de transport ; c'était... le Danemark. "Une partie de la marine marchande danoise est devenue le numéro un de la mafia des transports d'armes vers l'Iran. » Cette déclaration, reprise par les agences de presse du monde entier, le 18 novembre 1986, émane d'un personnage dont on peut difficilement mettre en doute le savoir. Il s'agit d'Henrik Berlau secrétaire général du syndicat des marins danois, une organisation proche du parti communiste danois mais en froid total avec les communistes pro-soviétiques". « Cela fait sept ans que nous sommes au courant de ce trafic, nous avons alerté inlassablement deux fois par an, avec preuves à l'appui, les divers gouvernements danois ». Et l'homme, selon de Bock et Deniau, ne parlait pas à la légère, s'appuyant sur l'abondante documentation réunie par ses soins :
Les accusations lancées par Henrik Berlau sont confirmées par plusieurs armateurs danois. L'un d'entre eux déclare même : "Je ne connais pas un seul parmi mes deux cents collègues qui n'ait effectué plusieurs voyages à Bandar Abbas. La raison est simple : cela rapporte gros, jusqu'à quatre ou cinq fois le prix d'un transport ordinaire. » Les bateaux qui font du trafic sont en fait très connus et relativement peu nombreux. En examinant leurs mouvements et leurs escales dans certains ports européens, nous en avons identifié une quarantaine. Ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent". On a avec cet aveu un autre argument fort : si les armateurs danois se sont autant lancés dans ce trafic dangereux et répréhensible, c'est par appât du gain, et strictement rien d'autre : ils tentaient de faire parvenit à l'un comme à l'autre les armes qu'ils réclamaient : pas de favoritisme !
L'étonnant, c'est qu'il a plus de 23 ans maintenant, un livre sorti en 1988 nous expliquait tout : rien n'a changé depuis : les armateurs, les circuits, les pavillons opaques de complaisance, le système dilué par actionnariat des propriétaires véritables des navires, qui rendent les enquêtes et la justice impossibles, bloquées par l'inextricabilité dans le domaine du Droit entre pays de lois internes différentes : le système Viktor Bout, mais appliqué à de petits cargos : "Trente-quatre petites sociétés danoises sont propriétaires des quarante navires en question, en général des petits coasters de faible capacité, mille tonnes maximum, agréés IMO, une norme des Nations unies pour le transport des marchandises à haut risque. Les sociétés spécialisées qui louent les navires sont pour la plupart domiciliées dans des paradis fiscaux antillais. Le plus bel exemple est celui de la Sandy Beach Shipping, une entreprise dont le siège officiel se trouve aux îles Turk et Caicos, un archipel au sud-est des Bahamas. Les actionnaires de ces sociétés propriétaires sont curieusement des médecins, des avocats, des industriels, qui placent leur argent dans ce secteur du transport maritime, car, à ce titre, ils bénéficient au Danemark de réductions d'impôts."
Même les étapes du transport étaient déjà connues et balisées par nos deux auteurs : "les ports européens spécialisés dans le chargement des armes et des munitions ne sont pas très nombreux. Hambourg (RFA), Zeebrugge (Belgique), Cherbourg (France), Talamone (Italie), Santander (Espagne), Las Palmas (Canaries) et Setûbal (Portugal). Les marins danois de ces navires y ont vu charger des pièces de canons, des obus de 105 et 155 mm, des missiles, des armes individuelles et des explosifs. La plupart ont assisté au débarquement des marchandises par les militaires iraniens". Cela n'a pas beaucoup changé : quand l'Artic Sea retrouvé remonte de Malte pour repartir en Finlande, il repasse par... Setubal, une des plaques tournantes, aujourd'hui encore, du trafic. Lors de son demi-tour sous bonne garde en Atlantique, son premier réflexe avait été de rejoindre... LasPalmas. 23 ans après, les circuits sont toujours les mêmes. Sauf qu'aujourd'hui ils remontent plus haut, les russes s'étant mêlés au trafic... et que les navires sont passés de 400 tonneaux à plus de 4000... ils ont multiplié leurs capacités par dix.
Parfois une étape supplémentaire s'invitait raconte un témoin retrouvé par les deux journalistes : "Les bateaux sur lesquels j'ai navigué arrivaient vides à Zeebrugge, puis, de là, faisaient une escale en France ou en Espagne avant Talamone ou Kardeljevo en Yougoslavie, des étapes obligées". C'est un circuit de containers, qui se continue aussi par voie ferrée : « Quand on ne part pas de Belgique, c'est que les conteneurs arrivés par la route ou le train nous attendent à Talamone en Italie. Les conteneurs sont belges, allemands, italiens. A Zeebrugge, il est interdit de quitter les environs du navire tandis qu'à Bandar Abbas, nous pouvons nous promener dans le quartier populaire bourré de militaires en armes. Les Iraniens croient que le matériel vient en grande majorité de Yougoslavie. Avant de descendre à terre, on nous fait jurer de ne jamais prononcer même entre nous les mots « Israel » ou « Amérique ». D'entrée, bingo : un des marins interviewés il y a 23 ans avait déjà découvert tout seul quels étaient les deux pays fournisseurs principaux : ceux que l'on n'avait pas le droit de citer !
L'ouvrage a même retrouvé le premier a s'être lancé dans le circuit ; "Le premier bateau dont l'itinéraire a permis de mettre au jour cette filière se nomme le Karen-Clipper, un petit coaster de 399 tonneaux. Parti de Rotterdam le 15 février 1986, il a fait escale à Zeebrugge (15 et 18 février), Cherbourg (19 et 21 février), Santander (25 février-7 mars), Cadix (11 mars), Kardeljevo (19 mars), Suez (25 mars), avant de toucher Bandar Abbas (7 avril). Il a embarqué dans chacun de ces ports du matériel militaire. Nous possédons les documents de chargement de ce bateau à Zeebrugge. On peut y lire « 49450 MuidenChemie ». Il s'agit de poudre à canon provenant de la société néerlandaise Muiden-Chemie. Lorsqu'il a atteint Kardeijevo en Yougoslavie, ses soutes contenaient 1 000 tonnes d'armes et de munitions d'origine néerlandaise, belge, française et espagnole. Les documents de bord mentionnaient comme destination finale l'Espagne et la Yougoslavie. Le responsable de la société belge Transammo, qui a chargé une partie de la marchandise à Zeebrugge, André Braet, a reconnu devant la commission parlementaire belge qu'il connaissait la destination finale du bateau et qu'il avait émis de faux papiers pour ce navire ainsi que pour quatre autres. Le système est d'une simplicité enfantine : il consiste à faire un double jeu de documents de bord. Les premiers sont utilisés jusqu'en Espagne ou en Yougoslavie. Ils sont ensuite déchirés et les seconds servent de Yougoslavie en Iran." Le Karen Klipper était bien entendu un petit... vraquier de 1000 DWT construit en 1978, de 57 m de long pour 11, 2 de large, et photographié ici (en haut de ce chapitre) 20 ans après, battant toujours pavillon danois. Le système décrit du changement de déclaration d'exportation est exactement l même qu'avait appliqué pendant des années Viktor Bout avec ses Antonovs !
Un des autres navires montrés du doigt par André Braet est le Nordica. Battant pavillon chypriote, il est parti le 8 septembre 1986 de Zeebrugge. Sa destination officielle est Santander mais on le retrouve le 19 novembre à Foujeirah. Il est chargé de poudre à canon provenant de Scanco, la société, liée au Cartel, du Suédois Karl-Eric Schmitz dont le nom figure explicitement sur le bulletin de chargement du Nordica." Le Nordica, en fait le Nordica Star exactement, est un vieux cargo datant de 1954 enregistré au nom de AB Vintervagn Ltd., de Gibraltar, qui deviendra le Lee Shore après s'être appelé Millsupplier, d'une firme appelée Caramed Ltd, enregistrée aux îles Turks & Caicos... En 1990, son moteur cassé, il est abandonné par son équipage et remorqué par l' “Anglian Warrior“, saisi et revendu à Atlantic Carriers Ltd installée à Gibraltar : il revient donc à son point de départ !
Il y a aussi le Jotun, un cargo plus gros que les premiers, qui jauge 1 042 tonneaux. Il a effectué le même trajet que les précédents, chargé de poudre et de détonateurs, provenant de Muiden-Chemie (Pays-Bas), de Royal Ordnance (Grande Bretagne). Les destinations officielles sont Santander, Kardeljevo et le Pirée. Parti le 4 juin de Cherbourg, le Jotun est le 4 août à Suez et le 5 septembre à Foujeirah. André Bract a reconnu là encore que la destination finale était l'Iran". Le Jotun est un cargo de 80 m de long et de 12,50 de large, construit en 1984 aux chantiers Nordsovaerftet A.S, Ringkobing du Danemark, ayant changé un nombre important de fois de noms : Il a été successivement le Trueton (1992), le Johanne (1996), le Stella Maris (1997), le Maris (en 2003) pour finir par s'appeler le Sunlark, enregistré à Kingston... en Jamaïque ! Son propriétaire actuel est... turc !
"Le dernier bateau dont il a parlé, le Gritt Clipper, est lui aussi un petit cargo (399 tonneaux) qui, chargé de détonateurs, de poudre, de munitions provenant de Belgique et des Pays-Bas, s'est rendu par le chemin maintenant classique de Santander à Kardeijevo jusqu'en Iran. Bandar Abbas ne figure pas sur le trajet communiqué à la Lloyd's de Londres. Scrupule de dernière minute c'est Khor Fakkan, un ancrage au nord de Foujeirah (situé juste en face de l'Iran), qui est indiqué". Les Emirats, étape intermédiaire ou obligée avant l'Iran (en cas de mauvais temps ou de surveillance trop serrée de côtés iraniennes).
Plus précisément encore : "Pour l'année 1987, nous avons dénombré trois bateaux spécialisés dans le transport de produits « sensibles », qui se sont rendus aux abords de Bandar Abbas, ajoutent les deux auteurs :
- Le Morsoe : Cherbourg le 25 janvier, Bilbao le 29 janvier, Mina Reysout (sud d'Oman) le 22 février, Colombo (Sri-Lanka) le 1e mars, huit jours entre les deux dernières étapes, ce qui laisse largement le temps de faire un détour par l'Iran.
- Le Dansus : Cherbourg le 28 février, Setûbal (Portugal) le 4 mars, Istanbul, Suez le 24 mars, Mina Kabos (Oman) le 5 avril.
- Le Panther : Cherbourg le 10 mars, Gibraltar, Barcelone le 20 mars, Kardeijevo le 27 mars, Le Pirée le 30 mars, Suez le 9 avril et Mina Djebel Ah (Doubai) le 2 mai".
Le Dansus construit en 1985 fait 1042 tonnes et emporte en DWT 1207 tonnes, pour 65 m de long sur 10 de large, devenu le l'ITT Panther en... Inde pour sa fin de carrière sans doute. Originalité : il comportait à ses débuts... une voile, les années d'économie de fioul étant déjà arrivées.
Pour la télévision et l'Express, c'est le cargo "Nicole", qui est cité par le journal La Manche. L'interview d'un Charles Hernu niant l'évidence est un grand moment de télévision. Le magazine l'express a comptabilisé : "de 1982 et 1986, la société française a livré 450 000 obus à l'Iran", écrit-il. L'enquête avait conclu que les preuves étaient "accablantes pour Charles Hernu et Jean-François Dubos ; elles le sont aussi pour Daniel Dewavrin : celui-ci a bien exporté, de 1982 à 1986, 450 000 obus vers l'Iran, grâce à des « end users » bidon (attestations certifiant que l'Etat acheteur est bien destinataire du matériel). Le Pérou, la Thaïlande, le Brésil et la Yougoslavie avaient servi de faux clients". Le patron de Luchaire se défendra en affirmant que "la commision interministérielle d'exportation des matériels de guerre était une véritable passoire et ne vérifiait rien du tout". Ce qui était vrai. Résultat, il ne fut même pas inquiété. Jospin dû quand même venir expliquer à la télévision qu'aucun argent des ventes n'avait atterri dans les caisses du PS. On n'était pas passé loin d'un IranGate à la française...en résumé, ça exportait sec, et tout le monde s'en fichait car personne n'était pleinement décisionnaire, comme l'écrira justement dans un magazine Abravomici. On ne peut reprocher à Hernu que de ne pas avoir fouré assez son nez dans des affaires commerciales portant sur des produits sensibles. Lui seul aurait pu y mettre un frein : et comme les questions de chômage hantent déjà la tête de ses concitoyens... On a retrouvé récemment la même problématique en Belgique avec Herstal et ses livraisons à Kadhafi... (Pabhard ayant fourni des véhicules).
Or, d'ou venaient donc tous ces navires ? Du Danemark : "ces bateaux ont en commun d'être danois et d'appartenir à deux sociétés seulement : Poulsen Chartering, à Korsor, au Danemark, et Mortensen & Lange à Copenhague. Finn Poulsen est, comme on l'a vu, un courtier maritime très connu dans le milieu du trafic d'armes. Il a été impliqué à plusieurs reprises dans des affaires de vente illégales à l'Afrique du Sud. Il ne possède pas beaucoup de navires en propre, mais il a l'habitude de compléter sa flotte en louant des bateaux un peu partout au Danemark ou en Allemagne fédérale, pour ses affaires. Il est toutefois le propriétaire de l'Else Cat qui porte, d'ailleurs, le prénom de sa mère. Selon Henrik Berlau, que nous avons interviewé précisément, l'Else Cat a beaucoup servi à des trafics d'armes avec l'Afrique du Sud et l'Iran."
Et les auteurs de nous montrer un trajet encore plus intéressant, capable d'expliquer énormément de choses aujourd'hui encore : "curieusement, nous avons repéré la trace de ce bateau à Cherbourg le 8 juin 1987. Ii venait de Hambourg avec 261 tonnes de munitions à bord. A la même date, des camions d'une entreprise de transport de Bourges, Abel Papin, arrivent dans le port français. L'un de ces camions est photographié par un journaliste de La Presse de la Manche près du navire. Les entreprises berrichonnes Abel Papin, Galopin, et la SAT de Vierzon sont spécialisées dans le transport de matériel « sensible » pour les nombreuses firmes d'armement installées dans la région. Leurs chauffeurs sillonnent les routes d'Europe toute l'année et transportent des missiles, des munitions, etc., un peu partout, en général jusque dans des ports. A Cherbourg, l'Else Cat charge 6 tonnes de marchandises (provenance Aérospatiale ou Thomson selon les sources) puis prend la mer à destination officiellement de Chypre, Aden, Colombo et Busan en Corée. Durant l'été 1987, nous avons suivi semaine après semaine sa progression. Première anicroche, il se rend directement à Kardeljevo, le fameux port de transit yougoslave. Il est à Chypre le 27 juin, à Suez le 6 juillet, à Aden le li, à Colombo le 21, et à Djakarta, en Indonésie, le 30 juillet 1987. Nous avons interrogé Henrik Berlau au sujet de ce navire. Pour lui, il y a quatre-vingt-dix chances sur cent que la destination finale ne soit pas Djakarta mais Singapour. « Et tous ceux qui travaillent dans ce secteur, ajoute Henrik Berlau, savent que ce qui va à Singapour est réexporté vers l'Iran ou l'Irak. » Il faut donc aller à Singapour pour revenir ensuite en Iran : avouez que c'est une découverte : les traficants d'armes ne circulent pas sur le chemin le plus court. Il allait où notre fameux porteur de missiles Patriot ? A Shangaï. Cela aurait pu être Singapour...
Confirmation de la méthode en 1988 avec une autre affaire qui démontre le procédé du détour lointain pour tromper les douanes ou la surveillance internationale : par ce fameux pays relais. "Cette filière asiatique a été mise au jour une première fois le 21 novembre 1986 lors d'un incident qui a eu pour théâtre le port français de Cherbourg. Ce jour-là, un huissier monte à bord du Sandy Trader, un caboteur immatriculé dans les îles Turk et Caicos, qui vient d'accoster dans le port, en provenance de Wilmington aux États-Unis (il s'appelait à l'origine le Svendborgsund en 1979). Il notifie au capitaine la saisie du navire, sur requête d'une société danoise, Nordane Shipping, qui réclame deux millions de francs à la société armateur. Seul le bateau doit être immobilisé. La cargaison reste à disposition de l'expéditeur. Les soutes contiennent une centaine de tonnes d'explosifs destinés officiellement à la Corée du Sud. Le chemin le plus court pour aller des États-Unis en Corée ne passe sûrement pas par Cherbourg d'autant que le Sandy Trader, ex-S vendborgsund (Danemark), est un petit bateau de 400 tonneaux dont les soutes sont assez vite remplies et qui n'a pas besoin, contrairement à d'autres, d'embarquer de la marchandise dans plusieurs ports pour voyager à plein." Le bateau saisi, on vient chercher sa marchandise sans trop de vergogne : "Dès la notification de la saisie, la cargaison est débarquée et deux navires viennent la prendre en charge. Le premier, un cargo danois, le Danica Black, quitte aussitôt Cherbourg, officiellement pour la Corée du Sud (en photo le Danica White, son sister-ship).
Nous avons observé son cheminement pendant trois mois. Il se rendra bien en Asie mais il n'ira que jusqu'à Taiwan par Singapour. Il n'est pas du tout impossible que la cargaison d'explosifs ait pris la direction de l'Iran en cours de route, d'autant qu'il appartient à une compagnie danoise qui, comme par hasard, loue des navires au trafiquant Finn Poulsen. Le second navire ayant chargé l'autre partie de la cargaison du Sandy Trader n'est, lui non plus, pas allé en Corée. Il s'agit d'un cargo thaïlandais, le Kannikar, qui s'est rendu directement en Malaisie (port de Kelang) le 23 décembre 1986, à Bangkok le 30, à Singapour le 6 janvier 1987 puis retour à Port-Said le 2 février". A la lecture de ce qui précède, pas sûr que notre Thor Linerty aille à Shangaï ou en Corée du Sud pour y déposer son chargement de Patriots, donc ! La centaine de tonnes de poudre à canon de 1988 provenant directement des USA et très certainement amenèe par une voie détournée en Iran laisse à réfléchir sérieusement.
Reste à savoir comment l'on faisait pour tromper les douaniers européens. Là aussi, les auteurs ont découvert le pot aux roses avant tout le monde : "on constate que l'Else Cat a fait comme les autres navires danois une escale dans un des ports où il est prouvé que des officines ou des fonctionnaires peu scrupuleux vendent des faux certificats de destination finale des marchandises. Pour l'Else Cat, c'est Kardeljevo, en Yougoslavie (aujourd'hui en Croatie), le port de tous les trafics. A Bilbao la Société Sea Spain fournit, de même, les documents nécessaires à Téhéran puisqu'elle représente une société iranienne en Espagne. En Italie c'est le port de Talamone et en Grèce celui du Pirée, tous deux ayant servi à plusieurs reprises à l'expédition de la poudre du Cartel, Setùbal, au Portugal, est une étape plus commode encore puisque ce pays n'a pas vraiment décrété d'embargo à l'encontre du régime de Rouollah Khomeyni"... bingo, on tient là une grande partie des explications que l'on recherchait.. parfoisn les destinations ne servent qu'à changer de paperasseries !
En renfort des assertions de nos deux journalistes, un texte accuse notamment les Etats-Unis de fournir des armes en se servant de l'Italie comme plaque tournante : "parce que si l'on en croit le camarade Henrik Berlau, qui parle d'une soixantaine de chargements d'armes en tous genres, de pièces détachées de matériels militaires qui vont des avions aux pièces de rechange de chars d'assaut, il est peu probable qu'un trafic de telle envergure n'ait pas attiré l'attention des services de renseignements. Un trafic tellement intense que l'hypothèse de l'Italie comme relais ou prête-nom au trafic d'armes du gouvernement américain, commence à prendre de plus en plus de consistance ici à Rome. Mais que les bonnes âmes se rassurent, le même Spadolini, drapé dans sa dignité de premier responsable du Parti républicain a décidé, au nom de son parti, de déposer une demande d'enquête Giovanni Spadolini, ministre de la Défense... et des Services secrets" peut-on lire, avec un peu plus loin "entre 1979 et 1983 l'Iran aurait pour sa part reçu officiellement pour 300 milliards de lires d'hélicoptères, de mines, de missiles et de pièces de rechange. Mais si les chiffres officiels s'arrêtent scrupuleusement à 1983, il y aurait cependant quelque naïveté à penser que les usines italiennes se sont reconverties dans la fabrication de bicyclettes."
Pire encore puisque des bateaux de croisière avaient servi aussi au trafic : dès qu'ils atteignent le grand large ils font la route vers leur véritable destination, et il faut croire que les radaristes de l'armée italienne ne se posent pas trop de questions. Dans certains cas, les capitaines font effectivement route vers Israël, avant de repartir pour l'Iran comme le raconte un marin de la « Mary T. H. » dans un interview à « l'Espresso » : « Nous sommes partis d'Angleterre avec la cale vide. A Talamone nous avons chargé 80 tonnes d'armes. Nous avons levé l'ancre pour le Pirée où nous devions embarquer d'autres armes, et faire route sur Bander-Abbas. Mais entre-temps le cargo avait été repéré par les Irakiens, et le gouvernement danois interdit au navire de poursuivre sa route vers l'Iran. » Complicité d'Israël. Plus compromettants encore les voyages effectués par le « Else », qui a effectué quatre missions — dont la dernière au début du mois de novembre — pour Bander-Abbas à partir de Talamone, chargée de containers américains en provenance de bases américaines situées dans la zone de Venise. Si cette affirmation de marins danois devait être confirmée, Rome et Washington devraient quelques explications à leurs partenaires et à leurs Parlements. Mais le plus curieux, c'est sans doute la complicité constante d'Israël dans ces transactions, qui d'ailleurs ne se contente pas de prêter gracieusement ses ports aux trafiquants internationaux. Ainsi, en juillet dernier, un certain Henry Kamaniechy, citoyen israélo-allemand, de Bavière, a été arrêté à Monaco avec en poche un contrat de fournitures militaires pour une valeur de 700 millions de couronnes danoises (70 milliards de centimes) contresigné par Israël et l'ambassade d'Iran à Bonn…" l'Else" cité ici étant bien l'Else Cat en effet.
On était alors il est vrai en pleine crise des otages au Liban (*) , et les iraniens avaient établi clairement le tarif : "le prix du marché a été fixé : un citoyen américain présente une valeur de 300 missiles antichar TOW, ou de 50 et 200 Hawks TOWS ", écrit Terry Anderson dans son livre "Den of Lions", le récit de ses sept années de captivité au Liban. (les Hawks sont des missiles surface-air ; TOW est l'acronyme de "Tube-launched, Optically-tracked, Wire-guided = missile lancé par tube, optiquement-suivi, filoguidé"). Anderson faisait référence à un mémo d'Oliver North du 5 décembre 1985 par North décrivant le lot d'armement devant être expédié en Iran par le biais d'Israël. Le 17 février 1986, 500 missiles TOW ont été expédiés d'Israël à Bandar Abbas dans le sud-ouest de l'Iran, selon Anderson (qui avait été chef de l'agence Associated Press du Bureau de Beyrouth, avant sa captivité). Un deuxième envoi de 500 autres TOWs a suivi la même route le 27 février".

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