Ce que serait une décolonisation pure et dure
Le passé colonial français est en accusation. Les procureurs somment la France d’entrer en repentance. Oubliant que le droit, dans sa sagesse, n’attribue pas aux enfants les méfaits des pères, ils ont dressé un réquisitoire qui, s’il accuse le passé, n’épargne pas la France d’aujourd’hui.
Cette entreprise de démolition d’une histoire que l’on avait crue glorieuse n’a pas été relayée par les chefs d’État africains pourtant les premiers concernés. Il n’y en a eu qu’un, le président algérien, pour surenchérir, la France devenant génocidaire.
Ce quasi-silence n’a pas désarmé ceux qui ne trouvent dans l’aventure coloniale que des motifs de honte, oubliant tout ce qu’elle a eu de fécond, de généreux et de grand.
Croire pouvoir effacer les crimes du passé est une utopie qui a de la noblesse. Elle traduit, peut-être, l’espoir qu’en expurgeant la France des scories de son histoire, on puisse lui donner l’amour qu’enfin elle mériterait.
En confondant les pères et les fils, les procureurs, en fait, s’adressent à la France éternelle, celle d’hier et d’aujourd’hui et sans doute de demain. Elle représente une entité indissociable à responsabilité partagée. Cette logique est implacable et nous met donc en demeure de réparer.
Allons au bout de la réflexion ; dépassons l’émotion, le bon sentiment, la pitié devient dangereuse et la rhétorique prend le caractère infernal de toutes les idéologies dès lors qu’elle se radicalise. Si ces gens-là avaient le pouvoir de faire ce qu’ils disent, on pourrait imaginer qu’un prochain président de la République fasse sien ce programme :
Des arguments irréfutables ont donc fait admettre à la France que les annexions de territoires par la ruse, les armes, le pillage des richesses à notre seul bénéfice, le travail forcé, forme hypocrite et renouvelée de l’esclavage avaient été une page infamante de notre histoire. L’heure de la repentance et de l’expiation a sonné. La réparation sera à la mesure du crime.
L’Afrique est le continent qui a le plus souffert de nos exactions et elle continue d’en subir les conséquences. Beaucoup de ses pays où nous nous étions imposés par la force et la terreur sont aujourd’hui en proie aux guerres civiles, à la misère, à la faim, à la maladie, à la surpopulation, aux désordres écologiques. C’est notre faute car nous poursuivons le pillage de leurs ressources : pétrole, bois, minerais et, par le biais de l’immigration choisie, nous voulons maintenant obliger leurs meilleurs cerveaux à déserter l’Afrique et enrichir notre recherche.
Une néo-colonisation a remplacé l’ancienne. Elle est encore plus malfaisante car sournoise. La France a enfin reconnu sa responsabilité dans tous ces malheurs et va s’obliger à suivre une politique complètement différente en faisant une vraie décolonisation. Celle qui, dans le passé, aurait dû succéder aux indépendances n’a été qu’un ersatz, un mirage, une illusion : les gouvernements avaient l’apparence du pouvoir, ils étaient et restent des marionnettes qui obéissent à l’ancien maître. La monnaie est liée à la Banque de France, la sécurité en dernier ressort dépend de nos contingents stationnés ici et là. Le pouvoir économique est aux mains de sociétés qui, depuis toujours, exploitent le pays.
Nous allons rendre à ces pays la disposition d’eux-mêmes. Cela se fera en défaisant ce que la France a tissé depuis la conquête et en disparaissant enfin du paysage africain.
Cette disparition concernera tous les signes de la présence française qui a transformé le caractère africain de ses anciennes possessions.
La langue française est, bien sûr, le vecteur le plus pernicieux et insidieux de notre influence. Son enseignement a imposé une idéologie et des croyances qui ont détruit celles qui préexistaient. La francophonie y trouve aujourd’hui un terrain d’élection. Nous allons arrêter cette exportation du français et les Africains vont réapprendre à penser, parler, écrire, dans les langues vernaculaires qui étaient les leurs avant notre invasion. Pour cela nous fermerons nos collèges, nos lycées, nos centres culturels, les Alliances françaises où nous continuons, très hypocritement, de coloniser les esprits. Par ce moyen, les Africains retrouveront leurs racines, leurs croyances, l’art de vivre de leurs ancêtres et une civilisation qui ne demande qu’à resplendir de nouveau.
L’effort de décolonisation s’opérera dans tous les domaines. La France, le français, les Français vont redevenir pour l’Afrique et les Africains ce qu’ils étaient avant la colonisation : des inconnus. Il faut donc se faire oublier pour que la colonisation devienne, dans leur souvenir, un entre-deux, une période qui s’évanouisse dans le passé. Le temps africain reprendra son cours, à son rythme et avec des valeurs que les Africains vont pouvoir se réapproprier.
Les soldats français vont partir et laisser les Africains assurer leur sécurité comme ils l’ont fait durant les millénaires qui ont précédé notre intrusion. Les missionnaires, les médecins, les coopérants, les industriels, les commerçants, tous ces hommes et femmes, héritiers des premiers colonisateurs et dispensateurs des mêmes valeurs n’ont plus leur place. Leur présence est un rappel cruel et que l’on devine insupportable à une population pressée de retrouver les splendeurs d’un passé que nos soldats, nos prêtres, nos instituteurs, nos fonctionnaires n’ont eu de cesse de vouloir faire disparaître.
Tout ce qui rappelle le souvenir de la France doit disparaître : églises, bâtiments, ambassades, monuments, les liaisons aériennes, maritimes, la radio, la télévision. Plus aucun échange ne doit avoir lieu.
Nous acceptons de perdre toute notre influence. C’est le prix à payer, le sacrifice auquel nous devons consentir afin de permettre à l’Afrique de retrouver son vrai visage, sa dignité.
Il faudra du temps pour que l’Afrique oublie le passé commun. Quand son souvenir se sera estompé, dans un futur lointain, elle nous permettra, peut-être, si la France existe encore, de refaire connaissance.
_____________
Voilà le discours inscrit en filigrane chez ceux qui voient dans la colonisation l’abomination des abominations.
Le discours est ambigu car il pourrait être tenu par les deux extrêmes : une ultragauche qui, pour la pureté du dogme n’hésite jamais à faire le bonheur des peuples, malgré eux, même au prix du malheur – le passé récent et lointain les a vus à l’œuvre et on connaît le bilan – et une ultradroite s’en satisferait aussi bien pour des raisons opposées, mais dans une connivence là encore classique : couper les ponts signifierait que l’Afrique abandonne la France, cette ultradroite jugeant qu’une néo-colonisation du pays est en cours par les Africains qui n’apportent que leur misère et leur désordre.
On voit que décolonisation est un mot dangereux, à manier avec précaution et que l’Afrique francophone, en ne le reprenant pas à son compte, montre une sagesse dont devraient s’inspirer certains fanatiques.
35 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON