Chute de Goma en RDC : le dialogue, la dernière carte à jouer par Kinshasa pour sortir de l’impasse !
Après la chute de Goma, les chefs d’Etat de l’East African Community (EAC) et de Southern Africa Development Community (SADC) ont vivement exhorté le gouvernement de la RDC à dialoguer directement avec toutes les parties prenantes, y compris le M23, au cours de leur sommets tenus respectivement, les 29 et 31 janvier 2025. Kinshasa donne déjà des signaux forts avec le « Pacte social pour la paix » proposé par les confessions religieuses. Mais, la nécessité d’élargir le champ du dialogue à toutes les parties prenantes au conflit s’impose pour sortir de l’impasse.
Le chef des opérations de paix de l’ONU, Jean-Pierre Lacroix, s’est dit, vendredi 30 janvier dernier, préoccupé par l’avancée des rebelles vers Bukavu, la capitale de la province du Sud-Kivu, qui fait craindre, selon lui, une escalade régionale. « Ils semblent avancer assez rapidement… », a-t-il indiqué, lors d'une conférence de presse au siège de l'ONU à New York.
Selon le PNUD, cette crise a déjà déplacé des centaines de milliers de personnes, exacerbant la pauvreté, l’insécurité alimentaire et l’instabilité économique. Chaque jour que le conflit perdure, ajoute l’organisation onusienne, l’accès à l’éducation et aux soins de santé est perturbé, des entreprises sont à l’arrêt et des infrastructures vitales sont endommagées, aggravant les souffrances des communautés et sapant les bases de leur résilience.
Le 2 février courant, le PNUD, a lancé un appel aux parties en conflit, « à privilégier le dialogue, à respecter le droit international humanitaire et à rechercher une résolution pacifique de cette crise. Le PNUD demeure fermement engagé aux côtés du peuple congolais, non seulement pour répondre aux défis sécuritaires immédiats, mais aussi pour préserver les acquis du développement et jeter les bases d’une paix et d’une prospérité durables. » A indiqué un communiqué de l’Organisation Onusienne.
Face donc à brutale accélération de la guerre au Nord et au Sud-Kivu, une réunion de crise des présidents des pays de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) a eu lieu, le mercredi 29 janvier, en l’absence du président congolais Félix Tshisekédi. Présidée par le président kényan William Ruto, la réunion de crise a vu la participation des présidents Paul Kagame du Rwanda, Yoweri Museveni de l’Ouganda, Samia Suluhu Hassan de la Tanzanie, Salva Kiir du Soudan du Sud, Evariste Ndayishimiye du Burundi et Hassan Sheikh Mohamud de la Somalie. « Le sommet a appelé à un règlement pacifique des conflits et a vivement exhorté le gouvernement de la RDC à s’engager directement dans un dialogue avec toutes les parties prenantes, y compris le M23 et les autres groupes armés qui ont des griefs. » Peut-on lire dans un communiqué publié par la présidence kenyane.
Dans la même perspective, un sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement de la SADC, s’est tenu le 31 janvier à Harare, au Zimbabwe, pour délibérer sur la situation sécuritaire en RD Congo, qui est à la fois membre de la SADC et de la CAE. Les chefs d’Etat et de gouvernement de la SADC ont soutenu la proposition de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) sur la situation sécuritaire en RD Congo.
Lors de la session du Conseil de sécurité de l’ONU, les représentants de la RD Congo, de leur côté, ont réitéré les affirmations selon lesquelles le Rwanda soutenait le Mouvement du 23 mars (M23), une affirmation que Kigali a démentie tout en accusant Kinshasa d’essayer de détourner l’attention de ses propres échecs et de ses sinistres motivations contre le Rwanda.
Au regard des conclusions des sommets de l’EAC et de la SADC, la seule option qui semble mettre tout le monde d’accord, c’est le dialogue. Le gouvernement de la RD Congo doit reconnaître que, la confrontation militaire ne fera que prolonger les souffrances du peuple congolais et déstabiliser davantage la région des Grands Lacs.
L’occasion est donc toute indiquée pour Kinshasa de saisir cette occasion pour engager un dialogue constructif avec le M23 et toutes les autres parties prenantes concernées. D’ailleurs, en février 2024, le président congolais, Félix Tshisekédi, avait reconnu devant la presse que, les représentants du Mouvement du 23 mars (M23) étaient en 2019 à Kinshasa pour des négociations, mais à son insu et au moment où cette milice soutenue par le Rwanda n’avait pas encore repris les armes.
Lorsqu’on jette regard rétrospectif dans le passé, le 30 juillet 2002, la RD Congo et le Rwanda avaient signé un accord « sur le retrait des troupes rwandaises du territoire de la République Démocratique du Congo et le démantèlement des ex-FAR et des forces Interahamwe en République Démocratique du Congo », à Pretoria, en Afrique du Sud.
Même si Kinshasa signe et persiste que, le dialogue avec un groupe terroriste comme le M23 est une ligne rouge à ne pas franchir, le président Tshisekédi ne doit pas perdre de vue que, ce n’est que par des négociations pacifiques que la RD Congo pourra parvenir à une paix et une stabilité durable. Comme l’a déclaré le sommet de la SADC du 31 janvier dernier, tout processus de paix à la crise doit se faire dans un effort coordonné de dialogue, en soutenant le processus de Luanda pour rétablir la paix et la sécurité dans l’est de la RDC.
En effet, le processus de Luanda a été établi dans le cadre de la feuille de route de l’UA en 2022, visant à désamorcer les tensions entre le Rwanda et la République Démocratique du Congo (RDC) et à ramener la paix dans l’est de la RDC. Cependant, l’escalade des combats depuis octobre 2023 entre les rebelles du M23 et les Forces Armées de la RDC (FARDC) a conduit à une impasse.
Nécessité d’élargir le champ du dialogue
Sous la médiation de João Lourenço, la RDC et le Rwanda, au terme d’âpres négociations, ont approuvé un « plan harmonisé » rédigé par leurs experts en sécurité, censé définir les contours d’une sortie de crise. D’un côté, des opérations militaires pour « neutraliser » les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR, un groupe armé présent en RDC et créé par d’anciens responsables du génocide des Tutsis) ; de l’autre, le Rwanda mettrait fin à ce qu’il appelle « ses mesures défensives » dans l’est du Congo.
Les pourparlers prévus, le 15 décembre 2024, à Luanda (en Angola) entre les dirigeants du Rwanda et de la RDC, ont été annulés, douchant tout espoir d'un accord dans l'immédiat pour rétablir la paix dans l'est de la RD Congo. L’échec des pourparlers de Luanda a, en effet, soulevé des inquiétudes quant à la stabilité dans la région, déjà marquée par des conflits persistants.
Comme on peut le constater, la réussite de ce processus dépend, en grande partie, d'une convergence des perceptions concernant les problèmes fondamentaux à résoudre. Cependant, cette harmonie des visions semble, à ce stade, peu évidente, et reste un défi majeur à surmonter. Mais, un pas semble être franchi, car un consensus général s’est dégagé parmi les membres de la communauté internationale, y compris le Conseil de Sécurité de l’ONU, qui a tenu deux réunions d’urgence les 26 et 28 janvier, à la demande du gouvernement congolais, sur le fait qu’il n’y a pas de solution militaire à la crise dans l’est de la RD Congo.
Au niveau interne, une lueur d’espoir est déjà perceptible, avec notamment la convocation par le président Tshisekédi d’un dialogue avec la classe politique congolaise. En effet, le président de la RDC a reçu, ce lundi 4 février 2025, les chefs religieux des églises catholiques et protestantes dans le pays. Un rendez-vous demandé par l’Eglise de Christ au Congo (ECC) et la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), les deux grandes églises du Congo, pour évoquer la situation dans l’Est du pays et l’occupation de Goma par le M23 et l’armée rwandaise. Les deux églises ont présenté au chef de l’État leur projet de sortie de crise, baptisée « Pacte social pour la paix ». Un projet, selon elles, qui doit répondre à la nécessité de renforcer la cohésion nationale.
Dans un article publié dans le « News Time », le 2 février dernier, intitulé « Un appel à la compréhension de la guerre en RD Congo », le journaliste Bertin K. Ganga justifie l’échec des pourparlers de paix en Angola et au Kenya par le fait que, le M23 n’a pas été inclus dans ces pourparlers de paix.
Aussi, le président français Emmanuel Macron avait-il conseillé, en mars 2023, aux dirigeants de la RD Congo de se replier sur eux-mêmes, de cesser de vivre dans le déni de ce qui afflige vraiment leur pays, et d’arrêter de blâmer les autres pays pour tous ses maux. Lors d’une conférence de presse conjointe avec le président congolais Félix Tshisekédi, à Kinshasa, Macron avait déclaré : « Depuis 1994, vous n’avez jamais été en mesure de restaurer la souveraineté militaire, sécuritaire ou administrative de votre pays. C’est une réalité. Nous ne devons pas chercher les coupables à l’extérieur. »
Le même avis du président français est presque partagé par Bionic Ninumbi, originaire de Shabunda dans le Kivu. Selon lui, les guerres, les morts, les viols, les massacres à l’Est de la RD Congo ne se réduiraient pas à un conflit de prédation des ressources minières par des bandes de mercenaires et de pillards : « Les enjeux fonciers, démographiques et politiques sont les motivations premières à prendre les armes pour de nombreux groupes que le trafic alimente. » A-t-il souligné, réagissant ainsi sur la signature, le 24 février 2013 à Addis-Abeba en Ethiopie, de l’accord cadre destiné à ramener la paix dans l’Est de la RD Congo.
Ces mots de Winston Churchill, premier ministre du Royaume Uni (1940-1945 ; 1951-1955), devraient davantage inspirer les dirigeants de Kinshasa. « Vous avez à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur, vous aurez la paix. » Et le discours du Dalai Lama devant le parlement européen, le 24 octobre 2001, va plus loin : « Le dialogue est la seule façon raisonnable et intelligente de résoudre les différends et les conflits d’intérêts, entre les hommes comme entre les nations. »
Au regard de tout ce qui précède, le constat qui se dégage, c’est que la RDC fasse taire ses « égos ». Toutes les guerres dans le monde finissent toujours par la négociation. Tshisekédi doit donc joindre sa voix à celles de ses pairs africains pour une harmonisation des vues sur la situation à l’est de la RDC. Seule, une approche intégrée combinant sécurité, gouvernance et négociation pourra permettre à la RDC de réaliser son potentiel et d’offrir à ses citoyens un avenir de paix et de prospérité.
L’UA doit jouer sa partition
L’Union africaine (UA) a annoncé, le 27 janvier dernier, la possibilité de la tenue d’une réunion de son Conseil de paix et de sécurité (CPS) au niveau des chefs d’État et de gouvernement en marge du prochain Sommet de l’organisation prévu en février 2025, afin d’examiner la situation sécuritaire en RDC. Cette réunion devra permettre aux chefs d’État africains de « renforcer la coordination des efforts pour une solution durable » au conflit dans l’est de la RDC, a indiqué l’UA, soulignant qu’il ne pouvait y avoir de « solution militaire » à la crise.
D’ailleurs, la nécessité de revitaliser l’Accord-cadre d’Addis-Abeba après une douzaine d’années d’existence, a été récemment évoquée par le Coordonnateur du Mécanisme national de suivi, Alphonse Ntumba Luaba, lors d’un point de presse récemment à Kinshasa.
Signé à Sun City, une station balnéaire sud-africaine, entre les dirigeants de la RDC et du Rwanda, et en présence de l’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, cet accord avait pour but de garantir la paix et la stabilité dans l’est de la RDC. Malheureusement, il n’a jamais été mis en œuvre. Selon, l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, les problèmes dans l’est de la RD Congo pourraient être résolus si le gouvernement congolais mettait en œuvre l’accord de Sun City et désarmait les forces génocidaires opérant depuis son territoire.
Il est donc important aujourd’hui de refléchir à l’Accord de Pretoria, car il montre également comment les intérêts et les rôles peuvent continuer à changer au cours d’une longue période de conflit. D’où la nécessité pour l’UA de jouer encore sa partition.
Comme disait le gabonais Jean Ping, ancien président de l’UA « Là où sévissent de graves manquements au respect des droits humains, l’Union africaine (UA) doit être la première à condamner et à réagir rapidement conformément à la lettre et à l’esprit de l’Acte constitutif de l’Union et tous les autres instruments pertinents » dont elle est signataire. Cette déclaration, de près ou de loin, est révélatrice de la nécessité pour l’organisation de s’affirmer en matière de règlement des conflits. Mais hélas, une belle femme ne peut donner que ce qu’elle possède. Pour dire vrai, l’UA n’a pas les moyens de sa politique.
Les lacunes techniques, humaines, financières, administratives, mais aussi les problèmes de gestion qui s’ajoutent à des conditions de travail difficiles et de faibles structures d’information polluent son action dans tous les domaines. Pour tout dire, l’UA manque d’une stratégie cohérente pour réduire les tensions entre les pays et améliorer la coordination en matière de sécurité. Alors qu’une stratégie clairement définie devrait lui permettre d’éviter la duplication des mesures régionales, réduire les luttes d’influence entre les États et les groupes régionaux, éliminer les lacunes en matière de coordination et limiter les déploiements ad hoc.
Cette stratégie, d’une manière ou d’une autre, devrait s’articuler autour de l’équipement d’une force militaire qui soit en mesure de combattre efficacement les groupes terroristes. Cette idée qui a germé, en mai 2013, à Addis Abeba en Ethiopie, n’a toujours pas connu un début d’exécution. Une telle force serait opérationnelle "immédiatement" grâce aux contributions d'ores et déjà offertes par l'Afrique du Sud, l'Ouganda et l'Éthiopie, avait précisé devant les journalistes Ramtane Lamamra, l’ancien commissaire de l'UA à la Paix et la Sécurité. Les contributions en hommes, matériel et financement à cette force se feront sur une stricte base de volontariat, avait-t-il ajouté.
Face à cette triste réalité, un observateur africain pense que : « Il manque une réelle volonté politique aux chefs d’État africains pour traduire dans les faits ces objectifs ;
– une volonté politique pour parler d’une seule voix en faveur du continent,
– une volonté politique pour freiner, mieux s’opposer aux appétits hégémoniques des occidentaux en Afrique ;
– une volonté politique pour œuvrer au bien-être social des Africains. » A-t-il commenté.
En fin de compte, l’Union Africaine n’a pas été en mesure de résoudre les problèmes les plus fondamentaux du continent africain. L’essayiste, consultant, Hervé Mahicka, n’a-t-il pas raison de dire que « L’Afrique perd son temps sur des pistes cul-de-sac constituées de théories fumeuses distillées telles des vérités révélées (…) Il est urgent de changer le fusil d’épaule et de construire une véritable vision géopolitique, économique et sociale africaine, qui soit à la foi radicale, réaliste et ambitieuse. »
Nous osons croire que, la rencontre Kagamé-Tshisekédi, samedi le 8 février 2025, à Dar Es Saalam, en Tanzanie, dans le cadre du sommet extraordinaire conjoint de l'EAC et de la SADC, au sujet du conflit en RDC, ne s'écartera pas de cette vision de Hervé Mahicka.
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