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Accueil du site > Tribune Libre > Coke en stock (XLIII) : erreur tragique au Pérou

Coke en stock (XLIII) : erreur tragique au Pérou

Un autre état andin, le Pérou, a également été l'objet pendant des années d'un intense trafic de drogue (et l'est encore aujourd'hui). Pour y remédier, dans les années 90, le pays avait fait appel à l'aide américaine, qui avait apporté des avions radars, sous la forme discrète de bimoteurs d'affaires à réaction, à savoir des avions en provenance de la CIA, et non de la DEA comme on aurait pu s'y attendre au départ. Cette activité plutôt surprenante sera l'objet d'un vaste programme caché aux yeux du public américain, jusqu'à ce qu'un incident sérieux ne le révèle, 9 années après les faits. Au Pérou, pour la première fois, on découvrait trois choses ce jour-là : que la CIA était bien présente et fort active, que la circulation de la drogue l'intéressait, et qu'elle utilisait comme pilotes des retraités de l'Air Force devenus mercenaires chez DynCorp. Bref, les américains, en 2010, découvraient ébahis une duplicité qui durait depuis longtemps. La même qu'en Colombie, où trois pilotes mercenaires, Marc Gonsalves, Keith Stansell and Thomas Howes, eux aussi de chez DynCorp, avaient été capturés le 13 février 2003 par les Farcs à bord d'un avion... de la CIA. Ils deviendront les infortunés compagnons d'Ingrid Bétancourt (et seront relâchés avec elle).

Le Pérou : là, ce n'est pas depuis la veille non plus que les histoires de cocaïne ont commencé. Dès les années 80, une intense activité aérienne est perçue dans le pays, celle de petits appareils remplis de drogue. Arrivés en renfort pour surveiller ce trafic, "en 1994, les États-Unis ont détecté plus de 428 vols internationaux partant du Pérou avec environ 310 tonnes métriques de cocaïne semi-raffinée. La moyenne estimée par charge en vol en 1994 était de 727 kilogrammes. S'appuyant sur ses propres sources d'information, la Force aérienne du Pérou( FAP) a évalué le nombre moyen d'aéronefs du trafic international à un chiffre encore plus élevé, de 270 vols par mois, chaque vol transportant 500 kg". Pour y arriver, les USA déploieront successivement des Sentry AWACS et des P-3 Orion, puis des bimoteurs C-27 J Spartan nouvellement reçus, les péruviens disposant de Cessna Citation 560 munis de radar à balayage et de caméras Le C-27 Spartan, entré dans l'Air Force en 1990, faisait partie des missions "discrètes" du Southern Command, et spécialement de la MOMEP ("Military Observation Mission Ecuador Peru"). Sous le nom de MOMEP chargé de surveiller les frontières disputées entre l'Equateur et le Pérou, il y avait un équipement radar expérimental à bord, qu'on retrouvera sur le fameux Crazyhawk aperçu en Colombie, notamment.

Des accords entre les Etats-Unis et le Pérou ont été passés depuis pas mal de temps déjà pour lutter contre le trafic de drogue : "en 1990, Washington et le Pérou ont conclu un accord - formalisé comme un traité bilatéral en 1993 - selon laquelle les Etats-Unis apportaient une aide aux forces armées du Pérou pour la localisation, l'identification, l'interception et / ou la neutralisation de petits aéronefs soupçonnés de transporter de la coca-base du territoire péruvien vers les laboratoires de finition en Colombie. L'Airbridge Denial Program, comme on l'appelait, a défini le rôle des États-Unis, des avions et des pilotes sous contrat (et plus tard, des opérateurs radar) pour la recherche et l'identification, avec la Force aérienne du Pérou (FAP) et pour définit le choix des avions qui devaient être interceptées ou abattus. La prise de décision finale réelle devait être de la responsabilité des Péruviens. Un programme similaire portant le même nom a également été utilisé en Colombie avec le même protocole". Ceci, pour les choses écrites sur le papier. En réalité, et selon certaines personnes ayant pris part à la lutte anti-drogue, ce n'est pas exactement comme cela que cela s'est passé : que ce soient les Péruviens ou Colombiens qui auraient pu effectivement donner le feu vert pour appeler à tirer sur les avions de contrebande, cela a été contesté par l'ancien agent de la DEA Celerino Castillo, qui était un des hommes des Etats-Unis ayant participé à un programme précurseur de l'Airbridge Denial Program au Pérou dans les années 1980. Castillo, dans une conversation avec ce journaliste, a affirmé que malgré les Péruviens aient donné l'ordre de tirer sur le papier, les ordres d'abattre un avion avaient « toujours leur origine aux États-Unis. Ce n'était pas quelque chose pour laquelle nous aurions fait confiance à quelqu'un d'autre." L'exclusion aérienne était en fait sous la houlette de la CIA, au Pérou comme en Colombie. Et c'était clairement un permis de tuer.

"J'ai volé sur ces missions pour abattre des avions. Personne, je dis bien personne, n'abattait rien que la CIA n'ait pu indiquer. Nous avons volé sur des hélicoptères où des soldats péruviens se penchaient par la fenêtre avec des fusils et perçaient des trous dans la carlingue des avions de contrebandiers. j'étais sur ces vols. Oui, les Péruviens tiraient, mais ce sont toujours les États-Unis qui a ont donné le "OK". " Plusieurs pilotes péruviens impliqués dans le programme, s'exprimant sous le couvert de l'anonymat, ont convenu de même que Castillo." En même temps, en 1996, Celerino Castillo avait accusé la CIA d'organiser le trafic de drogue, notamment via la Mena... preuves à l'appui, qui seront toutes balayées d'un revers de main par le responsable d'alors de la CIA, John Deutch. Castillo avait pourtant tout livré, y compris l'énorme responsabilité du Lt. Col. Oliver North, homme proche des extrêmiste de droite US, et principal instigateur des opérations louches des "Contras".

Castillo, qui citait également ouvertement Carriles. "Pendant l'opération de Contras, le vice-président George H. Bush a désigné Oliver North et le directeur de la CIA William Casey, pour coordonner l'opération de ravitaillement de l'aéroport d' Ilopango au Salvador. C'est ce qu'il ont fait, en utilisant des moyens déjà mis en place autour de l'exploitation de transport aérien du général Richard Secord à Ilopango. L'Ancien agent de la CIA Felix Rodriguez, et le terroriste cubain Luis Posada Carriles ont ainsi dirigé les opérations des hangars 4 et 5. En Octobre 1976, après qu' une explosion ait envoyé un avion de ligne cubain en chute libre dans la mer au large de la Barbade, il a été révélé que le cerveau derrière l'attentat était nul autre que Luis Posada." Ces avions, nous les avions croisés à l'épisode 10 de notre saga... Carriles faisant récemment la "une" des journaux, encore une fois, pour nous montrer de quelle incroyable degré de protection il bénéficiait au sein des Etats-Unis, malgré tous ces crimes...

Un programme qui a donc marché pendant des années sans que personne ne s'en formalise vraiment : "entre les années 1990 et 2001, les rapports officiels des Forces Aériennes Péruviennes affirment avoir intercepté, forcé à atterrir ou abattu un total de 101 avions de transport de drogue. Que ce chiffre soit exact a longtemps été sujet à débat, car il omet toute référence à des avions qui ont été forcés ou abattus et qui n'ont pas été trouvé en possession de drogues. Si ceux-ci avaient été inclus le total serait probablement beaucoup plus élevé. Mais le programme n'a véritablement jamais attiré l'attention du public si ce n'est pour certains incidents meurtriers qui ont coûté des vies innocentes. Le dernier en cours a entraîné la suspension du programme, à la suite d'une enquête et la demande de justice des survivants." "Pas attiré l'attention", effectivement, jusqu'en 2008, à la suite de la révélation d'un terrible incident, et la découverte par les élus américains du House Intelligence Committee, qui vont apprendre qu'au moins une bonne quinzaine d'appareils ont été descendus par l'armée péruvienne, entre 1995 et 2001 et ce moins de trois minutes, la plupart du temps après avoir été repérés : une manière qui semble assez expéditive. La CIA, interrogée avait alors répondu que ces appareils avaient été abattus car il volaient "sans s'être correctement identifiés, sans avoir respectés les avertissements venus du sol, ni même répondre aux avertissements donnés à partir du sol." 

Les ordres d'abattre les avions, au Pérou, avaient été pris à la légère, semble-t-il : ainsi le 11 juillet 1991, où la Police n'avait rien trouvé de mieux que d'abattre un appareil commercial d'Aerochasqui Airlines à la place d'un avion soupçonné de transport de drogue. Le petit CASA C-212 Aviocar 200 immatriculé OB-1218 qui avait tenté de décoller de l'aéroport de Bellavista n'avait eu aucune chance et se passagers encore moins : il y a avait eu 17 morts. Selon la presse locale, c'étaient les policiers qui étaient défoncés à la cocaïne ! En 1994, on avait pu s'apercevoir de la forte implication de la DEA lors d'un autre crash, celui d'un CASA du même type, parti de Santa Lucia direction la région de production de coca d'Upper Huallaga Valley , où cinq agents US des narcotiques avaient trouvé la mort. L'avion avait été localisé à Puerto Pizana, au bord des Andes. Frank Fernandez, Jr, Meredith Thompson, Juan C. Vars, Frank S. Wallace, Jr et Jay W. Seale furent cités au tableau d'honneur des agents de la DEA, le dernier cité sortant de Fort Bragg, en Caroline du Nord, et de la Ranger School de Fort Benning, en Georgie : autrement dit, très certainement davantage un membre de la CIA que de la DEA. Pour la première fois, l'assistance de la CIA sur place se faisait jour.

Malgré ces avions abattus, l'affaire de l'aide américaine pour le faire était pourtant restée des années inconnue. Jusqu'à une bavure mémorable, le 20 avril 2001, ou un petit hydravion Cessna appartenant à un missionnaire, Jim Bowers, co-pilote de l'appareil, avec à bord sa femme Veronica, leur fille adoptive Charity, âgée de 7 mois, leur fils Cory âgé de 6 ans, et comme pilote Kevin Donaldson, est pris en poursuite par un avion américain (un bimoteur Spartan équipé de radars à bord ainsi que par un Citation 560 spécialement équipé) est abattu d'une rafale tirée d'un jet péruvien venu à la rescousse (un autre Cessna, un A-37B). Le petit hydravion, pris pour un avion de trafiquant, ne va pas résister longtemps et s'abîmer dans un des bras de l'Amazone. Seuls Donaldson, Jim Bowers et son fils Cory, tous trois blessés, survivront. Lorsqu'on retirera l'avion du fleuve, la photo sera très parlante : le petit Cessna était bien totalement criblé de balles de gros calibre ! On tentera d'étouffer l'affaire, mais Jim Bowers contrairement aux espérances de la CIA ne voulut rien savoir et intenta un procès au gouvernement. L'avion de surveillance Citation appartenait à "Aviation Development Corp", une société paravent du Pentagone. Le missionnaire apprendra que l'appareil était également piloté par trois anciens pilotes de l'armée travaillant pour la CIA, mis sous contrat de Dyncorp, société de mercenaires très active en Amérique du Sud. 

L'avion avait été abattu sans même qu'ils vérifient sa numérotation, clairement visible sur les ailes et le fuselage : impossible de se tromper, pourtant, comme le montrera le relevage des eaux où l'avion était tombé ! Il découvrira également, complètement atterré, lors de l'enquête, que 38 appareils avaient ainsi été descendus de la même façon, tuant 20 personnes sans qu'on n'ait eu vent de ce genre d'opérations menée par la CIA. Que venait-elle faire dans le cas de la lutte contre le trafic de drogue était bien le fond du problème : on s'attendait à y trouver la DEA, plutôt.... l'enquête avait aussi été menée par le député républicain Peter Hoekstra, choqué par le fait divers tragique.  Son rapport remis en 2008 dénonçant l'incident, mais aussi les précédents, avait fait l'effet d'une bombe, la CIA étant obligée d'avouer son implication au Pérou, où elle était censée ne rien faire. Hoekstra affirmera que si on avait respecté les procédures d'engagement et la loi, le drame ne se serait pas produit. Or, à ce moment là, le député était aussi le président du House Intelligence Committee, ce qui lui donnait un poids certain dans le débat. Richard Clarke, ancien directeur du contre terrorisme, déclara lui aussi que dans le cas de l'affaire Bowers, rien n'avait été fait dans les règles : une attaque directe sur le rôle des mercenaires de DynCorp au sein de l'armée. Neuf ans après l'accident, les américains apprirent (enfin) à la télévision la terrible méprise de la CIA. Et qu'elle avait surtout menti sur sa présence depuis des années au Pérou ! C'est le président Clinton qui avait autorisé ces opérations. 16 responsables de la CIA étaient visés par l'enquête, qui conclut évasivement sur la responsabilité.... des forces péruviennes ! Bref, circulez, au Pérou comme ailleurs, il n'y a rien à voir...



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8 réactions à cet article    


  • Patrick Porridge 2 juin 2011 11:47

    Sachez que l’Espagne avec le Portugal est championne de la dette privée qui atteint 220% du PIB alors que ce taux est de 130% dans la zone Euro.


    • morice morice 2 juin 2011 12:11

      le rapport avec le sujet ? AUCUN. Dehors les TROLLS.



      • Patrick Porridge 3 juin 2011 18:33
        Mettre fin à « la guerre contre la drogue » : le succès portugais
        http://www.rue89.com/2010/11/27/drogues-prevention-plutot-que-prison-cle-du-succes-portugais-177965

        hé, hé


      • JLS 3 juin 2011 09:12

        La vraie question est peut-être de savoir pourquoi les gens se droguent. Avant d’être un marché, le fait de vouloir échapper à une certaine réalité est peut-être une des question les plus importantes depuis que l’humain existe. 



        • loadmaster 3 juin 2011 17:45

          oui pas faut !! mais combien de « jeunes » tombent dans le piège de la première fois gratos en soirée pour essayer et pas avoir l’air « beauf » de ne pas essayer !!

          c’est tous les jours sur Roissy ( et dans tous les aéroports du monde ) le passage des bouletteurs en provenance d’Amérique du sud , bien que maintenant ils traquent aussi les arrivées en provenance d’ Espagne, et d’Afrique !!

          Un collegue qui à fait un vol Guyane à vu un couple de retraité ce faire gauler avec 50 Gr de Coke a Cayenne !!

          mais pour 50 gr de pris !! combien de kilo sur le même vol ?? c’est sur que ces retraité ce sont fait vendre par le dealer pour que le vrai passeur ai plus de chance de passer tranquillou

           


        • morice morice 3 juin 2011 13:29

          La vraie question est peut-être de savoir pourquoi les gens se droguent. 


          effectivement. 

          • morice morice 3 juin 2011 19:24

            c’est tous les jours sur Roissy ( et dans tous les aéroports du monde ) le passage des bouletteurs en provenance d’Amérique du sud , bien que maintenant ils traquent aussi les arrivées en provenance d’ Espagne, et d’Afrique !!

            voir mon épisode bonnet C....

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