Comment les dogmes radicaux s’imposent à l’université et verrouillent la liberté d’expression
La liberté d’expression est-elle menacée dans l’enseignement supérieur français ? Accusations de racisme envers des professeurs, tags, happenings visant à l’annulation de colloques ou de cours… Depuis plusieurs années, les campus sont victimes de plus en plus d’actions de la part d’étudiants se revendiquant du courant « woke ». Ces actions, parfois violentes, se font à l’encontre de professeurs et d’intervenants suspectés, pêle-mêle, de racisme, de sexisme, d’homophobie ou de transphobie. Une radicalité qui, loin de toucher uniquement les jeunes, s’impose aussi de plus en plus parmi les chercheurs et les professeurs d'université eux-mêmes.
Mis en lumière à la fois par le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer et par la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal, le « wokisme » serait-il en train d’envahir nos universités ? Si la situation reste loin d’être aussi catastrophique qu’aux États-Unis, où une parole de travers peut coûter une carrière, il reste que la situation devient de plus en plus préoccupante en France.
Quand la cancel culture américaine débarque en France
Importée des campus américains, les partisans de la cancel culture y voient une forme de revanche sur la société. Se considérant discriminés, ils n’hésitent plus aujourd’hui à lancer des appels à l’annulation de la venue de tel ou tel professeur, dont les propos auraient pu personnellement les choquer. Que les propos en question aient été pris dans leur contexte ou non, que l'auteur des propos ait été amené à s'expliquer ou non, seule la perception personnelle, l'émotion et le choc ont une importance. A tel point que les Américains ont inventé une expression pour décrire ces jeunes à la fragilité émotionnelle exacerbée : la génération flocon de neige, ou snowflake.
L’exemple d’Adolph Reed, professeur émérite de l’université de Pennsylvanie, soutien de Bernie Sanders (et accessoirement afro-américain), est éloquent. La venue de celui-ci à un important congrès du Parti Démocrate américain a été tout bonnement annulée pour une réflexion qui n'a pas plu à certains jeunes membres du parti. Celui-ci avait effectivement affirmé que, selon lui, la gauche américaine était trop focalisée sur les questions de race et pas assez sur les inégalités sociales. Une petite phrase qui a particulièrement choqué la frange la plus radicale du parti, en plein mouvement Black Lives Matter. Il n'en fallait pas plus pour demander l'annulation de sa venue, ce qui en dit long sur la vision du débat démocratique des militants en question.
Ce genre de méthode particulièrement infâme semble, malheureusement, avoir aussi trouvé un écho en France. Klaus Kinzler, professeur d’allemand à Sciences Po Grenoble, en fait les frais depuis mars dernier. Victime d’une véritable cabale, il a été accusé d'islamophobie par une poignée d’étudiants radicaux. Appel à licenciement, placardage de son nom sur les murs de l’école, diffamation et torrents de boue sur les réseaux sociaux… L'affaire a un tel retentissement qu'il a dû vivre un temps sous protection policière et que sa direction mécontente de ses propos l’attaque désormais pour « diffamation ».
De la même manière, en 2019, la venue de la philosophe Sylviane Agacinski à une conférence à l’université Bordeaux-Montaigne avait été annulée à la suite de la mobilisation de plusieurs associations LGBT. Celles-ci avaient dénoncé une militante « réactionnaire, transphobe et homophobe ».
Les nouveaux hérauts français de l’anticapitalisme et de l’antiracisme
Outre les étudiants, ce sont parfois aussi les professeurs qui font preuve d’une radicalité à toute épreuve. Les campus français se sont ainsi trouvés de nouveaux porte-voix, plusieurs décennies après Pierre Bourdieu et Jacques Lacan. Anticapitalisme, antiracisme, critiques acerbes contre l’universalisme, l’État et les « dominants » … Parmi ces chercheurs sulfureux, qui donnent à la fois du grain à moudre à des théoriciens radicaux d’extrême gauche et à des partis d’extrême droite, on peut notamment citer Didier Eribon et Éric Fassin. Sociologues autoproclamés, ces derniers ont une grande responsabilité dans l’introduction, en France, des champs d’étude américains portant sur la race et le genre.
Eric Fassin est effectivement notamment connu pour avoir introduit les gender studies en France. Dans les années 1990, alors qu’il était directeur adjoint de l’Institute of French Studies, à New York, il découvre deux chercheuses particulièrement connues outre-Atlantique pour leurs travaux sur les questions de genre : Judith Butler et Joan W. Scott. À son retour en France, il sera l’un de leurs meilleurs promoteurs. Elles le lui rendront d'ailleurs plutôt bien puisque, près de vingt ans plus tard, elles feront partie du jury habilité à lui accorder l'habilitation à diriger des recherches (HDR), véritable graal de l'enseignement supérieur. Graal qui lui sera délivré contre toute attente, alors même qu'il n'a jamais réalisé de thèse de doctorat.
Mais si Didier Eribon et Eric Fassin ont particulièrement sévi dans les facultés de sociologie ces dernières années, leur premier fait marquant a en réalité lieu dans les années 1990. Ils avaient alors tenté de cancel la sociologue et chercheuse au CNRS Irène Théry. Sollicitée initialement par le gouvernement Jospin pendant les débats sur l’adoption du PACS, son seul tort avait été de ne pas avoir intégralement repris les propositions des militants LGBT de l’époque.
Des méthodes d’action américaines couplées à une idéologie pas si étrangère
Si les méthodes d’action ont été plutôt importées des États-Unis, l’idéologie derrière n’est pas vraiment étrangère à la France. Même s'il est vrai que les études de genre et les études intersectionnelles ont connu essor phénoménal aux États-Unis ces vingt dernières années, c’est bien en France qu’est né le terreau idéologique de ces courants.
Apparue aux États-Unis dans les années 1970, la « French Theory » est un corpus de thèses et théories s’inspirant de philosophes, sociologues et chercheurs en sciences sociales français, tels que Pierre Bourdieu, Michel Foucault ou encore Jacques Derrida.
Après être passé par le continent nord-américain, ce corpus idéologique est revenu comme un boomerang sur les campus français. Ces dix dernières années, de nombreuses universités, telles que Paris-VIII ou Lyon-II, ont développé de nombreux cursus se fondant sur ces nouvelles théories. Le Figaro Étudiant en rapportait récemment un exemple édifiant : l'inauguration, à Sciences Po Poitiers, d'un cours de « sociologie de la race ». Au programme, des séances portant sur « l’approche qualitative de la racialisation » ou encore la « blanchité dans l’hégémonie raciale ». Difficile de ne pas voir derrière ce charabia sociologisant l'influence d'une idéologie américaine radicalisée et hors de propos dans le contexte français.
En mettant à part la légitimité de l'existence de ces cours, ce qu’on peut véritablement regretter, ce sont les tentatives de censure de tous les propos ne rentrant pas dans le cadre de la pensée "woke". Le débat démocratique, la liberté académique et la liberté d’expression doivent perdurer dans nos universités. Que cela plaise ou non à une frange radicalisée de la jeunesse française…
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