Comprendre la psychologie complexe des Harragas algériens
Si la psychologie du « harrag » (le migrant clandestin), est complexe à analyser, c'est parce que la vie qu'il mène l'est aussi pareillement. Du matin au soir, la vie des jeunes algériens est rythmée par les mêmes scènes d'incompréhension, d'injustice, de mépris, de violence, de bureaucratie. Partout où ils se tournent, les portes se referment, comme si on leur signifie que leur présence au pays n'est pas souhaitable, voire inutile. Même l'amour est cadenassé en Algérie puisque l'acte d'aimer est lui-même tabou et sujet à de mauvaises interprétations, surtout de la part des islamistes.
Construits avec hypocrisie, les clichés sociaux condamnent les jeunes à l'enfermement sur soi et au conformisme. Ce qui tue, dans l'œuf, leur liberté, leur géni, leur plein épanouissement. « C'est irrespirable ! », voilà la première réponse que m'a donnée un jeune étudiant à la fac d'Alger, sur la voie de départ à l'étranger, quand je l'ai interrogé sur ses impressions concernant l'Algérie d'aujourd'hui. Ce sentiment de dégoût, palpable dans les rues et les foyers, est la résultante des blocages successifs des voies d'écoute et de dialogue social. Mais pourquoi sommes-nous prêts à condamner les jeunes plutôt qu'à les écouter, les comprendre, les apaiser ? Les frustrations collectives, conséquence des freins et tabous sociaux, peuvent exploser et provoquer d'énormes dégâts, quand elles ne sont pas canalisées, étudiées et soignées à la base. Regardons bien ces phénomènes de kidnappings et de viols d'enfants, qui reviennent régulièrement sur le devant de la scène, et interrogeons-nous avec lucidité sur le pourquoi de l'échec de la société à entretenir des comportements sains, équilibrés et ouverts en son sein. À la vérité, on ne peut pas redresser les torts de celle-ci par l'application de la peine de mort, un châtiment extrême, injuste en lui-même, sur les jeunes violeurs-meurtriers, mais en ouvrant le champ d'étude et de traitement de ces maux à leurs racines. Un jeune, aussi voyou soit-il, ne choisira jamais de se jeter à la mer, à la recherche d'un avenir hypothétique, ni dans les bras de la délinquance et du crime s'il trouve devant lui une famille équilibrée, une société compréhensive et ouverte, un pays qui lui donne des chances réelles d'insertion dans le tissu professionnel.
Nos jeunes rêvent de quitter leur pays parce qu'ils s'ennuient entre les murs de villes mortes et sans perspectives. Des villes qui ne les considèrent point, les négligent, leur volent et leur âge et leur patience, en ronflant de surcroît, vides la nuit, sans mouvement, sans distraction, sans ambiance, sans joie. Des villes qui respirent sans eux, indifférentes. Les jeunes citadins ont l'air de porter sur leurs épaules tous les chagrins de la terre. Ils moisissent, pour la plupart d'entre eux, dans le dénuement matériel, la pauvreté affective, les tabous, la délinquance, l'absence de sens à leur existence. Pour ceux des campagnes, pas de grande différence : l'horizon se limite au village, le point de chute est un café-maure, le centre d'intérêt une partie aux dominos...Les uns comme les autres partagent une seule ambition : partir là où personne des leurs ne les voit, dans un lieu invisible, une métropole européenne située de préférence au fin fond du nord, anonyme, bondée de monde, gorgée de belles surprises,, d’opportunités, de chances et de l'argent par pelletées...
Kamal Guerroua.
P.S : Dans mon roman, "Le Chant des sirènes", publié chez l'Harmattan en 2019, il est surtout question de description de tout ce vécu difficile des Harragas.
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