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Accueil du site > Tribune Libre > Crue de l’Arve : record ou pas ?

Crue de l’Arve : record ou pas ?

Je reviens sur ma note précédente pour quelques précisions. J’écrivais hier que le débit record de l’Arve date de 1885, selon un article du site du Dictionnaire Historique de la Suisse (DHS, online : https://hls-dhs-dss.ch/fr/).

Paul Guichonnet

Or la RTS annonçait un débit record hier, avec 1000 m3. J’ai vérifié sur le site officiel de mesure, qui indiquait 1010 m3/s, ce que j’ai indiqué dans ma note. Je soupçonnais une erreur de la part de la RTS ou de Météo Suisse.

Ce matin la RTS a actualisé l’info et indique cette fois, comme moi entretemps, un débit de 1010 m3/s. Mais est-ce le record absolu comme l’affirme la RTS ?

« La crue de l'Arve a battu tous les records mercredi matin. Le débit de la rivière a grimpé jusqu'à 1010 mètres cubes par seconde (m3/s). C'est 17 fois plus qu'en moyenne à cette période de l’année. »

Or le DHS mentionne un record de 1136 m3/s. Qui dit vrai ? Le DHS me semble rédigé par des personnes honorables et compétentes. Placé sous l’égide de l’Académie suisse des sciences humaines et sociales, sa démarche est transparente. Il est subventionné par la Confédération.

L’article que je mentionne a été écrit par un géographe aujourd’hui décédé, Paul Guichonnet, grand spécialiste de l’histoire de la Savoie, ancien doyen de la Faculté des sciences économiques et sociales à Genève. Un historien respecté et apprécié.

 

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Refoulement

Je précise cela car s’il cite la crue exceptionnelle d’octobre 1885, avec son débit de 1131 m3/s, je ne trouve pas de relevé correspondant. Je laisse donc un doute sur ce chiffre, bien que le sérieux de l’auteur laisse supposer qu’il a trouvé un moyen de le vérifier.

On sait que la plaine de Carouge à Plainpalais est formée des alluvions de l’Arve, et que c’était historiquement un marais. Rien d’étonnant à ce que la rivière déborde ici.

Dans un autre article co-signé avec d’autres chercheurs dont Pierre Hainard, et publié dans l’Encyclopédie de Genève, Guichonnet précise à nouveau :

« L’Arve est particulièrement dangereuse : on a observé, en octobre 1888, un débit record de 1136 mètres cubes/seconde, soit 51 fois l’étiage (débit minimum moyen) ! Les eaux de l’Arve, formant barrage, retenaient celles du Rhône et, en 1570, 1650 et 1711, elles montèrent si haut que les moulins de la cité tournèrent à l’envers. »

La crue de 1570 a été terrible :

« En 1570, la crue est telle que la cité de Bonneville est presque entièrement détruite. A Genève, les ponts ne résistent pas au reflux des eaux et, sur les berges, les moulins tournent à l’envers. »

Or la crue récente a également produit un refoulement des eaux de l’Arve dans celle du Rhône. On peut supposer que les crues de l’époque étaient aussi fortes qu’aujourd’hui, faute de chiffres plus précis.

 

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Statistique

En passant je lis dans cet article que les jours de mer de brouillard dans les années 1970 étaient au nombre moyen de 79 jours par année - deux mois et demie. Cette couche plaquait l’air froid au sol. Ce n’est plus le cas. Le réchauffement hivernal est donc dû en partie à la diminution de ces jours de brouillard ou de stratus.

On trouve aussi cette information :

« Les orages d’été et les averses d’automne de type méditerranéen abattent des lames d’eau de 75 à 180 millimètres en 24 heures, qui pâlissent toutefois devant le déluge du 11 juin 1930 : 105 millimètres en une heure ! »

105 litres au m2 en une heure ! Très très grosse pluie, averse de dingue, peut-être imbattue, pour cette crue-éclair phénoménale :

« … Mais celle du 11 juin 1930 qui en une heure a pu donner 105 mm (…) et ne peut trouver d’exemples comparables que sous les Tropiques. »

Dans un autre article qui détaille la manière dont les chercheurs documentent le sujet et utilisent les sources disponibles, on trouve un graphique qui représente les crues de l’Arve depuis 1700. Le constat. il y avait davantage de crues au 18e siècle qu’au 20e. Le réchauffement ne semble pas en cause.

Un rapport fédéral sur la statistique des crues en Suisse, repris ici sur ge.ch (graphique image 3), montre que l’Arve est coutumière des événements intenses. Mais l’année 1885 ne figure pas sur ce tableau qui débute en 1904.

 

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Archives

Cependant une indication se rapporte à ma recherche :

« Graphique : Débits maximaux de l’Arve depuis 1904. A noter que les mesures avant 1924 faites à l’Ecole de Médecine ont pu être affectées par le remous du Rhône et les débits indiqués pourraient être surestimés. »

Pourtant de 1905 à 1923 les relevés ont été effectués à l’Ecole de Médecine et sont acceptés. Ils existent, et ceux plus anciens sont mentionnés. De plus un ni le quantifie immergé sépare les eaux à la Jonction (image 5 Wikipedia) :

« Ces murs de séparation sont relativement courants lorsque les rivières circulent à travers des villes, néanmoins leur fonction varie selon les cas. Dans le cas de la confluence Rhône-Arve, le mur empêche les deux rivières de se mélanger en retardant leur mise en contact, ce qui donne ces belles images où les deux rivières semblent couler l’une à côté de l’autre sans se mélanger (en tout cas, pas tout de suite). »

Il est possible que le Rhône, suivant sa hauteur, freine quelque peu l’Arve et fausse légèrement les données. Mais je n’ai rien trouvé qui confirme ni quantifie cela. Le refoulement de l’Arve dans le Rhône lors des crues exceptionnelles montrerait plutôt que le Rhône subit les remous de l’Arve plus que l’inverse, d’autant que le fleuve sort assagi du lac Léman.

Où est l’archive de l’Ecole-de-Médecine de la décennie 1880 ? Faute de pouvoir être quantifiée cette information reste incertaine pour moi. Par contre cet argument des remous signifie implicitement qu’il y a eu des débits plus hauts que 1000 m3/s. Si c e n’était pas le cas il n’y aurait pas besoin de le préciser.

 

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Milléniale

Ici aussi on relève le nombre et l’intensité des crues des 18e et 19e siècles :

« Chaque décennie, jusqu’à nos jours, a été marquée de crues plus ou moins importantes. Parmi les plus violentes : 1401, qui détruisit Bonneville ; 1733, qui emporta tous les ponts bâtis sur la rivière ; 1778, 1787, 1825 qui se ressemblèrent en volume d’eau, et enfin 1852, 1888 et 1895 qui firent bien des dégâts dans les villes bordières. »

Je trouve donc mention d’une crue majeure en 1888. 1888 pourrait-il avoir été confondu avec 1885 citée plus haut ? J’en doute. Mais cette année 1888 on mentionne des aménagements suite à une grosse crue avec inondation de la plaine alluviale et refoulement de l’eau vers le lac :

« Mais c’est l’importante crue de 1888 qui fut le véritable point de départ de la correction générale de l’Arve, avec le projet Legler qui préconisait, entre autres, une pente uniforme du lit (0.1%), une largeur de 75 mètres, et un rehaussement des berges avec construction de voies de circulation. »

Un facteur aggrave la puissance des crues depuis plus de 100 ans : le lit de la rivière s’est rétréci et creusé, donnant plus de vitesse au flot.

Je ne trouve donc pas les données de la crue record de 1885 évoquée par des scientifiques. Je n’ai pas de certitude. Mais je fais plutôt confiance aux travaux des historiens, dont Guichonnet. D'ailleurs le record n'est pas le plus important. Depuis 2 000 ans il est très possible que des crues plus fortes soient déjà advenues. Les inondations ont toujours eu lieu. Pour moi ce n'est pas un bon indicateur du réchauffement.

Cela dit, 2023 est peut-être une crue milléniale.


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6 réactions à cet article    


  • velosolex velosolex 18 novembre 2023 12:45

    « À mesure que les peuples se sont développés en intelligence et en liberté, ils ont appris à réagir sur cette nature extérieure dont ils subissaient passivement l’influence ; devenus, par la force de l’association, de véritables agents géologiques, ils ont transformé de diverses manières la surface des continents, changé l’économie des eaux courantes, modifié les climats eux-mêmes. » Elisé Reclus (1830-1905)

    • 4 Jean-Baptiste de Monet de Lamarck (1817). Homme, in Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle appli (...)

    18Que l’activité des hommes puisse avoir un impact considérable et négatif sur la nature et les milieux n’est pas une nouveauté pour le lecteur de 1864 et bien d’autres avant Reclus l’ont évoqué : « On dirait que l’homme est destiné à s’exterminer lui-même après avoir rendu le globe inhabitable » écrivait Lamarck dès 1817

    « Concordance des temps » sur France culture, évoquait l’oeuvre considérable d’Elisé Reclus, géographe oublié (sans doute trop dérangeant) qui fut un précurseur reconnu, en terme de systémie. L’émission est un régal et est écoutable en pod cast : (Elisée Reclus, la terre et les hommes)


    • Gasty Gasty 18 novembre 2023 17:10

      @velosolex

      (sans doute trop dérangeant) Normal !... Élisé Reclus et Jean Grave qui sont les fondateurs du mouvement anarchique

      en France.


    • amiaplacidus amiaplacidus 19 novembre 2023 04:11

      @velosolex

      Vous n’avez pas honte de citer l’anarchiste Élisée Reclus, compagnon de Bakounine, Proudhon, Blanqui, Mroczkowski, Kroptkine et bien d’autres ? smiley

      Communard, chantre des coopératives, fondateur, avec les susnommés, du mouvement du communisme libertaire, géographe distingué, etc.

      Il a eu le tort, comme les anars en général, d’avoir eu raison avec plus de cent ans d’avance.


    • sylvain sylvain 18 novembre 2023 21:20

      peuh, il est tombe 600 mm en 2 heures a 1 heure de route de chez moi le moi dernier

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