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D’Haïti à Dunkerque : Stéphane témoigne des conditions de vie des migrants dans le nord de la France

« Je suis arrivé en octobre 2010 à Dunkerque sur le programme de Médecins du Monde d’aide humanitaire aux migrants.
Je revenais juste de trois mois comme gestionnaire du stock de Médecins Sans Frontières en Haïti après le séisme. Je voulais travailler sur la solidarité mais en France. Je pensais qu’il y avait des choses à faire.
Franchement, je ne pensais pas que la situation ici serait à ce point là, à ce niveau de détresse et de misère humaine. Les conditions de vie sont vraiment très très dures.

 »

J’ai été logisticien aux Philippines après une inondation et les personnes sinistrées qui avaient tout perdu vivaient dans de meilleures conditions que les migrants auprès de qui nous venons en aide ici. J’aurais eu du mal à m’imaginer que des personnes vivent comme cela, chez nous, en France.

Mais ce qui m’a le plus choqué car je ne m’y attendais vraiment pas ce sont les relations si mauvaises avec les autorités publiques. Elles sont presque hostiles, fondées sur la méfiance, j’ai rarement vu sur les missions où j’ai travaillé à l’international, une telle tension. D’habitude, nous les secours, on est plutôt bien accueillis.

Les gens qui sont là sont des gens très courageux, ils ont fuit des pays en guerre pour la plupart, ils n’ont pas accepté ce qui se passait chez eux. Ils sont Iraniens, Irakiens, Soudanais, Palestiniens ou Erythréens…je suis souvent très surpris de leur niveau d’éducation ou de leur vie d’avant quand ils m’en parlent : ils sont étudiants, professeurs, informaticiens ou éleveurs, propriétaires agricoles … Ils ont tout quitté pour venir en Europe. Malgré des conditions de vie déplorables, ils ont une incroyable capacité à rester dign es. Ils sont sous la coupe des passeurs d’un côté et harcelés par la police des frontières qui tous les matins passe sur les lieux où survivent les migrants et arrête tous ceux qu’elle trouve pour quelques heures.

La première chose à faire était d’identifier les besoins sur le plan logistique, en complément des cliniques mobiles menées par les bénévoles de l’équipe Médecins du Monde. Ce qui existait sur le plan de l’hygiène, pour permettre aux migrants de se laver, pour évacuer les eaux usées, tout ce qui permet d’éviter, de prévenir des maladies de la peau, des maladies contagieuses aussi liées au manque d’hygiène. On a permis l’accès à l’eau potable avec des points d’eau à proximité des lieux de vie des migrants.

Quand est arrivée l’automne, on a vu apparaître des maux de gorge, des bronchites dus au refroidissement et au fait que les migrants vivent dehors tout le temps sans aucune protection contre le froid et le vent. Ils vivaient sous des bâches à même le sol pour la plupart. On a donc commencé par renforcer les abris précaires avec du matériel de récupération, des palettes. Tout ce qui pouvait se faire rapidement et pas cher.

Ensuite, il s’est mis à faire très froid et beaucoup plus tôt que d’habitude. Tout le monde a été pris de court. On a distribué 420 duvets depuis novembre. On s’est rendu compte que le Préfet ne prenait pas en compte les personnes sans-papiers dans le plan grand froid alors que la circulaire nationale indique bien que tout le monde doit être mis à l’abri quand les températures baissent. On s’est battu avec d’autres associations ensemble pour que les sans-papiers soient inclus dans le plan grand froid. Malgré cela, rien n’est vraiment prévu pour eux, les sites d’accueil sont déjà saturés et tous vivent et dorment dehors y compris quand il a neigé plusieurs jours de suite.

On a donc construit pour la première fois en réponse à cette situation d’urgence, une sorte de camp de "réfugiés en France". Il s‘agit pour l’instant de deux grandes tentes, isolées au sol avec des palettes et des planches, aux murs et plafond avec du polystyrène et des plaques agglomérées. On a rajouté des couvertures en laine pour garder la chaleur. Le tout est recouvert de grandes bâches agricoles. Les migrants présents nous ont aidé à monter ces tentes. Ils y ont beaucoup travaillé. Après leur première nuit dans un peu de chaleur, ils nous ont tout de suite dit que c’était bien, qu’ils avaient pu se reposer un peu pour la première fois depuis longtemps. Cela faisait plaisir. Ces abris sont en complément de la clinique mobile qui vient une fois par semaine sur les sites. Cela permettra d’éviter certaines maladies liées au grand froid.

Ce qui est le plus difficile dans ce programme à Dunkerque et sur le Nord Littoral, c’est de reconstruire tout le temps la relation avec les personnes à qui l’on apporte une aide. Ils restent un mois, parfois deux ou trois. Ils n’ont pas d’espoir, vivent dans des conditions proches de la survie, on recommence sans cesse à tenter de les aider mais c’est difficile. Il y a cinq jours, un jeune irakien de 17 ans a tenté de passer dans un camion mais au dernier moment il a sauté et s’est blessé très gravement à la tête. Il est dans le coma à l’hôpital de Lille, son pronostic vital est réservé. Sa famille tente de me joindre plusieurs fois par jour pour l’avoir au téléphone, savoir comment il va. Comment puis-je leur expliquer à une telle distance ce qui lui est arrivé ?"

 

Médecins du Monde
www.medecinsdumonde.org

Décembre 2010


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4 réactions à cet article    


  • Laurent_K 25 décembre 2010 11:54

    J’ai fait de l’humanitaire en Asie centrale il y a plus de quinze ans. Maintenant que je travaille et vis à l’étranger, je me demande si je ne devrais pas recommencer dans mon propre pays.


    • chuppa 25 décembre 2010 18:50

      nous avons perdu le sens du mot « accueil » au profit du mot « égoisme ».
      Quelques lumières d’espoir brillent mais si faiblement.


      • viva 26 décembre 2010 21:19

        Si quelqu’un décide de traverser l’atlantique en radeau ou le sahara à pied c’est courageux je pense, faut-il pour autant que la collectivité lui vienne en aide............ La situation de ces gens est insupportable, mais ils ont choisis et ne pouvaient pas ignorer que cela serait difficile .... Ce qui leur est donné manque forcément à quelqu’un d’autre, ce quelqu’un d’autre est peut être un de nos proche, un ami ou un voisin ........


        • Blé 27 décembre 2010 08:10

          @ viva

          Tous ces gens qui quittent leur pays préfèreraient certainement y rester. Mais la guerre que les lobbies militaro-industriels imposent aux populations ont de beaux jours devant eux car en effet au lieu de se questionner sur les causes qui font que des milliers de gens partent pour aller sous de cieux plus calmes, les gouvernements occidentaux en rajoutent une louche dans l’ inhumanisation de l’ accueil qui leur est fait.

          Ce sont les milliardaires qui me prennent quelque chose quand ils augmentent le prix du gaz ou de l’ électricité, le prix des transports et des marchandises, quand les banquiers prennent des agios faramineux pour quelques euros de découvert, mais les pauvres ne prennent rien quand on leur donne parce que je sais que si les riches ne « volaient pas autant » les peuples avec la complicité des gouvernements, il y aurait surement beaucoup moins de pauvres et de misère dans le monde.

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