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Accueil du site > Tribune Libre > Danone cède LU à Kraft Foods, les actionnaires se partagent « le gâteau » (...)

Danone cède LU à Kraft Foods, les actionnaires se partagent « le gâteau » (1)

Le 2 juillet dernier, le groupe Français Danome annonce qu’il projette la cession de son pôle biscuits au n° 2 mondial de l’agroalimentaire, l’Américain Kraft Foods (le n° 1 étant “ Nestle), avec qui il est en pourparlers exclusifs. Le géant américain, actuellement n° 1 mondial de l’industrie du biscuit, prendrait ainsi de solides positions en Europe.

Le 3 juillet 2007, Danone confirme la vente de l’entreprise Lu. Franck Riboud, le patron de Danone, justifie cette stratégie par le fait que le secteur du “ biscuit ”, bien que rentable, ait un potentiel de développement plus faible que ceux des produits laitiers frais et des boissons sur lesquels il veut recentrer son activité. De plus, ces derniers correspondent mieux à l’image de “produits santé” qu’il entend développer.

Cet avis sur la marge de progression de ce secteur n’est pas partagé par Kraft Foods qui déclare à l’inverse que c’est sur ce “segment où notre croissance est la plus forte au plan mondial” et “ce secteur en pleine progression et à très haut potentiel”.

Cette nouvelle est tombée dans l’indifférence quasi générale, préparation des vacances estivales et état de grâce post-électoral obligent. Seuls les salariées de LU et quelques observateurs s’en inquiètent. Pourtant, elle agite le spectre de la mondialisation et son cortège de délocalisations et licenciements, elle évoque les échos d’une crise majeure qui a enflammé l’opinion publique du début de ce siècle : “l’Affaire LU”, un emballement politico-médiatique sans précédent qui a abouti à une crise d’un nouveau type autour d’une entreprise devenue symbolique. Mais comment tout cela a-t-il commencé ? Remémorons-nous l’histoire exceptionnelle de cette entreprise.

Chapitre I : Le rêve... français
(ou l’histoire d’une des plus belles réussites de l’industrie alimentaire française)

C’est en 1846 que Jean-Romain Lefèvre et son épouse Pauline-Isabelle Utile quittent la Meuse dont ils sont originaires et acquièrent une petite pâtisserie à Nantes. Celle-ci deviendra vite la pâtisserie LU, nom formé de l’association des initiales des deux époux ; la maison Lefèvre-Utile était née.

En 1882, alors que son père vient de remporter la médaille d’or à l’Exposition de Nantes, Louis (son 3e fils) âgé de 24 ans, lui succède à la tête de l’entreprise familiale.

En 1886, Louis Lefèvre-Utile vient de créer le célèbre “Petit-Beurre” qui fera de la société LU une des plus belles réussites de l’industrie alimentaire française. A cette époque, l’Empire britannique règne en maître sur le secteur du “biscuit” et l’ambition de Louis est de le battre sur son propre terrain et surtout avec les mêmes armes : les matières premières bretonnes et vendéennes qui font l’excellence et le succès des biscuits anglais.

La société LU est fondée le 1er février 1887.

Louis Lefèvre-Utile est un créatif, un artiste à sa manière. La forme du P’tit LU lui a été inspirée par un napperon de grand-mère. Il emprunte à la broderie le lettrage pour écrire sur le biscuit “LU, Petit-beurre, Nantes” pour bien marquer son appartenance à la France sur un marché dominé par les Anglais. Le 08/09/1886, l’empreinte définitive des moules du Petit-Beurre est consignée dans les registres du constructeur “anglais” Vicars. La forme et la marque du P’tit LU seront déposées en 1888.

Louis dira de son “Petit-Beurre LU - Nantes” (appelé à l’origine “Petit Beurre Bambin”) : “Ce n’est pas le biscuit d’origine britannique, sec comme une anglaise en route pour l’exposition, fade comme le navet bouilli dont raffolent nos voisins.”

Les talents de Louis sont multiples. Il invente des slogans publicitaires tel qu’en 1902 “Qui me croque, craque. Qui m’a croqué recroquera”. Il pense que “pour susciter la gourmandise, rien de tel que de séduire l’œil” et

introduit l’art dans le domaine populaire en alliant le bonheur de la dégustation au plaisir du bel objet grâce aux fameuses boîtes en métal lithographiées. Il fera appel aux plus grands artistes de son temps, peintres et graphistes pour décorer ses boîtes, des littérateurs tel Georges Feydeau ou Anatole France pour faire la réclame de sa marque. LU utilise toutes les techniques et supports pour rayonner et mettre l’art nouveau au service de ses biscuits. L’histoire de son entreprise est ainsi intimement liée à celle de l’art de son époque, dont-elle devient un vecteur, et à notre culture populaire.

Il adopte les innovations d’outre-Manche comme le conditionnement en boîte de fer-blanc et les nouvelles techniques d’impression pour les décorer. Il modernise l’outil de production, construit une grande manufacture de biscuits le long de la Loire équipée du meilleur de la technologie anglaise. LU passe alors de 150 à 2 000 m2 et comptera 130 ouvriers en 1889.

La créativité de Louis Lefèvre-Utile ne se cantonne pas au seul Petit-Beurre, à la fin du XIXe près de 200 biscuits différents sont proposés, dont la gaufrette vanille, la paille d’or. Il célèbre des événements en créant un biscuit à l’occasion, comme le biscuit russe pour la visite du tsar Alexandre III, la gaufrette Iceberg pour la seconde expédition antarctique de Jean Charcot en 1908, liant ainsi étroitement la marque à notre histoire.

LU trouve sa première consécration internationale en recevant le “Grand Prix de la Biscuiterie” lors de l’Exposition universelle de 1900.

En 1913, l’usine de Nantes emploie 1 200 personnes sur 40 000 m2 pour produire plus de 6 000 tonnes de biscuits, soit 25 fois plus qu’en 1885. Seule entorse à la tradition, la formule est exceptionnellement modifiée en 1918 pour les soldats américains demandant des produits plus sucrés.

Epoque de stabilité, les années 30 voient LU faire figure d’entreprise semi-artisanale dans ses procédés ; Louis craignant qu’une mécanisation extrême nuise à la qualité de ses produits. Son fils cadet, Michel, relancera l’évolution de l’Entreprise pour faire face à la concurrence.

Dès 1922, la “Biscuiterie Nantaise” connue sous le nom de BN lance le fameux “Casse-Croûte” qui la rendra célèbre, alors que LU n’évolue plus. La 3e génération des Lefèvre-Utile doit réagir. On doit à Michel Lefèvre-Utile l’invention d’un container qui assure les conditions idéales de protection et d’isothermie des produits et réduit de moitié le temps de livraison. Il met en place un réseau de représentants exclusifs. Il fait perdurer l’esprit maison en associant au nom de LU les personnalités des Arts et des Lettres, tel le “Vive Lefèvre-Indispensable” prononcé par Sacha Guitry.

Au cours des années 50, avec Patrick Lefèvre-Utile, c’est la 4e génération qui prend les rênes de l’entreprise pour développer la production de masse et l’internationalisation. La source d’inspiration devient américaine : nouvelle gamme de conditionnement pour l’exportation développée avec la Maison Goossens (imprimerie lilloise liée à LU depuis le grand-père) “Pour la 1re fois chez LU, nous introduisons la photo du produit, en couleurs, sur le paquetage”. Le nouveau logo LU, 2 lettres sur fond rouge, est récompensé en 1954 par le “package designer council” de New York. C’est à Raymond Loewy, rencontré aux states en 1946, que Patrick Lefèvre-Utile demande en 1956 de redessiner le paquet de Petit-Beurre et le logotype LU. Le célèbre désigner s’exclamera : “Redessiner le paquet du Véritable Petit-Beurre LU, c’est redessiner le drapeau français.”

Ce nouveau paquet bouleverse les codes et reçoit “l’Eurostar for Packaging” en 1958.

1951, une ligne de fabrication continue remplace progressivement les fours à brique. Le conditionnement devient automatique et le papier alu remplace la boîte en fer blanc.

Dans les années 60, la gamme sucrée de LU se réduit de 200 à 15 produits, mais s’enrichit, poussée par la vogue anglo-saxonne, de snacks salés. La marque crée son propre vocabulaire avec les “Picklu”, “sticlu”, “cracklu” et pour le sucré, “Figolu” en 1961.

1967 - LU, marque phare, propose une politique d’alliance à ses concurrents français qui se livraient une guerre fratricide stérile, mais n’arrivaient pas à percer à l’exportation. Cette politique voit en 1969 la fusion de six fabricants (LU, Brun, 3 Chatons, Saint-Sauveur, Rem et le biscottier Magdeleine) au sein du groupe “LU - Brun et associés”. La création du groupe marque un véritable changement d’époque, finie l’entreprise familiale, rien ne sera plus jamais comme avant.... La mondialisation est en marche. D’ailleurs, entre 1969 et 1975, l’entente entre les membres du groupe se dégrade et Patrick Lefèvre-Utile, devenu hostile à leur politique, est contraint de partir, marquant la fin des “Lefèvre-Utile” à la tête de l’entreprise.

1975 - 2e étape de ce changement : Claude-Noël Martin, président de la société Céraliment (Biscottes de France, Heudebert, Prior, Pelletier) s’empare d’un tiers du capital de LU-Brun et associés. Le groupe, qui réunit désormais 18 entreprises, devient n° 1 français de la biscuiterie et se nomme Céraliment-LU-Brun (CLB).

C’est à la demande de C-N Martin que Patrick LU reviendra au sein du groupe comme délégué au développement international. Il en profitera pour imposer un “Livre de normes graphiques” préservant l’image de la marque “LU”.

1977 - Claude-Noël Martin prend le contrôle de la société belge GBCo (L’Alsacienne, De Beukelaer, Parein).

1978 - Le nouveau groupe est introduit en bourse sous le nom de Générale Biscuit. Il comprend 32 entreprises et est le 3e mondial de l’industrie “biscuitière et biscottière”, derrière l’américain “Nabisco” et l’anglais “United Biscuit”.

Dans les années 80, renouant avec la tradition, LU fait appel à des artistes contemporains renommés (Savignac, Folon, Gruau, Topor, Sempé...) pour enrichir son patrimoine artistique. Ce dernier sera exposé à Nantes dans son intégralité pour “LU fête 150 ans d’histoire”.

Dernier acte, en 1986, BSN (qui deviendra Danone) prend le contrôle de “Général Biscuit”. La fusion des deux groupes s’opère en 1987. Le président du groupe est Antoine Riboud.

En 1986, LU crée Hello ! de LU. A ce moment, les cookies à la française sont peu nombreux. C’est une nouvelle révolution “packaging” avec une boîte, non plus horizontale, mais verticale. Elle est aujourd’hui la référence du marché et le “cookies made in LU” a inspiré 200 copies.

Par la suite, Franck Riboud prendra la succession de son père à la direction de Danone, menant une stratégie très différente. Alors qu’Antoine Riboud a diversifié l’entreprise, son fils n’a de cesse de la recentrer sur son “cœur de métier”.

1994 - Pour la seconde fois de son histoire, le P’tit-Beurre change de goût (plus de beurre et plus aéré) à l’initiative de Franck Riboud, et ce pour récupérer les jeunes consommateurs.

En septembre 1999, la “collection LU” est transférée au château de Goulaine, à 2 km du site de production de La Haye-Fouassière. Elle rassemble près de 600 œuvres d’artistes renommés, des affiches, des objets publicitaires et du mobilier qui y sont exposés de façon permanente.

Las, le XIXe siècle verra, avec le développement de la mondialisation, la fin de la politique sociale de l’entreprise au profit d’une stratégie plus « financière », illustrant les différences profondes entre la gestion d’Antoine Riboud et celle de son fils Franck, comme il sera montré dans le chapitre second intitulé “Le Drame.fr”

2007 - Alors que la vente ne devrait être conclue qu’au cours du dernier trimestre de 2007, on peut d’ores et déjà lire sur Wikipedia que LU est une société de la branche biscuit de Kraft Foods rachetée au groupe Danone le 1er juillet 2007 ?!

C’est ce qui s’appelle « Vendre la peau de LU avant de l’avoir tué ».

Sources de l’histoire du Grand Méchant LU : Prodimarques et Wikipédia :

Suite de l’article : partie 2/3


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