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Accueil du site > Tribune Libre > Danone : les racines d’une culture

Danone : les racines d’une culture

Stupéfiante, cette affaire Danone. Le Canard Enchaîné révèle comment le PDG du Groupe aurait sciemment suscité une panique pour créer une réaction de défense notamment du gouvernement et des média. Il montre comment le Président de la République, le Premier ministre, et bien d’autres, ont volé au secours du Groupe « menacé ». L’AMF enquête pour savoir si, plus prosaïquement, quelques initiés n’avaient pas eu intérêt à faire monter fortement les cours de bourse -pour ensuite revendre l’action de Danone.

Ce qui nous importe ici est de voir comment une telle affaire a pu mettre à jour certains mécanismes de pensée -en fait, certains paradigmes cachés d’une société, entretenus dans leur permanence par le propre gouvernement de cette société.

La contradiction
C’est à un Français écrivant aujourd’hui dans l’International Herald Tribune que l’on doit de noter de la façon la plus claire la contradiction profonde entre la peur panique que l’on a vu se manifester lors de l’annonce de la fausse OPA sur Danone -et l’indifférence, voire la fierté, que l’on constate tous les jours dans la presse et au gouvernement quand, en sens inverse, une société française va à l’étranger acheter un fleuron de l’industrie d’un autre pays.

http://www.iht.com/articles/2005/07/26/opinion/edpinto.php

L’article mentionne les nombreux cas d’achats d’entreprises effectués par les entreprises françaises -qui, pour le coup, ne sont pas considérées comme des prédateurs- et oppose ces cas à ce qui s’est passé pendant l’affaire Danone (comme indiqué plus haut, le Canard Enchaîné, dans plusieurs articles de sa livraison d’aujourd’hui, donne des détails croustillants sur les réactions des hommes politiques français).

Mais la contradiction n’est qu’apparente. Ou plutôt, elle s’explique aisément sur un plan géopolitique. La culture de la société française est enracinée depuis des siècles dans le sol d’une immense plaine au bout du Continent européen. Cette plaine n’est pas un lieu de passage, un corridor ; elle est un lieu de résidence de populations fixées qui l’habitent. La culture française n’a donc pas, originellement, de véritable concept pour comprendre l’échange ou le commerce. On est immobile et, autant que faire se peut, autarcique -et le reste, on l’obtient par un peu de troc. C’est bien connu : dans un magasin en France, on vous vend quelque chose, dans un magasin à New York vous achetez ce quelque chose.

Bien sûr, de temps en temps, on va conquérir d’autres terres.

Mais ce qu’on craint par dessus tout c’est que les autres fassent pareil : ce serait pour nous l’envahissement et non un échange.

Vauban-Maginot : éternels ?
Lisons le Premier Ministre à la lumière de son « appel aux armes » incongru, le jour même où, entre autres, France Télécom va racheter la troisième société de téléphonie espagnole :

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3224,36-675859@51-639952,0.html

La patriotisme à l’heure où le conseil donné aux Français aurait dû être : "allez vous aussi saisir des sociétés de premier plan dans d’autres pays" ! Vauban à l’heure des réseaux ! Au lieu de montrer la route pour que change cette culture de la défensive, de la persécution permanente vis-à-vis des Diables anglo-saxons, le gouvernement enfonce encore plus la société française dans son syllogisme fondamental : (i)le monde (tout comme la France) est une plaine ouverte à tous, (ii)les autres sont tous des méchants qui veulent me tuer, (iii)donc je dois m’enfermer et me protéger de tous côtés pour survivre.

Fausse route
Evidemment, Vauban a eu sa gloire -il y a plusieurs siècles... Car à l’époque des réseaux, les places fortes sont contournées, capturées dans des toiles d’araignée et mangées sans rien pouvoir faire. Il suffit de rappeler que 40%, et bientôt 50%, des capitaux du CAC 40 sont entre des mains non françaises.

Car que dit notre Zietgeist de réseaux ? Pour défendre « A », il ne faut surtout pas fortifier « A » ; il faut attaquer « C » et, peut être, défendre « D », car c’est de « C » puis de « D » que viendra la vraie défense de « A ». Si l’on se concentre sur « A », on risque de tout perdre. Et c’est, bien sûr, ce qui se passe aujourd’hui.

Car que pourrait être « C », dans le cas de Danone ? Des fonds de pension français par exemple. Villepin, au lieu de sonner la mobilisation, n’aurait-il pas pu profiter de cette vraie-fausse OPA pour revenir sur la nécessité de créer ces fonds de pension ? Ou n’aurait-il pas pu en profiter pour amorcer un démantelement au moins partiel de la Caisse des Dépôts, véritable monstre financier dans le paysage financier public français ?

La bulle
La France vit dans une bulle entretenue par les média, la nomenklatura publique et les politiques. De temps en temps, la surface de la bulle se fend -et tout l’air froid de l’extérieur entre et détruit tout sur son passage. On sonne la mobilisation générale, l’appel aux armes, et on tente de colmater la brèche -pour s’apercevoir qu’ailleurs, une autre brèche s’est ouverte

Au même moment où se faisait entendre la vraie fausse affaire Danone, le groupe Taittinger passait entièrement aux mains d’un fonds de pension américain -sans qu’apparemment personne ne s’en offusque (ce qui est normal dans un monde global) -mais aussi sans que personne ne songe non plus à profiter de cela pour changer la vision des choses en France. Non, le monde n’est pas une plaine. Les autres sont peut-être méchants, mais nous pouvons l’être aussi.


Et, surtout : la meilleure défense -sur le terrain, mais aussi dans la tête- c’est encore l’attaque.

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3 réactions à cet article    


  • Chem ASSAYAG Chem ASSAYAG 28 juillet 2005 18:49

    Votre analyse est intéressante et juste en grande partie. Mais plus prosaïquement je crois que nos hommes politiques, dans la foulée du 29 mai, se sont dits que Danone était une bonne occasion de flatter l’électeur, supposé franco-français, anti mondialisation et hostile à l’économie libérale, dans le sens du poil. Par ailleurs il est toujours plus facile de faire du bruit et de mobiliser sur Danone (tout le monde boit de l’eau ou mange des biscuits) que sur le groupe Taittinger (moins fréquent d’aller dans un hôtel du luxe, ou d’acheter du Baccarat), par ailleurs détenu par quelques riches héritiers sur le sort desquels personne ne pleurera.


    • Jérôme Tergi (---.---.68.172) 1er août 2005 09:04

      Il est, à mon avis, fortement regrettable qu’aujourd’hui il soit plus intéressant de spéculer sur le cours d’une action que de faire de réels efforts pour améliorer la rentabilité d’une entreprise.

      Je me souviens d’une époque pas si lointaine où le rachat d’une entreprise par une multinationale qui « faisait son marché » amenait beaucoup de protestations. Aujourd’hui que sont devenus le savoir-faire et le commerce que nous avons connus ? Il me semble qu’il ne s’agit pas simplement ici d’acheter ou de vendre un produit fabriqué. La notion de vendre ou d’acheter est d’ailleurs à la limite du concept philosophique.

      Il s’agit de vendre ou d’acheter de l’argent sans même forcément savoir comment cet argent a été produit. Les affaires sont les affaires, me direz vous, et c’est totalement vrai, mais ces affaires n’existeraient pas sans la production de biens tangibles.

      Derrière les choses, il y a des gens, on finirait par l’oublier.


      • J. Garson (---.---.127.6) 1er août 2005 09:37

        Ce commentaire pose la vraie question -qui comme toujours est finalement une question philosophique- sur l’évolution de nos économies et de nos sociétés vers une abstraction et un détachement du réel de plus en plus grand.

        Le virage fut d’abord pris en physique au commencement du siècle dernier (souvenez-vous la Relativité restreinte : masse = énergie). On voit le détachement du réel se faire de plus en plus grand à mesure que les décennies passent. L’internet est un grand moment, avec la possibilité de parler, de tomber amoureux ou de devenir ami avec une entité abstraite. On en arrive aujourd’hui au summum : l’homme -en tant qu’être physique présent là devant moi- n’existe plus en tant que tel, mais comme abstraction dans ma tête.

        Une civilisation qui se coupe de son réel s’affaiblit, c’est-à-dire se met en désavantage face des civilisations plus « primitives », plus « brutales » qui, elles, ont encore gardé un sens du réel, donc de la conquête.

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