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Dans mon fauteuil

Dans mon fauteuil.

     Février 2013, arrive un bien étrange anniversaire, celui des trois mille six cent cinquante jours que je suis cloué dans ce fauteuil à roulettes. Presque dix ans que, par un coup du destin, je fais mon fainéant le séant et les jambes immobiles.

     Cela c’est produit l’année de mes dix huit ans, lorsqu’un inconscient alcoolique a quitté la route pour percuter l’abribus où bêtement j’attendais. Trois grammes neuf qu’il avait dans le sang pépère. Remarquez, il n’était pas saoul, juste en perte de réflexe qu’il a signalé aux pandores. Ils lui ont retiré son permis pour la troisième fois. Faut dire qu’à l’époque, dans nos campagnes Bourguignonnes, concernant le shoot au liquide local, la police elle-même grande consommatrice de la production régionale, avait la tolérance de l’empereur vis-à-vis de ses gladiateurs experts dans l’art de faire couler le rouge.

     Bilan, six mois d’hospitalisation et de rééducation mais pas pour les jambes, là c’est foutu qu’il a dit le toubib, déjà un miracle que je ne vous les ai pas coupées qu’il a conclu le con avant de partir faire son golf ! 

     Bof, avec le temps va tout s’en va disait le poète, je ne lui en veux plus et j’ai même pardonné à l’autre éponge. Non, ce qui m’agace c’est toute cette pitié que je lis dans le regard des autres, comme si ils s’excusaient de l’état dans lequel je me trouve, je ne comprends pas à quoi cela rime. Leur gêne me met mal à l’aise et je me demande parfois si ce n’est pas eux les handicapés. Haut les cœur les gars ! Certains d’entre nous gagnent même des médailles.

     Puis il y a ces endroits qui me sont impossibles d’accès car inadaptés, alors qu’ils ont été pensés et réalisés par des valides qui ont fait de hautes études, vous savez les mêmes qui ghettoïsent un millier de personne dans des barres HLM. Pourtant je fais des efforts, il y a qu’à voir les biceps que j’ai et la corne dans la paume des mains à force de faire tourner ces saloperies de roues. Bon, je ne vais pas vous la jouer Cosette, je ne suis pas à plaindre mais ce serait sympa que les pouvoirs publics pensent un petit peu plus à nous lorsqu’ils bâtissent leurs infrastructures.

     Au début, poussé par la déprime, je suis même allé à Lourdes pour la piscine miraculeuse. Bilan, je suis revenu avec plein de bondieuseries achetées par ma mère. Dans son panier de ménagère judéo chrétienne s’entassaient les produits de la sainte église catholique, apostolique et romaine : Une vierge dans un mini bocal qui neige quand on l’agite, papy VI ou XII (je ne sais plus) en train de prier dans le fond d’une assiette qu’elle accrochera au mur et, pour terminer, un ravissant crucifix fluorescent dans la pénombre (De quoi faire mouiller ton lit de trouille quand t’es môme). Eh oui ! Pour ceux qui l’avaient oublié les marchands ont dare dare réintégré les temples. Le commerce n’attend pas et, si le sympathique blondin chevelu avait la mauvaise idée de revenir pour y foutre son souk on te le reclouerait vite fait bien fait sur la croix des intérêts qu’on irait planter sur la montagne des bénéfice (Chacun son Golgotha). A part ça, la baignade à Lourdes côté membres inférieurs, le néant. Même pas eu des pneus neufs pour le fauteuil…

     J’ai des tas d’amis qui arrivent, passent et finissent par partir. Evidement, ils ont une vie mais ils ont surtout la chance de rencontrer des femmes comme eux, bien sur leurs deux jambes. Je dois le confesser, cela me manque une présence féminine. J’en vois qui sourient, naturellement il y a de ça, mais pas que ça. Vous n’imaginez pas la chance que vous avez-vous autre les valides de faire le chemin accompagné de votre âme sœur. Pour nous autres, les physiquement diminués, c’est pas gagné. Et puis j’aimerais bien être autonome sans avoir mes parents derrière qui sacrifient une bonne partie de leurs vies, cela m’ennuie et me culpabilise fortement.

     Sinon, on fait exactement, à quelques exceptions près, les mêmes conneries que vous autres les valides. On vote et après on regrette. Ils nous arrivent de regarder des émissions débiles, enfin on essaye d’éviter. Quand un joueur marque un but, on gueule aussi fort, sauf qu’on a du mal à sauter devant la télé, etc…Tout comme vous que je vous dis, même que des fois, j’en suis pas fier.

     Bon pour être tout de même sérieux, il faut que je vous dise. Ce qui me manque le plus, c’est courir dans la neige, escalader des falaises, nager dans la mer et, simplement marcher, marcher... Alors, je voyage dans ma tête et pleure de plus en plus sur ce monde qui s’infecte.

     Ainsi philosophait l’ami Karl du haut de ces vingt huit ans. Plein d’humour et de dérision envers la vie qui nous fait des vacheries.

     Ils sont environ deux millions en France, handicapé moteur à mobilité réduite. Un de leurs vœux le plus cher, c’est que nous autres les valides les regardions et les traitions comme nos égaux en faisant abstraction de leur handicap. Changez notre regard sur autrui, en écoutant le cœur et percevant l’âme, voilà peut-être une façon positive d’améliorer le monde qui nous entoure. 

     Merci pour le temps que vous avez consacré à cette lecture.

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25 réactions à cet article    


  • Yanleroc Yanleroc 25 mars 2013 10:43

    Je n’ai pas très bien compris si vous étiez handicapé ou si vous parliez en leur nom ...ce qui ne change rien a la question en fait .

    Ce que je peux dire, c’est que vous souffrez d’exclusion alors que des valides, dont je fais partie, souffrent à l’inverse d’une espèce de frustration de ne pouvoir vous rencontrer et échanger tout simplement , dans la rue ou ailleurs.
    Ce serait sans doute enrichissant pour nous tous.
    Merde à cette société qui veut vous cacher !!
    Alors n’hésitez pas à sortir si vous le pouvez et permettez que je m’approche pour vous parler.

    • Gabriel Gabriel 25 mars 2013 11:34

      Bonjour,

      Ce n’est pas tellement le fait d’exclusion dont ils se plaignent car aujourd’hui, bien qu’il y ait encore des efforts à faire de ce côté, l’intégration se fait presque naturellement. Le gène qu’ils ressentent souvent, d’après ceux que j’ai côtoyé, vient du regard de pitié ou de désolation que nous avons tendance à porter sur eux (sans intention de nuire, évidement), un peu comme si inconsciemment on se projetait, au travers de ce regard, à leur place… 


    • voxagora voxagora 25 mars 2013 11:39

      Tenter de se mettre à la place des autres par empathie, vouloir aider, c’est une chose.

      Mais gamberger ainsi en leur volant, en quelque sorte, pensées et paroles,
      au lieu de leur donner, à eux, la parole,
      il y a comme un malaise.
      .

      • Gabriel Gabriel 25 mars 2013 11:49

        Rassurez vous il n’y a aucun malaise concernant le contenu de ce texte mis en forme suite au dialogue que j’ai eu avec Karl. De plus, j’ai côtoyé plusieurs de ces personnes dont une fait partie de ma famille. Je ne fais que refléter le sentiment qu’ils ressentent souvent dans nos regards. Ne voyez là aucune usurpation de quoi que ce soit, d’ailleurs cela serait stupide, dans quel but et à quoi cela servirait-il ?... 


      • foufouille foufouille 25 mars 2013 12:35

        « Non, ce qui m’agace c’est toute cette pitié que je lis dans le regard des autres »
        c’est deja bien
        mieux que la haine ou le mepris de « TF1 »


        • Gabriel Gabriel 25 mars 2013 14:17

          Vous avez raison foufouille sur un point, ces chaines de télé souvent s’en servent pour faire de l’audience larmoyante.


        • leypanou 25 mars 2013 12:35

          Merci Gabriel pour cet article très touchant (et un peu drôle à certains endroits) ; je croyais que vous vous intéressiez à l’aïkido un moment (j’ai du mal-enregistré un commentaire).

          L’accessibilité aux handicapés est un véritable problème en Ile-de-France (ailleurs je ne sais pas) et même si des efforts ont été faits, beaucoup reste encore à faire en ce qui concerne les bâtiments publics.

          Je constate une fois de plus que beaucoup reste à faire en médecine et les milliards dépensés pour des armes de destruction massive ou non ou pour chercher à aller sur Mars (cela me rappelle mon professeur de physique de 2ème année contre l’expédition lunaire) me font encore plus mal. Je ne pense pas qu’il y ait une impossibilité absolue à soigner cela, mais ce doit ma (petite et incomplète) formation en science exacte qui me fait penser cela.


          • Gabriel Gabriel 25 mars 2013 14:27

            Bonjour leypanou, vous avez bien enregistré, je pratique l’aïkido depuis plusieurs années. Je livre ici le témoignage d’handicapés de ma connaissance. Concernant la médecine, elle a fait d’énormes progrès par rapport au budget qui lui est alloué mais il est vrai que si seulement 10% de l’argent détourné par les spéculateurs ou les marchands de canon servait aux soins, on réglerait 90% des problèmes engendrés par les maladies.


          • ZEN ZEN 25 mars 2013 12:56

            A par ça, la baignade à Lourde côté membres inférieurs, le néant. Même pas eu des pneus neufs pour le fauteuil…

            Manque de foi, mon fils, manque de foi... smiley

            J’ai bien aimé ce billet


            • Gabriel Gabriel 25 mars 2013 14:31

              Bonjour Zen, Karl avait la foi en Dieu mais il pensait par instant que celle-ci n’était pas réciproque ou que quelques subtilités de son humour lui échappaient. Nous diront qu’il faisait de temps à autre une crise de foi…


            • bakerstreet bakerstreet 25 mars 2013 13:22

              Certains tiennent sans doute à leur commisération, c’est ce leur permet de se croire supérieur en quelque chose.
              Il ne voudront absolument pas se priver de leur pitié.
               Et c’est vrai qu’un os qu’on a en plus dans la gueule peut nous faire supporter la frustration de bien des situations.
              Kit bien dérisoire, mais qui suffit semble t’il à certains pour continuer à marcher...

              Dans les situations de crise, on s’aperçoit après un moment de colère qu’il faut bien faire avec ce que l’on est.
              Camus disait que le seul problème philosophique qui vaille la peine d’être posé, était le problème du suicide.
              Une fois qu’on y a répondu, on peut envisager la suite.
              Alors on s’aperçoit parfois qu’en vertu de la théorie des vases communicants, si l’on a perdu des choses, on en a gagné d’autres, à l’instar de ces aveugles, ( mais il faut dire non-voyants) qui ont une ouïe ou une sensibilité bien plus importante.

              Merci pour ce billet de grâce et authenticité, sans faux fuyant, et dans lequel l’humour pointe l’amour de la vie, et un esprit plein d’ironie et d’intelligence.


              • Gabriel Gabriel 25 mars 2013 14:36

                Merci de votre passage bakerstreet, les handicapés que je connais ont un énorme sens de l’autodérision et un humour décapant. En cela ils nous apprennent la valeur vie et nous serions bien aise de nous en inspirer.


              • Clojea Clojea 25 mars 2013 14:52

                Merci Gabriel pour ce témoignage. Difficile en effet, quand on pose le regard sur un handicapé, d’éviter que transparaisse de la pitié ou de la compassion. Ce n’est pas évident de rester neutre. A chaque fois, j’essaye de rester avec une attitude zéro, mais c’est loin d’être facile.


                • Gabriel Gabriel 25 mars 2013 15:18

                  Clojea, ce que vous dites est vrai, rester dans une attitude neutre n’est pas toujours évident. Merci de votre commentaire.


                • alinea Alinea 25 mars 2013 18:07

                  Eh bien moi j’ai les boules ; quand il s’agit d’un accident, toujours con par définition, de voir un jeune pour toujours cloué ; oui, j’ai les boules ; ça ne sert à rien et je n’ai pas un regard plein de pitié ; je ressens de la colère. Il faut dire que je ne brille pas par mon efficacité ! « Faire comme si pas », il faut bien connaître la personne ; avant on peut pas !
                  Merci Gabriel, empathique, sensible comme toujours ; vous nous raconterez un jour pourquoi ?


                  • Gabriel Gabriel 25 mars 2013 19:39

                    Bonsoir Alinea, l’accident par définition est toujours con. La vie distribue les cartes de manière très aléatoire et nous devons faire avec. Ce qui faisait dire à Karl que Dieu avait beaucoup d’humour. Merci de votre arrêt sur ce post. Cordialement


                  • brindfolie 25 mars 2013 18:36

                    Ce n’est pas possible de rester dans une attitude neutre,malgré l’empathie que l’on témoigne on est constemment en décalage dans nos paroles ou nos actes.Invariablement on commet des bourdes,car on ’pense’ valide,naturel,alors que ce n’est pas naturel d’être invalide.
                    Bel article Gabriel,tout empreint d’humanité.


                    • Gabriel Gabriel 25 mars 2013 19:32

                      Bonsoir et merci de votre avis sur ce post brindefolie.


                    • Vipère Vipère 25 mars 2013 18:46

                      Bonjour Gabriel


                      Ce que vous nous apprenez là, à savoir que vous êtes cloué dans un fauteuil est une surprise !

                      Rien dans vos précédents articles ne l’aurait laissé supposer et vous êtes très ancien sur AVX et la question qu’on ne peut manquer de se poser est, je vous le demande sans détour, pourquoi le dire maintenant ? smiley

                      • Gabriel Gabriel 25 mars 2013 19:31

                        Vipère, chère Vipère si vous lisiez mon texte jusqu’au bout vous verriez que je me fais le porte parole de Karl handicapé moteur avec à j’ ai mis en forme ce texte. Cordialement


                      • rocla (haddock) rocla (haddock) 25 mars 2013 20:32

                        de toute façon c’ est toute la vie qui est injuste . Certains naissent dans 

                        des familles de riches , d’ endroits où il n’ y a pas de guerre , pas de sida , 
                        d’ autres voudraient être fille à la place de garçon , après il y en a qui voudraient avoir QI 180 avec un déficit de tare congénital , après on trouve toujours mieux que soi et moins bien et encore moins que bien , qui c’ est le con qui gère tout ça ?


                        • Gabriel Gabriel 26 mars 2013 07:24

                          Salut capitaine, Est-ce que les cartes distribuées au départ sont fonction d’un vécu antérieur ou d’une expérience à faire, mystère ?... Quoi qu’il en soit nous ne sommes que rarement satisfait et pourtant, il y a souvent plus mal loti. Bonne journée à vous.


                        • foufouille foufouille 25 mars 2013 20:41

                          avec un peu de bol, si les souris remarchent, lui aussi

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