De gauche oui, bien-pensant non
En 2005, la France avait renoncé à fêter le bicentenaire de la victoire d'Austerlitz.
La bien-pensance, en effet, avait eu raison de la commémoration en dénonçant dans Napoléon l'odieux tyran qui avait commis le crime de rétablir l'esclavage. Ce qui n'avait pas empêché Paris de s'associer dans le même temps… aux Anglais pour célébrer leur succès à Trafalgar. Pourtant, comme le rappelle l'historien Jean Tulard dans une interview donnée à Corse-Matin le 8 juin dernier, les ennemis d'hier avaient eux aussi maintenu l'esclavage dans les Antilles.
Un exemple qui, dans son absurdité, rend parfaitement compte des ressorts d'une bien-pensance mâtinée d'angélisme. Une bien-pensance qui empêche la réflexion pour lui substituer l'application d'une grille de lecture binaire. Le monde se diviserait toujours en deux catégories : les oppresseurs et les oppressés, les exploiteurs et les exploités, les libéraux et les tenants du bien commun, la droite et la (vraie) gauche, bref les méchants et les gentils...
Un enfer pavé de bonnes intentions…
Tout individu pourrait se voir ranger dans l’une ou dans l’autre, suivant un schéma pré-établi qui fait de l'Occident et de l'homme blanc les sources de tous les maux. Des coupables à perpétuité, en somme, tandis que les victimes sont forcément : les sans-papiers, qui feraient l'objet de toutes les persécutions ; les Palestiniens, victimes à perpétuité de l’ogre israélien ; et quelques chefs d’Etats, y compris lorsqu’ils tiennent leurs populations d’une main de fer, du moment qu'ils s’opposent au Grand Satan américain.
On ne sélectionne de cette manière, dans une approche manichéenne, que ce qui vient à point confirmer la vérité qu'on assène ; on minimise, voire on nie, ce qui pourrait en revanche bouleverser le confort des petites certitudes ; on n’hésite pas non plus à jeter l’anathème sur le contradicteur qui ne se rallie pas au dogme, au lieu d'accepter le débat avec lui. S'inquiéter de la montée de l’islamisme radical, selon un tel angle, c’est être islamophobe et, le raccourci aidant, raciste. Dénoncer les incivilités et les violences qui pourrissent la vie de certains quartiers, c’est prôner le tout sécuritaire. Et souhaiter la restauration de l’autorité à l’école, c’est s’afficher réactionnaire.
Il n'est dès lors pas question de rappeler que la traite des Noirs a tout autant été le fait des Arabes ou… d'autres Noirs, puisqu'il est désormais entendu que seuls les Blancs ont à assumer les pratiques de leurs ancêtres. Ni d'admettre qu'un « jeune » qui commet un acte répréhensible n'y a pas été incité par un quelconque oppresseur, qui l'aurait « provoqué »… D’où une propension à faire passer certains délinquants, dans un retournement assez extraordinaire dont les bonnes âmes ont le secret, pour des victimes qu'ils ne sont pas.
Comprendre et faire comprendre, à cet égard, qu'on peut être de gauche sans sombrer dans la bien-pensance et l'angélisme, et qu'on peut approuver les prises de position d'un Manuel Valls sur toute une série de questions de société, même si on lui préfère un Arnaud Montebourg en matière d'économie, voilà un combat de tous les jours en cette période d'alternance.
Car, oui, on a encore le droit de saluer le gouvernement mis en place après le 6 mai, tout en reconnaissant à Eric Zemmour le droit d'en faire la critique sur l'antenne de RTL ; de lutter contre la progression de l'extrême-droite dans le pays, tout en tenant un discours clair au sujet d'une laïcité mise à mal par les dérives communautaristes ; d'admettre qu'il existe une délinquance qui ne saurait être imputée au seul « malaise social » ; et, en ce qui concerne l'éducation, d'être à l'écoute des professeurs qui savent bien que ce n'est pas avec de l'égalitarisme qu'on réduit les inégalités à l'école, mais avec de la culture et de l'exigence…
Du respect de l'autorité des maîtres
La gauche, si elle veut conserver sa crédibilité retrouvée, doit veiller à ne pas retomber dans les naïvetés qui ont nourri son aveuglement par le passé. La remise en cause de la notation dont il était question ces derniers jours, et qui « traumatiserait » de pauvres élèves martyrisés, n'est dès lors pas le meilleur signal qui puisse être envoyé à un électorat enseignant avec lequel la rue de Solférino a eu toutes les peines du monde à se réconcilier (voir sur ce point l'analyse de Natacha Polony http://generation69.blogs.nouvelobs.com/archive/2009/09/11/pourquoi-le-ps-a-perdu-le-vote-des-profs.html).
Mais j'aimerais dire ici à tous ceux qui, peut-être après avoir lu le dernier livre de Véronique Bouzou (Je suis une prof réac et fière de l'être, La Boîte à Pandore, 2012), s'imaginent obstinément que la droite serait moins laxiste que la gauche, et qu'elle serait d'un meilleur soutien pour les maîtres devant leurs classes, qu'il n'en est rien. Et qu'une cohabitation ne conduirait qu'à une impasse supplémentaire.
Il faudrait se souvenir que Nicolas Sarkozy s'était engagé à remettre de l'ordre à l'école. Et que, dans une lettre adressée « aux éducateurs » au début de son quinquennat, il assurait avec force qu'il était du devoir des adultes d'apprendre aux enfants que « la parole de l'élève n'équivaut pas à celle du maître ». Parce que le premier est là pour apprendre, tandis que le second a vocation à transmettre un savoir. A juste titre, et c'était sans doute la part noble de son programme.
Mais combien de professeurs, depuis, ont vu leur travail mis en cause par des « apprenants » qui ne maîtrisent pas plus de 500 mots, simplement parce qu'ils exigeaient d'avoir les conditions pour les transmettre ces savoirs (interdiction de l'usage des téléphones portables pendant le cours, par exemple) ? Combien d'infantiles caprices couverts par des services de « Vie scolaire » démagogiques, au détriment de la compétence de l'agrégé ou du certifié ? Combien de personnels de l'Education nationale, enfin, lâchés par leur hiérarchie devant des parents vindicatifs, avec l'approbation de ces recteurs nommés en conseil des ministres ?
Souvenez- vous Mme Lespagneul, cassée et déplacée d'office parce que soi-disant « trop sévère », et Mme Bonnafous, qui s'est immolée par le feu dans la cour de son lycée !
Jamais l'autorité des enseignants n'a été aussi abaissée, en vérité, que sous le quinquennat dont on est en train de sortir. Et à la botte de l'abus de pouvoir administratif, favorisé par l'affirmation croissante de (petits) chefs d'établissements patrons.
Si Vincent Peillon, lui, compose avec ces pédagogistes qui ont ruiné le système éducatif, il est aussi philosophe, et sait bien que tout ne se vaut pas. Il sait aussi et surtout ce qu'est l'école de la République… Il dirige, en effet, la collection « Bibliothèque républicaine » (aux éditions du Bord de l'eau), qui rassemble notamment les écrits des grands penseurs républicains depuis le XIXe siècle… Aussi ne peut-on attendre que du mieux du nouveau ministre de l'Education nationale. Du moins tant que Philippe Meirieu ne s'invite pas rue de Grenelle…
Et il n'y aura pas lieu de regretter Luc Châtel…
Alors, en fin de compte, qu'est-ce qu'être de gauche sans être bien-pensant ni angélique ?
Eh bien, peut-être se rappeler que la laïcité fait partie de son identité depuis deux siècles ; assumer la sécurité comme une valeur progressiste parce que l'insécurité touche d'abord les plus modestes ; affirmer qu'une école de l'exigence demeure le meilleur moyen d'assurer l'égalité des chances et de lutter contre la reproduction des inégalités sociales. Et célébrer Napoléon, comme la municipalité ajaccienne s'apprête à le faire avec intelligence dans la cité impériale, où se déroule du 12 au 16 juin la « Semaine napoléonienne ».
Des raisons de culpabiliser l'homme blanc dans le cadre d'une surenchère mémorielle ? Non, au contraire : un formidable vecteur de lien social autour d'une grande figure historique, au travers d'une série de manifestations dans tous les quartiers de la ville (http://www.ajaccio.fr/SEMAINE-NAPOLEONIENNE_a1518.html) !
Daniel Arnaud
Auteur de La République a-t-elle encore un sens ?, L'Harmattan, 2011.
http://www.amazon.fr/Republique-encore-Ouverture-philosophique-ebook/dp/B005QL8EGK
Professeur d'histoire, notamment en charge des programmes concernant le « commerce triangulaire » au XVIIIe siècle.
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