Dieu n’existe pas mais peut-on s’en passer ?
Un sacré permet d’imposer un absolu qui s’applique à tous, nantis comme démunis, bien que dans ce dernier cas les intérêts sont souvent opposés. Où le trouver ?
Un être infini est souvent présenté comme capable des plus extraordinaires miracles : transformer l’eau en vin, frapper des rochers pour obtenir de l’eau, ressusciter des morts, guérir un paralytique… Ces exploits permettent à n’en pas douter d’attirer à soi de nombreux croyants. Mais le sacré est ailleurs : c’est l’Amour qui est la valeur suprême et les aspects miraculeux ne sont là que pour impressionner les chalands. L’Amour place les autres aspects du quotidien au second rang, mais c’est malheureusement un idéal difficile à approcher même au sein d’un couple, irréalisable à l’échelle d’une société. L’existence de Dieu est questionné, pas son utilité : définir un Mal et un Bien permet de prendre des décisions claires d’autant plus utiles qu’elles sont binaires.
Il est difficile de vouloir remplacer l’Amour comme sacré indépassable. Une devise comme « Liberté, Égalité, Fraternité » comporte trois notions antagonistes prises isolément. L’égalité empiète forcément sur la liberté ; la fraternité, une forme dégénérée de l’amour, cohabite difficilement avec les deux autres. L’Amour englobe les trois volets et rend le tout encore plus inaccessible.
Dieu-Amour étant supposé mort, des autocrates tentèrent de le remplacer dans les esprits dans le même objectif : imposer la cohérence d’une multitude d’êtres uniques. Ils furent terrassés par les tenants d’une vertu émergente, la Démocratie.
Le caractère sacré d’une démocratie se manifeste pour l’essentiel par la tenue d’élections dans lesquelles le peuple peut exprimer ses choix en nommant des représentants. En France, les électeurs entre 25 et 34 ans, comme les ouvriers de tous âges, s’abstinrent à 65% lors d’une votation récente. Plus généralement, plus les revenus des électeurs sont faibles, moins les gens se déplacent pour voter. Aux USA, environ 100 millions d'Américains ont choisi de ne pas choisir en les deux candidats proposés, soit quasiment un électeur sur deux. La sociologie des abstentionnistes est la même qu’en France : plus on baisse en âge, en niveau de revenu, en niveau de diplôme, plus on s'abstient. Au Japon, aux élections législatives, la participation n’a guère concerné qu’un électeur sur deux. On retrouve là encore un fort désintérêt des jeunes pour les élections mais aussi une défiance des électeurs envers la politique.
Le sacré n’existe que si l’on y croit, et à cet égard les démocraties électorales, partout dans le monde, ne sont pas ou plus considérées comme sacrées et n’offrent donc plus ce cadre indépassable que tous doivent respecter, les riches comme les pauvres, en particulier. La sécularisation de Dieu ne fonctionne pas : les gens préfèrent leurs intérêts à l’intérêt général.
Les pays les plus religieux ont généralement le plus petit revenu national : Ghana, Nigeria, Roumanie, Kenya, Afghanistan… Les moins religieux sont généralement les plus aisés, par exemple la France, le Japon, la Suède, l'Allemagne ou les Pays-Bas. C’est la satiété qui tue le Dieu-Amour bien mieux que les philosophes, les libres penseurs, les idéologues ou les Hommes politiques. C’est cette même satiété qui fait que la démocratie s’évanouisse comme tout autre valeur collective dans les pays repus. Dieu n’est indispensable qu’à ceux qui n’ont rien car il leur fournit la seule chose dont ils ne peuvent pas se passer : l’espoir d’un ailleurs sur terre ou autre part. Les démocraties électoralistes ne fournissent plus l’espoir que l’existence de chacun a un sens, une utilité quelconque. Les strates sociales nantis qui croient avoir compris que le paradis c’est maintenant et ici bas ne partagent pas grand-chose de matériel avec les plus démunis mais sont cependant de fervents gardiens des rites religieux qui incarnent l’autorité, leur autorité.
La Déclaration universelle des droits de l'homme devrait servir de cadre moral à toute action ou agissement. Elle ne fait appel à aucune valeur transcendante mais constate que le mépris des droits de l'homme conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l'humanité. Par habileté plus que par conviction, tous ou presque adhérent verbalement à ces principes : quelques un les appliquent, certains autres les utilisent au contraire comme une arme de combat, mais personne n’y voit un impératif absolu.
Une civilisation sans sacré ne peut que mourir, non pas que le sacré indique la bonne direction mais parce qu’il indique une direction que personne ne conteste. Dieu, la République, la Démocratie, les Droits de l’Homme ne fascinent plus les foules en proie à maints problèmes existentiels. L’Amour et ses succédanés moins ambitieux n’étant plus de mise, il est nécessaire de convaincre autrement que par l’exemple pour obtenir un ordre qui doit être planétaire. Des sacrifices s’imposent : changements de mode de vie, rationnements des sociétés de consommation, transitions énergétique, économique, sociétale sont à l’ordre du jour.
La révolution numérique comporte divers volets de hauteurs révolutionnaires inégales. Cependant, la possibilité de stocker et de traiter d’immenses bases de données recueillies à chaque instant sur tout individu, tout groupe, toute entreprise au sein d’une société hautement connectée représente une avancée considérable pour établir un régime totalitaire idéal et inédit par ses performances. Les méga-données (Big Data) une fois traitées par des algorithmes adaptés fournissent des mines de renseignements sur la vie professionnelle, privée, intime, sur les opinions, les tendances, l’état de santé d’un individu donné ou d’un groupe d’individus. Les possibilités techniques actuelles permettent d’ores et déjà d’aller plus loin et de prendre des décisions sans intervention humaine. Une intelligence artificielle capable d’auto-apprentissage puisant dans une immense base de données tout ce qui lui est nécessaire pour déterminer un profil d’un homme, d’une famille, d’une communauté lui permet de prendre toute décision souhaitable : le sacré 2.0 est né, aussi inaccessible et beaucoup plus fiable que celui qui hantait les cieux avant lui. Le degré d’incompréhension des méthodes utilisées est tellement profond, les résultats obtenus sont tellement étonnants qu’il est possible de parler de miracles : l’algorithme devient surnaturel. La Raison ne permettant plus de trouver des solutions pour vivre dans le réel, il faudra vivre dans un monde virtuel forgé par un ordinateur.
Pour leur salut, tous et toutes s’en remettront au Dieu-Googol, celui qui règne sur les corps comme sur les 10 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 esprits.
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