E. Macron : top chef ou Big Mac ? Les saveurs incertaines de la « nouvelle cuisine » électorale
Voilà une semaine que le nouveau président et ses troupes travaillent à deux chantiers majeurs : la composition du nouveau gouvernement, et la sélection des candidats En Marche aux législatives.
Et ces travaux donnent l'occasion de voir des manoeuvres humaines qui peuvent sembler étranges, pour un mouvement qui prétend vouloir moraliser et rénover. "On vous l'avait bien dit, tous les mêmes, rien ne change", songeront les "sceptiques". Pas du tout, diront les "réalistes", "En Marche vit ses valeurs, mais on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs".
Alors, quel diplôme de cuisinier les électeurs attribueront-ils en juin au nouveau président : top chef ou Big Mac ?
Les lumières de la fête se sont à peine éteintes, sur la place du Louvre, que déjà les combats suivants se mettent En Marche.
Les combats avec les adversaires clairement déclarés, ceux du Front National, de la France insoumise, les fidèles de M Fillion. ou les Mélenchonistes. Sur ces fronts, rien de nouveau, les codes sont connus, on s’affronte sans pitié,
Mais il y a d’autres luttes, internes au mouvement ou en périphérie et, dans ces zones troubles, la forme des batailles est, bien plus qu’ailleurs, un révélateur des pratiques de ce jeune mouvement.
Et là, entre les égards réservés à certains des ministres du gouvernement, la mise en attente des candidats internes dans 140 circonscriptions, les cris d’orfraie poussés par les caciques du Modem, les dénégations du porte-parole d’EM, et les détails des nominations, tant le processus même que certains des profils, un vrai feu d’artifice se déroule sous les yeux des Français.
Or ceux-ci ont finalement élu M Macron largement, mais pas triomphalement, à l’instar de certains citoyens qui sont entrés dans les bureaux de vote en marche… À reculons. Aussi, du résultat de ces approches qui visent à attirer les Républicains du centre, et de la lecture qu’en feront les électeurs, dépend peut-être le sort des élections qui viennent, le critique « 3ème tour ».
Alors, que se passe-t-il vraiment dans les cuisines d’En Marche ? Priorité au respect strict des valeurs, ou à la souplesse au nom du « réalisme » ? Voyons d’abord les faits, et tentons de donner les deux lectures, pour chacun d’entre eux :
- 1°) l’appel aux candidatures : un appel ouvert, lancé quelques mois avant les présidentielles, qui a attiré plus de 15.000 réponses. La lecture positive : une vraie innovation, en ligne avec l’objectif de renouveler l’arène politique. La lecture critique : malgré les nominations annoncées récemment, l’exercice est au moins autant de la communication qu’une réalité, et les candidats sont en fait des pions d’un jeu dont certains pourront croire être des gagnants.
De fait, cet appel, qui a sans doute rencontré plus de succès qu’anticipé, fait mathématiquement bien plus de dépités que de députés. Il faudra donc pondérer les critiques négatives, si elles ne sont pas étayées par des faits spécifiques. Mais il faut reconnaître qu’il y a des exemples troublants. Ainsi dans la 10ème circonscription du Val d’Oise, où j’habite, le candidat choisi est un jeune loup socialiste, conseiller de ministre, au cursus classique d’homme d’appareil en devenir. Une tête nouvelle, mais pas à l’évidence un goût de changement de système. Et puis, le processus a été conduit sans égard pour les citoyens évinces. Ils n’ont été prévenus, par un message bien fait mais très impersonnel, qu’après les annonces dans la presse. Les croyants diront que, quand on s’engage dans un mouvement, on se met à sa disposition et on attend le retour, un jour, peut-être. Les sceptiques diront que ce manque de respect est un symptôme certain de pratiques d’une élite qui est déjà en place et tire les ficelles.
- 2°) Les règles de sélection et d’élimination des personnes éligibles à la candidature : il faut, pour y prétendre, ne pas être trop ancien dans les fonctions électives (toujours le renouvellement), et un engagement clair à soutenir le mouvement en particulier dans les moments clés qui déterminent le poids à l’Assemblée et les finances futures du parti. Il y faut également une absence de casier judiciaire. Les croyants y verront une vraie avancée, une mécanique qui amènera naturellement un air toujours frais dans nos représentations. A Lyon, au sein des candidats de la société civile, une certaine frustration se fait montre pourtant. M G Collomb, poids lourd et vieux de la vieille, a joué des coudes, avec un certain succès, pour faire nommer sur place des poulains de son écurie. Argument : face aux candidats solides des autres partis, il faut de l’expérience. Les sceptiques diront que cet argument aurait interdit à M Macron de se présenter à la présidentielle. Et, même si M Collomb a un casier judiciaire vierge à titre personnel, ce n’est pas le cas au titre de son action à la tête de la métropole. Il a là-bas été condamné par le tribunal administratif, pour surfacturation des déchets, après avoir été attaqué par une association de contribuables. Condamné, mais apparemment indifférent à ses devoirs envers les citoyens, puisque les pratiques de facturation n’ont pas changé ensuite.
- 3°) Affinités sélectives à gauche : trois ministres du dernier gouvernement Hollande n’auront pas d’opposant En Marche. Le petit feuilleton de non et oui à Manuel Valls a permis de nourrir la presse et les télés. Les croyants diront qu’il est normal, pour une pointure de ministre, de faire des exceptions, d’autant que ces poids lourds ont des sympathisants, et ont fait preuve d’allégeance. Les sceptiques rappelleront l’appel ouvert à candidature, dont rien n’indiquait qu’il n’était qu’une option. Ils seraient curieux de savoir comment on a expliqué à ces candidats qu’on les remerciait de leur engagement, mais qu’aucun ne valait mieux que des crocodiles qui étaient en lutte contre En Marche il y a encore quelques semaines.
- 4°) Chamboule-tout à droite – quitte ou double : le PS a eu le bon goût d’imploser tout seul, plus proche il est vrai de M Macron que les Républicains. La droite elle, semble encore tenir bon. De ce côté là il faut donc tenter autre chose, du moins c’est la décision des Marcheurs. Alors on choisit sur une carte des circonscriptions où on attend que des têtes d’affiche, comme ce fut le cas à gauche, se soumettent en échange d’une non adversité. Les croyants diront « c’est comme ça, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. ». Les sceptiques demanderont comment on expliquera aux candidats de l’appel public des circonscriptions, pour celles où En Marche ne nommera personne. Les éliminés du processus avorté demanderont peut-être pourquoi ils valent moins que rien, et à ceux des autres circonscriptions, si et pourquoi on les aime vraiment après avoir failli leur préférer rien.
- 5°) Accord ou pas accord, comment l’entendez-vous ? M/. Bayrou aurait, selon certains observateurs, été un atout maître dans la dernière ligne droite de E Macron vers le pouvoir. Comme G Collomb à Lyon, sa façon de conduire la politique est le donnant-donnant. Alors il a cru entendre une promesse de places pour les législatives. Et le voilà déçu, ou faisant semblant de l’être plus qu’il ne l’est vraiment. En face on lui répond qu’il n’y a jamais eu de promesses d’entente. Apparemment, juste du jus de boudin politique classique. Les croyants diront que M Bayrou a dû entendre ce qu’il voulait entendre, ou qu’en fait il s’appelle Blairou, et que c’est bien fait pour lui. Les sceptiques se diront qu’il n’y a pas de fumée sans feu, et que sans doute les équipes d’En Marche sont aussi rouées mais également aussi lestes dans l’usage des mirages et de la parole sans poids.
L’élection présidentielle l’a montré, En Marche détient plus ou moins un cinquième des voix qui s’expriment (pour nous les blancs et les nuls sont bien évidemment une expression valide), avec d’importantes variations locales. Dans les semaines qui viennent, les mouvements aux marges des électorats peuvent avoir un impact majeur pour la suite des opérations.
Alors, en matière de cuisine électorale, Macron, top chef ? Ou plutôt Big Mac ? Êtes-vous sceptique, êtes-vous croyant ? Cette question pourrait bien peser lourd dans le jugement des Français au moment de voter. Une question aussi que les mitrons d’En Marche feraient sans doute bien de se poser, en prenant le regard des électeurs d’aujourd’hui.
F. Lainée
fondateur des Politic Angels
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