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Elections suisses : un supplément de démocratie

Lorsqu’on parle de la démocratie helvétique, c’est à propos du référendum et de l’initiative populaire - expression officielle -, jamais de l’élection. Pourtant, sur ce plan-là aussi, la Suisse est beaucoup plus démocratique que ses voisins, tant par son vrai bicaméralisme que par la liberté qu’elle laisse aux électrices et aux électeurs de choisir non seulement un parti politique ou un autre, ce qui va de soi, mais également « leurs » élus. Ce qu’ils feront, comme tous les quatre ans, les 17 et 18 octobre prochains.

Notes : 1. La Suisse étant un Etat fédéral dans lequel cantons et communes jouissent d’une réelle autonomie, il est impossible de rendre compte des particularismes cantonaux et communaux.

2. Cet article est basé sur le matériel de vote, tout à fait représentatif, que nous a transmis un correspondant vaudois, et que les citoyennes et citoyens du canton de Vaud, ont reçu dans leur boîte aux lettres quelques semaines avant le vote.

Les deux Chambres

Le bicaméralisme suisse repose sur le Conseil national (200 députés) et le Conseil des Etats (46 « sénateurs »). Dans l’un et l’autre cas, la circonscription électorale de base est le canton. Au Conseil national, chaque canton dispose d’un nombre de sièges attribué au prorata de sa population. Au Conseil des Etats, chaque canton a deux représentants, les demi-cantons (Nidwald et Obwald, Appenzell Rhodes-Intérieures et Rhodes-Extérieures, Bâle-Campagne et Bâle-Ville) occupant un siège chacun.

Les deux chambres ont des pouvoirs identiques et égaux. Dans l’esprit des constituants de 1848, il s’agissait d’éviter que les cantons les plus peuplés n’écrasent les moins peuplés de leur masse démographique. Actuellement, 5 cantons (sur 26) totalisent plus de la moitié de la population du pays (Zurich, Berne, Vaud, Argovie et Saint-Gall occupent 105 des 200 sièges du Conseil national). Cette volonté de rééquilibrage a eu, logiquement, pour effet de conférer le même poids institutionnel au Conseil des Etats qu’au Conseil national.

Cela signifie que rien (lois, arrêtés, règlements, traités, etc.) ne peut être adopté qui n’ait été approuvé par la majorité des deux Chambres.

Le consensus est obtenu par un processus de navette, entre les deux organes législatifs, portant sur les points litigieux et tendant à la conclusion d’une solution de compromis. Compromis, notons-le au passage, qui n’exclut en aucun cas le recours ultérieur à un référendum visant à faire trancher, en dernier ressort, la question par le peuple.

Si les deux chambres sont d’égale importance, institutionnellement parlant, c’est l’élection du Conseil national qui capte toute l’attention de l’opinion publique, des partis politiques et des médias*. C’est aussi la plus singulière du point de vue de l’observateur-électeur étranger qui, lui, se voit imposer les candidats placés en « position éligible » par l’appareil du parti de son choix.

Composer sa propre liste de candidats

Comme le vote par correspondance est généralisé, les citoyennes et citoyens reçoivent le matériel de vote par l’entremise de l’administration de la commune où ils sont domiciliés, sans inscription préalable sur une liste électorale. L’enveloppe vaudoise contenait une « Notice explicative pour l’élection du Conseil national du 18 octobre 2015 », mais les bureaux de vote sont ouverts le samedi toute la journée et le dimanche, jusqu’à midi.

On y trouvait encore les « Bulletins électoraux officiels » pour le Conseil national et pour le 1er tour de l’élection au Conseil des Etats, une « Carte de vote » à remplir et à signer, ainsi qu’une « Enveloppe de vote », destinée à recevoir les bulletins électoraux. L’enveloppe d’expédition est également destinée au renvoi, qui se fera soit par poste, soit par le dépôt direct dans une urne accessible tous les jours ouvrables dans un bâtiment officiel. Jusque-là rien que de très normal.

Ce qui est original par rapport à ce qu’il se passe en France, en Italie, en Allemagne, c’est la possibilité offerte au citoyen suisse de composer la liste de candidats de son choix. Il peut biffer les noms des candidats qu’il n’agrée pas, mais il peut aussi voter deux fois pour les candidats qu’il préfère, jusqu’à concurrence du nombre de sièges auquel a droit le canton de domicile. Le canton de Vaud disposant de dix-huit sièges, il est donc possible de voter deux fois pour neuf candidats.

Dans le respect des limites prescrites (18 suffrages dans le canton de Vaud, donc), l’électeur a encore la possibilité de porter sur le bulletin du parti de son choix, le ou les noms de candidats présentés par un ou plusieurs autres partis (panachage). Le dépouillement est relativement simplifié par le fait que chaque candidat à un numéro double, celui de la liste électorale sur laquelle il figure, et son numéro d’ordre sur le bulletin officiel de vote. Ainsi, dans le canton de Vaud, la tête de liste N° 3 « Voter blanc » - elle existe ! – Jean-Luc Berkovits porte le numéro 03.01. Cette liste comporte onze noms, dont les sept premiers sont doublés, pour atteindre le nombre total de dix-huit suffrages, mais sans que ce soit une obligation, puisque les plus petits partis n’en présentent que quatre, tous doublés bien entendu.

Les partis représentés au sein du gouvernement fédéral - par ordre d’importance Union démocratique du Centre (26.6 % des voix en 2011), Parti socialiste (18.7 %), Parti libéral-radical (15.1 %), Parti démocrate-chrétien (12.3 %) -, présentent également une liste de « Jeunes », et les démocrates-chrétiens ont ajouté une troisième liste, les « 60+ », dont la tête de liste a 84 ans. Cela peut sembler compliqué, mais le principe est simple : le vote de liste va au parti et les votes nominaux déterminent ceux qui occuperont les sièges attribués à la proportionnelle.

Une liste entièrement manuscrite

La dernière possibilité est la formation d’une liste entièrement manuscrite, obligatoirement écrite à la main sur le bulletin officiel correspondant, en blanc donc, portant le N° d’ordre et la dénomination du parti préféré (p. ex. 21 partipirate), puis le N° d’ordre et les nom et prénom(s) des candidats choisis (p. ex. 03.01 Berkovits Jean-Luc ; 21.03 Beldi Ariane), toujours jusqu’à concurrence de dix-huit suffrages exprimés (voir photo).

Nombreux sont les électeurs qui utilisent ces diverses formules. En 2011, toujours dans le canton de Vaud, 42.97 % des votants ont profité, d’une manière ou d’une autre, de la faculté de « voter à la carte ». Ce n’est donc pas un gadget destiné à donner une impression de plus de démocratie. Et l’impact est considérable puisque, selon les partis, une tête de liste populaire, appréciée de ses concitoyens, peut recueillir deux fois plus de voix que son suivant immédiat et jusqu’à cinq fois plus que le dernier de liste.

Pour compléter ce bref survol, il reste à ajouter que ce système s’applique également aux élections cantonales et municipales. Et là, on pourrait lui reprocher, dans les grandes villes aux populations d’origines très diverses, de pénaliser les candidats « issus de le diversité » aux patronymes typés. La Tribune de Genève, du 29 avril 2011, a consacré une courte enquête à un phénomène observé aussi bien en Suisse romande qu’alémanique, sous le titre « Avoir un nom arabe et être élu ? Dur dur ! ». Extraits :

« Les candidats portant des prénoms comme Mohamed, Aïssa, Walid ou Jamila n’ont souvent pas été élus dans les Conseils municipaux des 45 communes (genevoises) lors des élections du 13 mars. Ils terminent leur course électorale en queue de liste, victimes de biffages et d’apports de voix hors parti quasi inexistantes. Ce sont sur les listes de gauche que l’hécatombe est la plus spectaculaire.

« A Zurich, même phénomène. Aux dernières élections cantonales, au début d’avril, les candidats aux racines étrangères ont vécu une bérézina. Seule différence, leur origine différait quelque peu puisqu’ils portaient des noms se terminant en « ic » ou en « gün », c’est-à-dire des noms balkaniques ou turcs. »

En février de cette année, le même quotidien a effleuré le problème, à quelques semaines des élections municipales : « les candidats aux noms extra-européens ont moins de chance d’être élus. Une étude menée par des chercheurs genevois et zurichois estime que ces candidats auraient gagné, à Genève, 14% de voix en plus s’ils avaient porté un nom suisse.  »

Certains déplorent cette attitude d’une partie de l’électorat - qui laissent tout de même place à des exceptions -, d’autres font observer que la démocratie, ce n’est pas seulement choisir ceux que l’on veut, c’est aussi écarter ceux dont on ne veut pas… Et on n’imagine pas que les Suisses renoncent à leur particularisme électoral pour supprimer un inconvénient qui n’a pas empêché, en 2007, l’élection d’un premier conseiller national noir, le socialiste Ricardo Lumengo, d’origine angolaise.

 

* Le Conseil des Etat est désigné selon des modalités différant considérablement d’un canton à l’autre, élection à un ou à deux tours, à des dates différentes, par l’assemblée du peuple en place publique (Landsgemeinde), etc., etc.

 


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1 réactions à cet article    


  • mac 14 octobre 2015 14:12

    Pour reprendre un de mes commentaires :

    Notre démocratie à nous tout ce qu’on peut faire c’est d’en parler puisqu’elle n’existe pas vraiment.

    Ce n’est pas parce que l’on peut aller voter tous les 5 ans pour des candidats sélectionnés par des oligarques souvent possesseurs des médias que l’on est en démocratie et ne parlons pas du référendum de 2005.

    Pour paraphraser Huxley dans « The brave New World » , on n’aura jamais autant utilisé le mot démocratie mais il n’aura jamais eu aussi peu de sens...

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