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Accueil du site > Tribune Libre > Entretien avec Yeonmi Park, rescapée de la Corée du Nord

Entretien avec Yeonmi Park, rescapée de la Corée du Nord

Rencontre exceptionnelle avec la dissidente nord-coréenne Yeonmi Park.

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Yeonmi Park à l’Atlas Liberty Forum en 2014
Yeonmi Park à l’Atlas Liberty Forum en 2014 (Crédits : Judd Weiss, licence CC-BY-SA 4.0, photo recadrée)

Article paru initialement sur Contrepoints.

Il y a des rencontres qu’on n’oublie pas. Celle-ci en fera probablement partie. À l’occasion de son passage éclair à Paris, j’ai eu l’occasion de rencontrer Yeonmi Park. Un nom qui ne vous dira peut-être rien, mais qui rime avec liberté et Corée du Nord.

Cette jeune femme de 22 ans à peine est l’une des rares à avoir pu s’échapper de l’enfer nord coréen et à le dénoncer publiquement. Depuis 2014, c’est l’une des voix les plus virulentes contre le régime sanguinaire nord coréen, dernière dictature stalinienne encore en place et qui affame et opprime 25 millions d’habitants.

Grâce à un ami commun installé à New York où elle vit désormais, je l’ai rencontrée le 19 mars avec deux autres amis. Dans le cadre, étrangement absurde, d’un salon de thé luxueux du centre de Paris. Étrangement absurde car bien peu de son (rare) témoignage sur la Corée du Nord vue de l’intérieur donne envie de sourire ou de manger…

Une enfance nord-coréenne

Née en 1993 à Hyesan à l’extrême nord de la Corée du Nord, elle y grandit, avec un père fonctionnaire du Parti des Travailleurs et une mère infirmière. Elle vit la jeunesse de tout enfant nord-coréen :

Enfant, nous ne fabriquions pas des poupées. On nous faisait faire des tanks pour tuer ces « connards d’Américains ». Quand on nous faisait faire des bonhommes de neige, c’était pour ensuite leur tirer dessus avec des cailloux aux cris de « meurs sale Américain ». Les problèmes de mathématiques sont « il y a quatre salauds impérialistes, j’en tue deux, combien en reste-t-il ? »

Elle expérimente tôt l’injustice du régime quand, pour avoir fait le commerce de métaux récupérés, son père ainsi que sa famille sont mis au ban de la société. La défiance généralisée entre chaque individu se renforce, même au sein d’une famille. Le régime nourrit un climat de peur perpétuelle du « danger impérialiste américain » pour empêcher toute émergence d’une opposition. Au point que la mère de Yeonmi Park l’élève en lui enseignant à se méfier même de la nature :

Même les oiseaux et les souris peuvent t’entendre chuchoter…

Une méfiance justifiée : à 9 ans, elle doit assister à l’exécution de la mère de sa meilleure amie, « coupable » d’avoir regardé des DVD de films sud-coréens.

Elle vit ces scène ahurissantes, belles (de l’extérieur) et effrayantes à la fois, des démonstrations de masse où les enfants rejouent des tableaux géants de l’histoire officielle. Des tableaux joués par plusieurs milliers d’enfants parfaitement synchronisés, mais « où celui que se trompe meurt. » Et la jeune femme de parler d’un « camarade mort parce qu’il n’a pas pu dire à ses professeurs qu’il était malade et ne pouvait pas participer ».

L’exil

La situation familiale empire alors que la politique économique absurde du régime plonge le pays dans des famines à répétition. Le printemps est la saison de la mort car c’est la fin des réserves de nourriture :

Ma sœur et moi entendions souvent des adultes marmonner en hochant la tête devant des cadavres dans la rue : « dommage qu’ils n’aient pas tenu jusqu’à l’été »

La situation familiale devient si précaire que, peu après la libération de son père des camps de travaux forcés, tenter de s’enfuir, dans l’illégalité la plus complète, devient la seule option :

Je ne suis pas partie pour la liberté, je suis partie parce que sinon j’allais mourir. J’ai essayé de manger tout, tous les insectes et toutes les plantes possibles. Nous mâchions parfois des racines, sans les manger, juste pour avoir quelque chose en bouche.

C’est la faim et la volonté de survivre qui les fait fuir, pas l’envie de retrouver un monde extérieur que personne ne peut connaître de l’intérieur du « royaume-ermite », qui bloque toute communication avec le reste du monde. Seul contact avec l’extérieur, quelques téléphones chinois arrivent à traverser la frontière et permettent de capter légèrement le réseau chinois avec de gros risques.

Avec sa mère, elle parvient à passer clandestinement cette frontière en 2007, au prix de lourds sacrifices :

Elle a alors 13 ans et le contrebandier qui les fait passer exige de coucher avec elle pour ne pas les dénoncer aux autorités. C’est sa mère qui s’est offerte à sa place.

La découverte de la civilisation en Chine est une redécouverte de tout :

Avoir de la lumière dans l’appartement le soir était magique, mais mon plus gros choc a été la présence de poubelles dans l’appartement : ils ont des poubelles, donc ils ont des choses à jeter ! Je n’avais jamais rien eu à jeter !

La vie après l’exil

Mais la Chine est aussi un allié proche de la Corée du Nord, et être repéré par les autorités en Chine, c’est être renvoyé en Corée du Nord de façon quasi-certaine, pour y être emprisonné, interné ou exécuté.

En 2009, elle fuit donc la Chine avec sa mère, en passant par la Mongolie et le désert de Gobi grâce à des missionnaires chrétiens et des militants des droits de l’homme.

Les deux femmes arrivent enfin en Corée du Sud en avril 2009, où elles vivent de petits boulots de serveuse ou de vendeuse, pendant que Yeonmi Park étudie en même temps à l’université de Séoul.

En 2014 à Séoul elle retrouve sa sœur, qui avait tenté de fuir en même temps que les deux femmes et peu avant son père. La défection d’une femme étant jugée moins importante que celle d’un homme, celui-ci avait pu organiser sa fuite après elles.

La lecture de La Ferme des animaux de George Orwell la pousse à agir et dénoncer le régime qu’elle a fui, ce qu’elle fait dans des conférences comme le One Young World à Dublin en 2014, vu sur YouTube 2 millions de fois :

Une dénonciation publique des exactions du régime, qui lui a valu des menaces de la Corée du Nord, comme des pressions sur les membres de sa famille restés sur place et exhibés par le régime sur YouTube comme instrument de pression.

Quelle voie pour la Corée du Nord ?

Malgré tout ce qu’elle a vécu, elle garde une volonté et une foi communicative en un avenir meilleur, au fondement de son engagement pour les droits de l’homme.

Installée à New York désormais, elle étudie à Columbia grâce à une bourse. Que veut-elle faire ensuite ? Continuer à aider à faire tomber le régime, mais ne pas en faire son métier ou créer une organisation, mais avoir une carrière, vivre tout simplement, comme le titre de son livre : « je voulais juste vivre ».

Pour elles les occidentaux qui veulent aller en Corée du Nord font une grave erreur morale et servent la communication du régime tout en l’aidant financièrement à survivre. Comme les « idiots utiles » de l’URSS, ils ne voient que ce que le régime veut leur montrer. Agir pour le pays peut se faire selon elle en aidant les Nord-Coréens à s’échapper, ainsi qu’en donnant aux habitants restés là bas des moyens de connaître la réalité d’un monde qu’on leur cache.

Voilà qui restera surtout pour moi un témoignage saisissant, difficile à restituer complètement par écrit, mais que son livre, traduit en français, permet de découvrir et qui rappelle aussi ce pourquoi nous nous battons au quotidien.

Article paru initialement sur Contrepoints.


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15 réactions à cet article    


  • antyreac 15 avril 2016 10:56

    On dénonce pas assez l’horrible régime de Pyang Yang qu’on oublie trop souvent dans la quiétude occidentale.

    @l’auteur 
    Excellent article

    • raymond 15 avril 2016 11:22

      Propaganda, cela evite de traiter du sujet des rescapés de pole emploi


      • Ouallonsnous ? 15 avril 2016 16:35

        @raymond

        Pour éviter Pôle emploi, faites vous passer pour une rescapée Coréenne, les subsides de la Ned Cia alias l’USaid, vous serons octoyés !


      • foufouille foufouille 15 avril 2016 12:17

        « Dans le cadre, étrangement absurde, d’un salon de thé luxueux du centre de Paris. »
        elle est devenue riche comme par hasard.
        sa soeur a aussi miraculeusement réussi à se sauver.
        un peu gros.



          • Jo.Di Jo.Di 15 avril 2016 12:36

            La Corée du Nord a fait 2 guerres défensives, contre les japonais, contre les américains.
             
            Les américains sont les 2e plus grands massacreurs de l’Histoire, derrière les anglais, qui avec la destruction de l’Empire chinois, guerre de l’opium entre autres, y ont fait 300 millions de morts en 1 siècle.
            Quelle pute médiatique occidentale parle du génocide de la guerre de l’opium ... ?

            Marx en parle ...
             
            500000 enfants irakiens mort de faim ! la plus belle ratonnade !
             
            Albright assume leurs morts :
            https://www.youtube.com/watch?v=lbLCY4iHDRE


            • leypanou 15 avril 2016 12:41

              Des pays qui ont toutes les armes possibles du monde -atomiques, biologiques, chimiques- ont imposé des sanctions supplémentaires à la Corée du Nord, sous prétexte qu’elle a tiré un missile balistique et cela va améliorer la vie des Nord-Coréens ? Ce sera intéressant de savoir quels sont les impacts des embargos imposés sur des pays qui ne « marchent pas droit » -Corée du Nord, Irak, Iran, Cuba, Syrie- à un moment de l’histoire, sur la vie des populations de ces pays.

              Voilà encore une future vassale de l’empire, telle qu’on les aime bien ici en Occident.


              • Phoébée 15 avril 2016 12:45

                Le monde serait-il meilleur sans la Corée du Nord ?


                • Albert123 15 avril 2016 13:48

                  oui on a bien compris que le seul problème au monde c’est le dernier régime stalinien qui existe : celui de la Corée du nord (qui très franchement n’a pas le moindre impact sur ma vie depuis que j’existe à contrario de la politique étrangère US qui a transformer la France en ghetto liberticide en moins de 40 ans).


                  Alors bien évidement je ne vais pas me prononcer en faveur de ce régime et le traitement fait à sa population est certainement peu enviable mais finalement cette dictature pose surtout problème à la finance internationale.

                  car vendre à des esclaves et s’en servir comme main d’oeuvre ne lui pose aucun problème à la finance internationale par contre devoir subir les effets des frontières d’une nation et d’une monnaie qu’un état peut dévaluer à loisir, ça c’est insupportable.



                  • ajbrado (---.---.179.130) 15 avril 2016 15:49

                    Au-delà de toute spéculation affairiste, quel que soit l’angle d’analyse de ce vécu, aujourd’hui aucune personne honnête ne peut tolérer ce régime barbare. Mais comme l’ignorance et la bêtise du peuple sont la force de toute dictature. C’est au peuple Nord-Coréen de renverser ce régime ignoble. Et le vécu de Yeonmi Park est un exemple précieux pour encourager le combat que le peuple Nord-Coréen doit mener pour se libérer de la junte militaire qui l’opprime. Une dictature ne peut être que renversée.


                    • Ouallonsnous ? 15 avril 2016 16:41

                       @ajbrado

                      Il vous reste juste à remplacer régime barbare par états unis d’amérique et peuple Nord-Coréen par les peuples non alignés et vous aurez produit un post remarquable !


                    • Albert123 15 avril 2016 16:51

                      @ajbrado

                      laissons donc au peuple coréen le droit souverain à disposer de lui même et ce sans l’aide d’une énième fausse révolution de couleur dont SOROS est friand.

                      En l’état ce témoignage ne sert encore une fois qu’a galvaniser les faux démocrates occidentaux totalement asservis par la finance internationale et la culture médiocre des anglo saxons

                      Une jolie coréenne ne suffit pas à me convaincre ( encore heureux)

                      Combien de dictatures (fausses ou non) ont été dénoncées par ce genre de témoignage plus ou moins trafiqué, puis soumis aux colons occidentaux par le biais de l’ONU pour mieux engendrer le chaos que nous vivons de manière de plus en plus intense ?

                      Pour rappel il y a peu nos chers dirigeants (issus des même grandes écoles) étaient prêts à envoyer notre jeunesse se faire massacrer par les russes sous prétexte que Poutine était particulièrement misogyne et homophobe (! !!)

                      Aussi Il serait bienvenu que les pompiers pyromanes, qu’ils viennent de HEC ou non, qu’ils soient pro atlantistes ou pas,calment un peu le jeu et leur désir puéril de conquête.

                      Le temps des Attila et des Alexandre le grand, est révolu et les rêves de grandeurs que l’on vous a mis dans la tête lors de vos études n’ont jamais été tenus que pour vous gonfler de l’orgueil nécessaire à tout décideur.

                      Vous ne l’avez vraisemblablement compris qu’au premier degré, ce qui est bien triste quand on rappel que les grandes écoles que vous avez (peut être vous même) faites sont sensées former l’élite.

                      Une élite désormais privée de culture, de toute spiritualité, d’excellence et de tout ce qui peut la rendre respectable aux yeux de la plèbe au point de s’y soumettre.

                      Je ne sais pas si le peuple « mérite mieux que cela » mais une chose est sure ce qui sort depuis 40 ans de ces écoles de prestige n’a juste « pas le niveau ».



                    • tf1Groupie 15 avril 2016 21:17

                      Ah, un article qui porte atteinte à l’image de la Corée du Nord, forcément c’est assez mal reçu par la communauté Agoravoxienne.

                      Allez savoir pourquoi.

                      Pas du tout parce qu’il y aurait éventuellement l’association d’idée suivante : Défendre la Corée du Nord = Défendre le Communisme.

                      Mais les humanistes ici présents fort nombreux prendraient fait et cause cause pour la victime ... ou pas !


                      • adeline 19 avril 2016 12:36

                        @tf1Groupie
                        rien à voir avec le communisme qui n’existe dans aucun pays, mais cette profusion de personnes, qui ont bien sur subit des tonnes de choses, bizzarement de pays « cibles » de l’empire (je vous laisse en faire la liste) est très curieux, en Egypte une personne arrêtée et torturée (c’est la coutume) est jetée sur un dépôt d’ordure et n’écrit pas un livre et bien sûr ne se présente pas des des 10aines d’émission sensationnelles.


                      • Norbert 16 avril 2016 09:59

                        Il y a toujours de la vérité dans les mensonges. Mais dans quelle proportion  ?
                        Et les ennemis de Kim-Jong valent-ils tous mieux que lui ?

                        Souvenez vous des reportages sur l’armée soviétique confectionnés de scènes factices  tournées par des comédiens britanniques. Il fallait démontrer que l’armée des soviets était à la fois inefficace (à cause du poison communiste) et monstrueusement dangereuse (à cause du poison communiste). 

                        Relisez les articles du Figaro au lendemain de Tchernobyl, il y est question de dizaine de milliers de prisonniers politiques envoyés de force sur les lieux pour tenter de juguler la catastrophe.

                        Faut-il rappeler l’affaire des vrais faux charniers de Timisoara ?

                        Les communistes pour avoir été les premières victimes des bureaucraties staliniennes n’idéalisent pas ces régimes mais ils vous prient de remballer votre propagande de m, car nous savons qui vous êtes.

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