Europe de la défense : gare aux Américains !
Alors que la Commission européenne annonce la création d’un ambitieux Fonds européen de la défense, la Belgique, qui doit renouveler sa flotte d’avions de combat, porte l’avenir de la défense européenne entre ses mains.
« Une étape historique (…) sur un sujet dont il y a quelque temps encore, personne au sein de l’Europe ne voulait entendre parler », selon l’eurodéputée Françoise Grossetête. Le 13 juin dernier, la Commission européenne a présenté son futur budget pluriannuel pour la période 2021-2027. Et l’exécutif européen de présenter ses priorités en matière de défense, un domaine auquel les 27 devraient consacrer quelque 20 milliards d’euros, dont 13 milliards pour un inédit « Fonds européen de défense ». Celui-ci aurait vocation à cofinancer des projets transnationaux dans l’industrie de la défense.
« Il ne s’agit pas de dépenser plus pour la défense, a déclaré à cette occasion Federica Mogherini, la haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la Sécurité, mais d’inciter à la coopération et donc aux économies d’échelle ». L’objectif, plaide la Commission, est « d’augmenter l’autonomie stratégique de l’Union, de renforcer sa capacité à protéger ses citoyens et d’en faire un acteur plus influent au niveau mondial ».
Les 13 milliards d’euros alloués à ce nouveau fonds serviront à « soutenir les investissements transfrontaliers dans les technologies et équipements de pointe », explique-t-on à la Commission. Sur cette enveloppe globale, 4,1 milliards d’euros seront destinés au financement direct des projets de recherche collaborative et 8,9 milliards serviront à compléter les investissements liés au développement des prototypes, certifications et essais.
Un fonds qui « placera l’Union européenne (UE) parmi les quatre premiers investisseurs en matière de recherche et de technologie de défense en Europe » se félicite la Commission. « Pour la première fois dans l’histoire de l’UE, une partie du budget européen est alloué à un investissement collectif dans le développement de nouvelles technologies et de nouveaux équipements destinés à protéger nos citoyens », abonde le commissaire Jyrki Katainen. Voilà pour la théorie.
Attention à l’entrisme américain
Car ces belles ambitions pourraient bien se fracasser sur l’entrisme américain. Sur le papier, les entreprises éligibles au fonds doivent être « basées dans l’UE, y avoir leurs infrastructures et surtout, les prises de décisions ne pourront pas être contrôlées par une entité installée hors de l’Union », précise un responsable européen à l’AFP. Des garde-fous qui ont le mérite d’exister, mais qui semblent bien minces pour résister à la pression des géants militaires américains.
Ceux-ci mènent en effet une intense campagne de lobbying dans les couloirs de Bruxelles, afin que leurs filiales européennes ne soient pas exclues de ces financements. Par exemple, des entreprises comme Bell Helicopters, UTC ou Raytheon sponsorisent des colloques sur l’Europe de la défense. Quant au secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, il a déclaré que « l’UE ne doit pas fermer ses marchés de défense » aux États-Unis.
Cette pression « amicale » de l’Oncle Sam, si elle était couronnée de succès, viderait de sa substance ce fonds européen de défense. Un avis partagé par Françoise Grossetête, qui se déclare « totalement favorable à une mention de la préférence européenne dans les prochains textes législatifs. Si on continue à privilégier les achats d’armements américains, des matériels connectés dont un État tiers a la maîtrise, on ne peut plus parler d’autonomie stratégique ».
La Belgique a l’Europe de la défense entre ses mains
L’avertissement de l’eurodéputée prend une résonance particulière au moment où la Belgique, membre fondateur de l’UE, s’apprête à renouveler sa flotte d’avions de combat. Plusieurs options s’offrent à elle, dont le F-35 américain, le Rafale français et le Typhoon britannique. Bruxelles va devoir arbitrer en tenant compte de divers critères, dont le prix des appareils, leur aptitude au combat, ou encore les potentielles retombées économiques sur le tissu industriel belge.
Au-delà de ces arbitrages classiques, la Belgique a, par son choix, les clés de la défense européenne entre ses mains. Par « ce choix politique majeur (…), la Belgique enverra un message clair sur ce qu’elle est, où elle se situe, et quel est le fil rouge de l’avenir qu’elle veut décider », écrivent dans une tribune commune l’économiste Bruno Alomar et le sénateur Cédric Perrin. « Retenir une solution non européenne (…) ne pourrait être interprété autrement que comme une rétractation du projet européen ».
Mais surtout, insistent les deux cosignataires, « la responsabilité de la Belgique (en matière d’Europe de la défense) est écrasante. Le choix belge engagera tous les Européens, au moment où l’Europe de la défense, longtemps au point mort, bénéficie d’une conjonction des volontés inédite ». Et de conclure : « La Belgique s’apprête à engager par sa décision rien moins que l’avenir de l’aviation de combat européenne, colonne vertébrale sans laquelle aucune politique de défense européenne n’est possible ».
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