Eviction de Pierre Bellanger : symbole de l’ultra-capitalisme, atteinte à la liberté d’expression ou grossière manipulation de la jeunesse ?

Les animateurs de la station redoutent que l'âme et les programmes de la radio de chevet de millions de jeunes auditeurs de rap s'envolent avec son fondateur et orchestrent avec une impressionnante réactivité une mobilisation sur Internet, notamment par Facebook et le bras armé de la radio, le réseau des Skyrock blogs – plus de trente millions de blogs.
Via les réseaux sociaux, un rassemblement a été organisé mercredi matin à 9 heures devant les locaux de Skyrock à Paris. « On reproche en gros à la radio de ne pas gagner assez d'argent », a résumé Difool, l’animateur vedette de la radio libre du soir depuis 1997 et également directeur général de l'antenne, ce qui peut avoir son importance.

L’argument des méchants capitalistes voulant faire des profits sur le dos de la radio indépendante est matraqué depuis deux jours. Pour Pierre Bellanger, ce rôle est parfait dans le contexte actuel. Transformer un chef d’entreprise au salaire mensuel supérieur à notre salaire annuel en martyr de la liberté n’était pas une mince affaire, mais c’est l’angle choisi par le président de la station et ses proches, Laurent Bouneau, Directeur Général des Programmes et David Massard, le célèbre « Difool », en tête. Beaucoup en appellent à l’intervention de l’Etat, appelé à s’ingérer dans les affaires d’une radio privée alors qu’il lui est déjà suffisamment reproché de considérer les radios publiques comme la courroie de transmission du gouvernement.

Or, qui d’autre que Pierre Bellanger a choisi d’ouvrir le capital de la station à des fonds d’investissement en s’enrichissant considérablement ? Qui d’autre que les actionnaires (dont Bellanger) ont donné mandat à la banque privée Messier et Maris et à la banque Arjil de Gérald de Roquemaurel, connu pour être un ami de Bellanger lui-même ?
Il est clair que le fondateur de la station est un homme extrêmement intelligent qui a notamment su anticiper l’émergence des blogs et, avant cela, le créneau porteur du rap. Pierre Bellanger n’a d’ailleurs jamais nié ce choix purement stratégique. A la question posée par un journaliste du magazine Broadcast (18 Novembre 1998) « Vous continuez de surfer sur la vague du rap. Si demain ce genre musical ne remportait plus le même succès, seriez-vous prêt à basculer vers la techno ou le raï ? », le PDG de la station répondait : « Tout est possible. La particularité de Skyrock est d’anticiper et de prendre des risques. La station reste avant tout découvreuse de talents musicaux. »

Et pour ceux qui lui prêteraient un éventuel militantisme hip-hop, une interview donnée au Point daté du 31 août 2001 révèle la vérité : « Jamais la nouvelle génération n’a dépensé autant d’argent de poche. Or elle n’a aucune charge sur le dos. Ce qui signifie que tout l’argent des jeunes est dépensé en conneries ». On a connu militant anti-capitaliste plus engagé…

L’éviction de Pierre Bellanger de la direction générale du groupe serait donc alors une atteinte à la liberté d’expression. Argument qui devrait faire sourire certains rappeurs, comme ceux du groupe La Rumeur, totalement blacklisté par la station, ou, plus largement, ceux ayant eu affaire à Bellanger et Laurent Bouneau. Celui-ci expliquait ainsi très simplement dans Télérama le 2 février 2000 : « Oui, ça m’est arrivé plusieurs fois de demander à des rappeurs qu’ils déplacent leur refrain (…) s’ils veulent passer chez nous, ils refont leur chanson. » Ces hérauts de la liberté d’expression sont d’ailleurs les premiers à empêcher le nouveau directeur général de s’exprimer sur les ondes, tout en ouvrant leur antenne aux personnalités politiques « amies », comme Jack Lang, par exemple.

Il faut donc chercher ailleurs les motivations réelles des "insurgés". Ceux-ci n'auraient pas plutôt peur de voir leur position affaiblie par l'arrivée d'un nouvel acteur au sein de la station ? Si tel est le cas, on ne peut qu’espérer que l’Etat ne se mêle pas de ce qui semble n’être que des querelles internes et des luttes de pouvoir au sein, rappelons-le, d’une radio privée, même si cette radio fait preuve d’une incroyable capacité de manipulation de la jeunesse…