F. Bayrou, E. Macron et les Lettres béarnaises : manque de prévoyance, trompeuses espérances, fronde politique et châtiment judiciaire ?
« Considère, mon amour, jusqu’à quel excès tu as manqué de prévoyance. Ah ! malheureux, tu as été trahi, et tu m’as trahie par des espérances trompeuses. Une passion sur laquelle tu avois fait tant de projets de plaisirs ne te cause présentement qu’un mortel désespoir, qui ne peut être comparé qu’à la cruauté de l’absence qui le cause. Quoi ! cette absence, à laquelle ma douleur, tout ingénieuse qu’elle est, ne peut donner un nom assez funeste, me privera donc pour toujours de regarder ces yeux, dans lesquels je voyois tant d’amour, et qui me faisoient connoître des mouvemens qui me combloient de joie, qui me tenoient lieu de toutes choses, et qui enfin me suffisoient ? Hélas ! les miens sont privés de la seule lumière qui les animoit, il ne leur reste que des larmes, et je ne les ai employés à aucun usage qu’à pleurer sans cesse, depuis que j’appris que vous étiez enfin résolu à un éloignement, qui m’est si insupportable qu’il me fera mourir en peu de temps... »
Lettres portugaises (1669), attribution controversée (Gabriel de Guilleragues), Traduction par Alexandre Piédagnel . Texte établi par Alexandre Piedagnel, Librairie des Bibliophiles, 1876 (p. np-95)i
Une jeune femme, enfermée dans un couvent au Portugal écrit cinq lettres. Son amant -le premier et le seul- est un officier français qui a servi quelques temps près de son cloître et a été rappelé dans son pays. Qui les a écrites ? Sont-ce pure construction romanesque d’un habile et fin lettré courtisan ? ou sont-ce de vraies lettres rédigées depuis une pieuse cellule d’un couvent de l’Alentejo ? La raison scientifique penche pour la première hypothèse, la raison sensible pour la deuxième. Mais jamais rien n’a encore permis de trancher avec autorité, écrit Gaël Leveugle, metteur en scène, à propos de Gabriel Joseph de Lavergne, comte de Guilleragues, officier, diplomate et écrivain français, auteur présumé de ce formidable roman épistolaire que fut le recueil des Lettres portugaises de la Franciscaine Maria Alcoforado, publiées anonymement en 1669.ii
Passionnant roman épistolaire, s'il en est, qui permet aujourd'hui d'imaginer avec l'Incipit cité supraiii, en mettant le principal personnage au masculin, ce qu'a pu – ce qu'aurait pu éprouver – une sorte d'amant éconduit face à la « trahison » de celui qui, en la personne de François Bayrou, aurait pu – aurait dû tant il était plus que pressenti pour deux portefeuilles ministériels, prendre en charge les naufrages en cours de l'Education dite nationale ou celui à venir des Armées avec l'aventure militaire de la France et de l'Europe en Ukraine en tant que supplétif de l'OTAN.
Mais voilà ! Plutôt que de rejoindre un gouvernement, sans doute après en avoir soigneusement examiné, étudié, consulté, pesé les paramètres, l'intéressé a préféré éluder et renoncer à ce choix fatal, considérant sans doute à raison le gouvernement tout en miroir présidentiel de M. Attal comme souffrant d'incomplétude sinon d'incapacité essentielle et, pour tout dire, comme très mal parti.
Comment le président de la République s'est-il encore une fois mépris à ce point ? Comment a-t-il pu croire un seul instant qu'il pourrait faire miroiter un avantage et leurrer un homme politique né en 1951, disposant pour sa part d'une réelle et profonde culture, de l'expérience, du recul, de l'intelligence et de la prudence nécessaires au point de l'amener à quitter la direction du Haut- Commissariat général au Plan pour passer sous les ordres d'un jeune godelureau né en 1989, au parcours universitaire incertain, dépourvu de toute expérience politique et professionnelle et ne connaissant rien à la vie, tout simplement ?
« Pourquoi faut-il qu'il soit possible que je ne vous reverrai, peut-être jamais ? M'avez-vous pour toujours abandonnée ? Je suis au désespoir, votre pauvre Marianne n'en peut plus, elle s'évanouit en finissant cette lettre. Adieu, adieu, ayez pitié de moi. »
La réalité est beaucoup plus simple et ne fait que révéler l'ampleur de la pétaudière gouvernementale autour de M. Macron et de M. Attal.
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L’annonce de la suite de la composition se fait encore attendre, et François Bayrou n’y serait pas pour rien.
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Alors que son nom était cité pour remplacer Amélie Oudéa-Castéra à l’Éducation nationale, le président du Modem affirme qu’il n’entrera pas au gouvernement, faute "d'accord profond sur la politique à suivre". Des propos qui interrogent de la part d’un allié historique d’Emmanuel Macron.
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François Bayrou aurait refusé d’être nommé ministre des Armées et a confié à l’AFP que « deux domaines" lui paraissaient "mériter un engagement plein" : "le ministère de l'Éducation" et un grand ministère pour résorber "le gouffre qui s'est creusé entre la province et Paris".
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Lors d’un dîner avec des membres du Modem, François Bayrou a dénoncé "une démarche d'humiliation" de l'exécutif envers son parti, affirmant qu'on lui avait proposé quatre portefeuilles pour le MoDem, alors qu'il en voulait six.
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Parmi les noms qui circulent pour entrer au gouvernement, Nicole Belloubet, ancienne garde des Sceaux, est pressentie pour l'Éducation nationale (cela aurait pu tout aussi bien être le Commerce extérieur, la Francophonie, les espèces en voie de disparition etc.) , tandis que le poste de ministre du Logement se jouerait entre l'actuel titulaire Patrice Vergriete, les députés Renaissance Guillaume Kasbarian et Annaïg Le Meur ou la sénatrice LR Dominique Estrosi-Sassone.
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"Le MoDem a une responsabilité. Il est membre de la majorité pour reconstruire le pays", a pourtant rassuré François Bayrou jeudi matin sur France Info. Un entretien au cours duquel plusieurs journalistes politiques ont cru déceler une intention de candidature pour la présidentielle 2027.
Sans doute ont-ils vu juste.
Il est dès lors aisé de comprendre – mais ce n'est là qu'une hypothèse de ma part -, que pareil dessein venant accompagner le refus de M. Bayrou de se soumettre, de faire allégeance en entrant au gouvernement pour s'y soumettre et y demeurer politiquement inactif n'a pu que susciter -simple hypothèse, là encore – une réaction à laquelle je m'attendais personnellement et qui s'est produite : la neutralisation immédiate et la mise hors-circuit du frondeur.
Le fait est que dans un cinglant réquisitoire contre le macronisme et les duettistes Macron & Attal en représentation permanente d'un nouveau numéro du cirque gouvernemental qui n'amuse plus personne, M. Bayrou a tour à tour dénoncé « l’ignorance par les responsables du sommet de ce que vit la base » des Français ; l’impossibilité de réformer le pays « dans un climat uniquement gestionnaire » ; « la rupture constante, continuelle, progressive et de plus en plus grave entre la base et les pouvoirs » ; un exécutif qui « fait comme si la crise n’existait pas ». M. Bayrou s’est alarmé au point de déclarer : « Le résultat de la crise et de cette incompréhension croissante entre les milieux de pouvoirs et la base, c’est la progression des extrêmes et singulièrement du Front national. […] Je pense que [l’exécutif] partage une partie [de cette analyse] mais les actes devraient suivre la parole. »
Mais voilà que là encore les doigts crochus du Destin et un mystérieux Karma semblent avoir immédiatement et littéralement sanctionné le présomptueux défaillant en un retour de flamme qui, au vu de l'ambiance générale, ne surprend guère.
On rappellera en effet que le tribunal correctionnel de Paris avait condamné le parti dans le dossier des assistants parlementaires européens, mais relaxé François Bayrou. Les magistrats « n'ont rien trouvé, car il n'y a rien », avait réagi le maire de Pau.
Le parquet de Paris a en effet interjeté appel, ce jeudi 8 févrer 2024, des trois relaxes prononcées mardi lors du jugement dans l'affaire dite des assistants parlementaires européens du MoDem. Le tribunal correctionnel avait notamment relaxé le président du parti, François Bayrou (ainsi que Pierre Portheret et Stéphane Thérou), tout en condamnant le MoDem (autrefois UDF) à 400.000 euros d'amende en tant que personne morale. Les juges de première instance avaient en effet estimé que l’implication de François Bayrou dans un détournement de fonds publics, par le biais duquel des assistants d’eurodéputés travaillaient en réalité pour le parti centriste, n’était pas démontrée. Leurs attendus notaient cependant de manière suspicieuse : « Il est très probable que [trois des prévenus] qui ont commis des actes de complicité de détournements de fonds publics au seul profit du parti, ont agi avec l'autorisation de François Bayrou et à tout le moins en l'informant de leurs agissements. Mais il n'est pas rapporté la preuve de cette autorisation ou de cette information. Or, en application de l'article 427 du code de procédure pénale, les infractions pénales doivent être établies par des preuves, même appréciées d'après l'intime conviction des juges. En l'absence de toute preuve, une juridiction pénale de jugement ne saurait, sans méconnaître le principe de la présomption d'innocence, déduire la culpabilité d'un prévenu d'une hypothèse, fût-elle vraisemblable. Il résulte de ce qui précède que François Bayrou sera [relaxé]au bénéfice du doute ».
« Accusation totalement infondées »
Dans un bref communiqué diffusé jeudi, le parquet rétorque que, de son point de vue, « les faits caractérisent les infractions reprochées et les preuves de ces délits sont réunies contre tous les prévenus » - huit autres personnes ont été condamnées en première instance et disposent depuis mardi d’un délai de dix jours pour contester cette décision.
D’un point de vue général, l’appel du parquet n’a rien de surprenant (c’est plutôt l’inverse qui eût été étonnant) : ses représentants avaient notamment requis à l’encontre de M. Bayrou 30 mois de prison avec sursis, 70.000 euros d'amende et trois ans d'inéligibilité également assortis du sursis... Le jugement ne satisfait donc pas le ministère public qui n’est pas réputé pour être bon perdant - effectivement - et entend à présent convaincre la cour du bien-fondé de son analyse.
Cependant, le contexte politique ne manquera pas de susciter mille interprétations : François Bayrou ne se serait-il pas félicité un peu vite d’une relaxe qui n’avait pas encore de caractère définitif ?
Il vient de refuser d’entrer au gouvernement et de créer une crise politique. Certains seront ainsi tentés de déceler des arrière-pensées extrajudiciaires dans ce qui n’est finalement, pour le parquet, qu’une décision relevant de la routine. Mais ne nous égarons surtout pas et bridons les interprétations comme les soupçons, n'est-ce pas ?
À lire aussi Derrière la fronde de François Bayrou, la volonté d’écorner les premiers pas de Gabriel Attal
M. Bayrou a immédiatement réagi jeudi après-midi 8 février 2024 dans la presse en affirmant que « (sa) ligne de défense sera la même puisque toutes les accusations se sont effondrées lors du premier procès », et qu'il « fera face avec la même combativité », au Point . Confiant, il assure que le parquet peut « faire appel, ça ne tiendra pas plus la seconde fois que la première fois, car ce n'est pas vrai ; les accusations portées contre moi sont totalement infondées ». Le président du Modem préfère pour sa part dénoncer « la somme d'argent considérable » : entre 3 et 5 millions d'euros en frais d'enquête, d'avocats et de procédure, pour un préjudice estimé par la justice à 200 000 euros sur quinze ans, selon lui. « (Les magistrats) n'ont rien trouvé, car il n'y a rien. »
Aucune date n’est encore fixée pour le procès en appel. Peu importe. L'intéressé est désormais caramélisé après avoir cru pouvoir échapper à quinze ans de procédure...
Que n'a-t-il attendu l'expiration du délai d'appel ! Il eût été tellement plus simple et judicieux pour lui de quitter un gouvernement après y être entré en prétextant d'arguments auxquels personne n'aurait prêté attention.
M. Bayrou est pour l'instant hors-jeu.
« Comme le dirait Boileau, ( je cite ici Vittorio Fortunati à propos de son étude sur l'Incipit des Lettres portugaises) le vraisemblable peut quelquefois (voire souvent) n’être pas vrai. Faute de preuves, nous nous contentons de fournir des indices, pour suggérer que l’on pourrait aborder le problème de l’incipit d’une autre façon ou, encore mieux, d’un autre point de vue, c’est-à-dire comme un problème textuel. »
Ou banalement politique.
ihttps://fr.wikisource.org/wiki/Lettres_portugaises_traduites_en_fran%C3%A7ais
ii https://ebmk.univ-lorraine.fr/spectacles/les-lettres-de-la-religieuse-portugaise/
iii Référence papier
Vittorio Fortunati et Università degli Studi di Pavia, « Conjectures sur l’incipit des “Lettres portugaises” », Studi Francesi, 193 (LXV | I) | 2021, 155-160.
Référence électronique
Vittorio Fortunati et Università degli Studi di Pavia, « Conjectures sur l’incipit des “Lettres portugaises” », Studi Francesi [En ligne], 193 (LXV | I) | 2021, mis en ligne le 01 juin 2022, consulté le 08 février 2024. URL : http://journals.openedition.org/studifrancesi/43299  ;;  ;DOI  ; : https://doi.org/10.4000/studifrancesi.43299
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