Faillite. Lâché vendredi par le Premier ministre à propos des finances publiques, le mot n’en finit pas d’agiter les esprits. A bien écouter les réactions, à bien regarder chacun des acteurs de la scène qui se joue sous nos yeux, chacun des responsables qui a pris la parole pour commenter les propos de François Fillon s’efforce de minorer l’impact, la force, les conséquences du mot choisi. Un exemple, un seul, mais beaucoup d’autres pourraient être alignés les uns derrière les autres, celui d’Henri Guaino, conseiller du président de la République, depuis New York où il accompagne Nicolas Sarkozy : "Le mot faillite était sans doute inadapté même si, sur le fond, le Premier ministre a sans doute raison".
Déclaration étrange. Elle montre bien que le mot dérange parce que la vérité dérange. La France n’est pas en faillite parce qu’elle va cesser, demain de payer ses fonctionnaires. La France est en faillite parce qu’elle ne sait plus comment réduire son déficit budgétaire annuel, lequel nourrit l’impressionnante montagne de dettes qui obscurcit chaque jour davantage notre horizon. La France est en faillite parce que son État ne sait plus comment financer la totalité de ses administration, la complexité de son système social, son vorace appareil de défense, son prétentieux réseau de diplomates, son mille-feuille politique, régions, département communautés de communes, communes. François Fillon a raison, François Fillon a raison, François Fillon a raison.
Jospin. Petite scène sur le plateau du Grand Journal, hier soir, sur Canal+. Lionel Jospin entame son raisonnement sur les finances publiques : "La situation, dit-il, n’est pas très bonne". Je le coupe : "Elle est mauvaise." Il me regarde, accepte l’échange, reprend le mot : "D’accord, la situation est mauvaise."
Je ne raconte pas cela par gloriole personnelle. Je le raconte simplement parce que nous sommes face à une action sémantique non concertée. Surtout, minimisons le propos, soulevons le tapis, mettons le dessous comme le font les mauvaises femmes de ménage avec la poussière. C’est cela que nous devons combattre, mot à mot, pied à pied. Faillite, faillite, faillite.
Il ne s’agit pas de morbidité, mais d’éveil des consciences. Nous sommes en danger pour cette seule raison que nous vivons à crédit depuis trente ans, que nous savons tous que cela ne durera pas trente ans encore et que personne parmi nous, parmi les soixante millions de personnes qui composent le peuple français, ne sait comment parvenir à l’équilibre budgétaire. Au fond, que vous et moi ne sachions pas n’est pas grave. Que ceux qui nous dirigent, que ceux qui souhaitent le faire, ne le sachent pas non plus est plus inquiétant.
Question. D’où vient le déficit budgétaire français ? Pourquoi s’est constituée cette dette abyssale ? En Allemagne, par exemple, le dérèglement des finances publiques correspond à la reconstruction de l’Est. En Grande-Bretagne, à la remise à niveau de services publics maltraités par le thatchérisme. Mais en France, quel événement historique explique-t-il le déficit et la dette ? Pas facile comme question...
Réponse. Soyons immodestes et répondons. En fait, c’est très simple. Depuis trente ans, où plus exactement depuis le second choc pétrolier, l’État français est géré par des gens qui manquent de courage et sont encouragés dans leur penchant par une opinion publique en manque d’exigence. Ainsi, la carte judiciaire attend d’être réformée depuis les années 50. Mille points de justice, aujourd’hui, c’est-à-dire un coût démesuré d’administration des bâtiments et des structures. Idem pour la carte hospitalière qu’il faut d’urgence rationnaliser. Police et gendarmerie font le même travail depuis un quart de siècle. Faute d’avoir su affronter le corporatisme militaire, personne n’a cherché sérieusement à fondre les deux structures. La gendarmerie participe aux missions de sécurité du territoire à un coût exorbitant pour le contribuable. Tiens, puisqu’on en parle, deux administrations, une qui calcule l’impôt, l’autre qui l’encaisse, voilà trente ans que l’on se dit que l’on pourrait les regrouper. En attendant on paye. Le nombre d’enfants scolarisés baisse ? Celui des enseignants augmente. Le nombre d’agriculteurs baisse ? Celui des fonctionnaires travaillant dans ce secteur augmente.
Parlons enfin de la grande mystification de ces vingt dernières années : la décentralisation. Il s’agissait, à l’origine, d’alléger l’appareil central de l’État en déléguant des tâches aux collectivités territoriales davantage de responsabilités. Résultat : la fonction publique territoriale a grossi tandis que la fonction publique nationale n’a pas maigrie. La France se retrouve aujourd’hui lourde de 4,7 millions de fonctionnaires, record d’Europe, du monde et de l’univers, pour la stratosphère seule Pluton fait mieux, ce qui alourdit la fiscalité, pénalise la consommation et les entreprises, favorise les importations et fabrique du chômage. Voilà pourquoi, Madame, votre fille est muette. Le chantier pour changer tout cela est gigantesque, le travail douloureux et surtout, surtout, il y a urgence. Les déficits de régimes sociaux menacent la cohésion sociale, les déficits budgétaires celles de l’Europe. Attendre encore, c’est risquer beaucoup.
Copé. Le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale était l’invité de RTL, ce matin, à 7 h 50. Sur le sujet précédent, globalement, tout ne va pas si mal que ça. Globalement, tout est sous contrôle. Globalement, la majorité est formidable. Globalement.
A la fin, je l’ai interrogé sur cette information lue ici et là, et notamment sur le site internet de Rue89. Jean-François Copé, parlementaire et président de groupe, maire de son village et président de la communauté d’agglomération, est en plus, depuis quinze jours, avocat d’affaires. Tout cela est légal, ce n’est pas la question. La question c’est : pourquoi un élu de la République ne se consacre-t-il pas à sa tâche ? Parce qu’il ne gagne pas assez d’argent ? Alors, augmentons-le, faisons en sorte qu’élu de la nation, il le soit à 100 %, parce que la nation, vu son état, a besoin de ses élus. Jean-François Copé a justifié son cumul par la nécessité qu’il ressent de faire autre chose que de la politique, de s’ancrer dans la réalité d’un travail dans la société. Mauvaise façon de poser le problème. Dans une République idéalement construite, il serait bon qu’après un temps de mandat, une dizaine d’années, l’élu cesse l’action publique, laisse la place à d’autres, retourne dans la vie professionnelle, revienne ensuite. Cela éviterait la lassitude que ressent sans doute Jean-François Copé et effacerait les frustrations financières s’il les ressent.
Outre Jean-François Copé, beaucoup de parlementaires procèdent ainsi. La loi, mal foutue, qu’il faudrait changer, les y autorise. Alors, ils le font discrètement, en souhaitant surtout que personne ne s’occupe de leur cas.
Retraites. Je voulais demander à Jean-François Copé si le régime spécial de retraites des parlementaires serait réformé. Je n’en ai pas eu le temps. A cette étape, apparemment, personne ne s’en soucie.