Faut-il interdire les dividendes en temps de crise ?
Des voix s’élèvent régulièrement pour demander aux entreprises de la modération dans les dividendes versés aux actionnaires. En effet, les actionnaires, au même titre que les salariés, devraient participer à ce que certains appellent l’effort de guerre.Cependant, est-ce aussi simple que cela ? Est-ce que la modération dans les dividendes est la meilleure solution pour atteindre cet objectif ? Probablement pas !
Il faut tout d’abord casser une idée reçue : le dividende n’est pas une rémunération de l’actionnaire ! Le dividende n’a pas d’effet positif sur le patrimoine de l’actionnaire, au contraire même.
Ce qui enrichit l’actionnaire, c’est le bénéfice de l’entreprise. Le dividende est uniquement une façon de distribuer cet argent. C’est comme le salarié qui devrait choisir de mettre son salaire sur son Livret A ou sur le LDD.
Voyons comment fonctionne la distribution des dividendes : À la fin de l’année, en assemblée générale, les actionnaires approuvent les comptes, et donc les bénéfices. Ils décident alors de la meilleure façon d’affecter ce bénéfice. Il peut être versé en dividendes, il peut servir à racheter des actions (oui, une entreprise peut racheter ses propres actions), il peut être réinvesti dans des projets de l’entreprise, ou être placé sur le compte courant de l’entreprise.
Prenons un exemple. Si une entreprise vaut 100 000 euros en année N, puis fait 10 000 euros de bénéfice en année N+1, alors elle vaudra 110 000 euros. Si elle redistribue 5 000 euros de son bénéfice à ses actionnaires, elle s'appauvrit de 5 000 euros. Elle vaudra alors 105 000 euros. Cependant, l’entreprise appartient aux actionnaires, donc cela appauvrit les actionnaires de 5 000 euros. Sauf que les actionnaires touchent les dividendes, soit 5 000 euros. Les actionnaires possèdent l’entreprise, qui vaut alors 105 000 euros, et 5 000 euros de dividendes soit 110 000 en tout. C’est le même montant que si l’entreprise avait gardé cet argent. C’est un jeu à somme nulle pour l’actionnaire. Il s’est d’ailleurs enrichi de 10 000 euros (le bénéfice) et non de 5000 euros (le dividende).
Il y a tout de même une subtilité. Un détail qui devrait compter pour vous. Lorsqu’un actionnaire reçoit un dividende, il est taxé. Il ne reçoit donc pas 5 000 euros, mais 3 500 euros, et l’État 1 500 euros. Le dividende est perdant pour l’actionnaire, et gagnant pour l’État.
Quand l’État demande aux entreprises dans la modération en termes de distribution de dividendes, cela a un impact sur les finances publiques. Cela n’empêche pas les actionnaires de s’enrichir. En revanche, cela endette l’État. Et l’État c’est nous !
La question suivante est : mais que vont faire les entreprises de cet argent non distribué en dividendes ?
Comme vu plus haut, elles peuvent racheter leurs propres actions. Cependant, cette possibilité devrait être aussi interdite aux entreprises qui ont bénéficié des aides de l’État.
Elles peuvent garder cet argent en cash sur leur compte bancaire. Notamment, en prévision des mauvais jours. Cependant, pourquoi inciter les entreprises à cela ? Les Français épargneraient trop, limitant ainsi la consommation et la reprise de l’économie. Et on voudrait inciter les entreprises à en faire de même. Pour rappel, la politique des taux bas des banques centrales sert justement à inciter les acteurs économiques à ne pas thésauriser, et à dynamiser l’économie ! C’est à la limite de l’absurde.
Elles peuvent investir dans des projets. Et là cela devient plus intéressant… et plus compliqué. Selon la théorie économique, si une entreprise est correctement gérée, elle devrait investir son bénéfice dans des projets rentables et rendre l’argent aux actionnaires quand elle ne trouve pas des projets rentables en nombre suffisant. L’idée serait donc de demander aux entreprises d’investir dans des projets non rentables. Les projets dans les entreprises peuvent être très variés : faire une campagne marketing, réorganiser un service, augmenter les salaires, développer un centre de Recherche et Développement, relocaliser une partie ou la totalité de la production en France, etc.
Un dividende n’enrichit pas un actionnaire, et le supprimer ne le fait pas particulièrement participer à l’effort de guerre. En revanche, une entreprise qui investit dans des projets non rentables voit sa valeur diminuer. Cette valeur appartenant à l’actionnaire. Il y a bien là un impact sur les actionnaires.
D’ailleurs, certaines entreprises et dirigeants le savent bien. Lors d’une prise de décision, les décideurs ne regardent pas nécessairement uniquement les critères financiers. On peut étudier les externalités positives. On peut aussi prendre des actions qui sont bonnes pour la société dans son ensemble et pas uniquement pour les actionnaires. Il suffit de lire la presse, les exemples sont nombreux, et aussi en temps de crise.
Il est bien plus utile de demander aux sociétés de faire des choses utiles pour la société de leur argent, que de les empêcher de verser des dividendes. Et ce d’autant plus qu'interdire les dividendes est un manque à gagner en impôt pour l’État et donc pour l’ensemble des Français.
Le dividende est un vrai sujet, car c’est la partie visible de l’iceberg. Il n’est donc pas absurde de communiquer sur ce sujet lorsque l’on est un homme politique ou même un chef d’entreprise. Cependant, ce n’est que le sommet de l’Iceberg. Le vrai sujet est ailleurs. Il est clairement dans l’affectation des bénéfices de manière plus générale.
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