Faut-il supprimer les intermittents du spectacle ?
Que se cache-t-il derrière le régime des intermittents du spectacle ?
C'est l'été, c'est la saison des festivals. C'est le moment de revoir les intermittents sur scène ou sur le pied de grève.
C'est l'instant où la politique spectacle croise le spectacle qui se veut politique : la ministre de la Culture Aurélie Filippetti à Avignon, mercredi 16 juillet, a fait recette. A défaut d'intermittents du spectacle qui avaient voté en faveur de la grève samedi 12 juillet, elle a cassé la baraque auprès des journalistes.
Et la voilà contrainte de visiter le "OFF" à défaut du "IN" quand quelques trente intermittents masqués ont le mauvais goût de s'époumoner en lui récitant l'une de ses déclarations de mi-juin : « l'Etat est prêt à aller très, très loin ». Et ils improvisent : « dehors, dehors les enfumeurs ». Quel sacrilège, digne de Dijon en mars 2013 et du "M. Hollande, elles sont où vos promesses ?". Mais au pays où la moutarde monte au nez, l'homme avait été immédiatement évacué manu militari et brusquement exfiltré par le service d'ordre présidentiel. Imaginez le tohu-bohu si tout un chacun s'en allait rappeler leurs promesses aux princes qui nous gouvernent ! On risquerait de retomber en démocratie.
Et quelle outrecuidance ! Refuser à une ministre l'entrée du IN, vitrine officielle et sélective d’un service public de la culture si typiquement français, avec ses subventions qui annihilent les risques financiers et favorisent les créations si adulées par l'intelligentsia et si déconcertante par le vulgus pecus. Ce n'est pas grave, celui-ci participe quand même puisque ce sont ses impots qui trinquent.
Et l'envoyer vers le OFF ! Vers ces saltimbanques qui recherchent à allier l'imagination, le talent et l'adhésion du public. C'est l'opposé de l'académisme, du bon goût décrété d'en haut et des enjeux de cour et de pouvoir.
En fait, que pèse le spectacle ?
D’après les chiffres de l’assurance-chômage pour l’année 2011, les intermittents cotisent pour 246 millions d’euros et reçoivent 1,27 milliard d’euros d’indemnités. Ils donnent 1€ et touchent 4€.
http://www.bastamag.net/ donne les chiffres du « PIB culturel » de la France... "En 2011, le « PIB culturel » de la France – spectacles vivants, musées, arts visuels, édition, presse, cinéma... – frôle les 58 milliards d’euros et génère 670 000 emplois directs, selon un rapport de l’Inspection générale des finances publié fin 2013. Une valeur ajoutée équivalente à celle de la filière agricole, et sept fois supérieur au poids de l’industrie automobile."
Mais quelle est la part des intermittents dans ce PIB culturel ? dans les musées ? Dans l'édition ? Dans la presse ? Dans le cinéma ? surtout quand ce sont des films étrangers ou tournés hors des frontières ...
La Cour des comptes évalue à 1 milliard d'euros par an le « déficit chronique » du régime des intermittents dans son rapport annuel de 2012 (1,263 milliard d'euros d'indemnisations versées moins les 232 millions d'euros de cotisations collectées en 2010) et constate que le régime représente un tiers (33 %) du déficit de l'assurance-chômage et ne bénéficie qu'à 3 % des demandeurs d'emploi.
Le député Gille, auteur d'un rapport parlementaire, et l'Unedic, association paritaire qui gère l'assurance-chômage avec un collège « salariés » et un collège « employeurs », ont une calculette plus humble : le régime général ferait 320 millions d'euros d'économie seulement. Selon eux, les intermittents, insérés dans le régime général, continueraient à rester aussi longtemps au chômage sans chercher du travail dans d'autres secteurs !
Comme leur salaire médian s'élève à 13 700 euros, contre une moyenne nationale (secteurs privé et semi-public) de 18 400 euros, le rapport parlementaire de 2013 propose d'augmenter le nombre de représentations des spectacles vivants labellisés par le ministère de la culture http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/06/10/si-vous-n-avez-rien-suivi-a-la-crise-des-intermittents_4434935_4355770.html Bref d'augmenter les subventions. Ce ne serait plus les cotisations des entreprises qui paieraient les intermittents mais les impots de tout un chacun, pour des spectacles non pas pour lesquels le public choisirait de débourser pour aller les voir, mais que des commissions consultatives d'experts décideraient de ce qui est bon pour le peuple, même si ce dernier ne se déplace pas.
En bref, le règlement bureaucratique étant défaillant, la bureaucratie décide de l'accroitre ! Et comme on peut parier que la situation ne résoudra pas le problème, une nouvelle couche bureaucratique viendra s'empiler sur les précédentes. C'est le mouvement perpétuel bien connu.
Une autre solution serait de regarder les sociétés de production audiovisuelle, qui profitent de l'aubaine pour ne pas embaucher en fixe et multiplient les CDD en laissant les inter-contrats à la charge des indemnités. Le secteur public vient à la rescousse d'une planification privée à trous.
Cette solution répondrait aux règles élémentaires de l'offre et de la demande, mais il ne faut pas demander aux chantres du libéralisme (députés, journalistes, …) de l'appliquer dans ce domaine. Pour ces gens en représentation permanente, le spectacle est un monde à part.
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/emmanuel-berretta/intermittents-du-spectacle-le-scandale-continue-27-04-2011-1323714_52.php a un autre point de vue :
Au théâtre, le producteur du spectacle ne paiera pas les répétitions ni la générale, ... payées sous la forme d'une allocation chômage à taux plein.
Au cinéma, combien de chefs décorateurs ont refait la cuisine du producteur en échange d'un emploi sur le tournage ? Payés par l'assurance-chômage
Sylvie M., 37 ans, ... "chargée de production" payée chaque mois sur vingt jours ... au chômage les dix autres jours. C'est la collectivité des travailleurs du privé qui lui offre ses week-ends et ses longues vacances d'été entre deux saisons.
Rester intermittent permet de dépasser les horaires du salarié et de gagner davantage.
Mais le conseil des prud'hommes de Paris peut requalifier les contrats en CDI, (cf pour Stéphane Guillon à France-Inter, il en a coûté 212 011,55 euros à Radio France, [donc à nous qui payons la redevance]).
Que des intermittents travaillent lors des répétitions sans être payés mais indemnisés comme s'ils chômaient, c'est du détournement de fonds public qui sert à diminuer le coût de production privé.
Que des intermittents travaillent dans les mêmes conditions pour des biens privés sans rapport avec le spectacle, si ce n'était du détournement de fonds public, ce serait de l'abus de bien social.
Quel est le pourcentage de ces malhonnêtetés ? Est-il important ou négligeable ? Qui a la réponse pour ces faits inavoués et non recensés ?
Cette gestion des intermittents du spectacle me fait penser aux informaticiens. A côté des CDI, un certain nombre va d'entreprises en entreprises, au gré des projets temporaires.
Depuis que la justice a condamné la succession de prestations et l'a considéré comme un CDI déguisé, les DSI, Directions des Services Informatiques, veillent à limiter dans le temps les missions de chaque prestataire, quitte à tricher en alternant régie et forfait qui sont deux régimes différents.
Certains informaticiens optent pour le portage salarial, ce qui leur permet d'être salarié d'une entreprise intermédiaire uniquement chargée de les payer, en étant donc assurés des avantages du salariat. Ils travaillent en réalité pour une autre entreprise le temps d'une mission qu'ils ont eux-mêmes dénichée. En général ce sont des CDD, mais quand la société de portage a conclu un CDI et que la mission arrive à terme, la rupture conventionnelle du contrat de travail permet de rompre le CDI par consentement mutuel entre employeur et salarié. Ce n'est ni un licenciement, ni une démission, mais un accord amiable qui ne peut être imposé (théoriquement) par l'une ou l'autre des parties, avec droit aux allocations chômage, avec indemnité de rupture supérieure à une indemnité légale de licenciement et sans préavis à accomplir.
Travail dans le spectacle et dans l'informatique ont pour point commun une succession d'employeurs et des périodes éventuelles sans contrat.
C'est la fin du travail du 20ème siècle où l'on passait toute sa vie dans une seule entreprise.
C'est en 1936 qu'a été créé le régime salarié intermittent à employeurs multiples pour les techniciens et cadres du cinéma. Mais c'est presque un siècle après que la majorité des travailleurs, du spectacle ou non, est appelée à avoir des employeurs multiples.
Et c'est maintenant que le régime des intermittents et des informaticiens devient un prototype juridique pour tous.
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