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Accueil du site > Tribune Libre > Guerre secrète : « les affaires humides »

Guerre secrète : « les affaires humides »

Le 13 février 2024, la Guardia civil est alertée de la présence d'un corps dans le garage souterrain d'un lotissement de illajoyosa, une station balnéaire de la Costa Blanca dans le sud est de l'Espagne fréquentée par de nombreux Bulgares, Ukrainiens et Russes. La victime a été abattue de six balles et les assassins lui ont roulé dessus avant de prendre la fuite et de bouter le feu au véhicule parvenu à El Campello. Les papiers découverts sur la victime sont ceux d'un ressortissant ukrainien. Une semaine plus tard les enquêteurs détenaient la preuve qu'il s'agissait du capitaine Maxim Kouzminov, un ancien pilote russe de 28 ans du 319e régiment d’hélicoptères qui avait déserté le 9 août 2023.

L'hélicoptère Mi-8 avait décollé de l’aérodrome de Koursk avec une cargaison de pièces de rechange pour Su-27, Su-30SM et Su-35 et trois membres d'équipage. Le pilote avait maintenu son appareil à basse altitude pour échapper aux radars russes et venir le poser proche de Kharkiv (Ukraine). L'officier avait pris attache avec les Ukrainiens six mois plus tôt (opération mesange). Le déserteur de déclarer devant les caméras : « Personne ne veut cette guerre. Moi, j’en ai déjà beaucoup bavé ». Le 19 février 2024 le porte-parole du GUR (SR ukrainien), Andriy Yusov, confirmait qu’il s’agissait de Maxim Kouzminov. Un doute plane sur les circonstances de la mort des lieutenants Nikita Kiryanov et Toursounov Khouchbakht. Ont-ils été abattus par Kouzminov qui a empoché 500 000 dollars pour sa forfaiture ? Le message est clair, si dans aucune armée on apprécie la trahison, les Russes se montrent les plus retors.

L’appareil soviétique s’est très tôt doté d’une section chargée d'éliminer les ennemis, les opposants et les traitres. Dans les années cinquante une douzaine de personnes allaient décéder de façon opportune. La vérité et les circonstances de leur décès maquillé en accident ou en suicide ne seront connues qu’en 1961. Un certain Bogdan Stachynsky, né en 1932 au sein d’une famille de partisans de l’indépendance ukrainienne est arrêté en 1950 pour voyager à bord d’un train reliant son école à son village et sans ticket. Le dossier de ce jeune précise que certains de ses proches sont des membres de Organisation des nationalistes ukrainiens et sur le point d’être interpellés. Le policier glisse au contrevenant qu’il pourrait empêcher ces arrestations, comment ? en travaillant pour les services d’État. La mission est simple, il lui suffit de rejoindre un groupe de l’OUN et de rapporter tout ce qu’il y apprendra.

Deux années plus tard, Stachynsky est envoyé à Kiev sous le pseudonyme d’Oleg pour y apprendre la langue allemande et se familiariser avec la culture germanique. En 1954, il reçoit une nouvelle identité, celle d’un Allemand né en Pologne, Josef Lehmann. Après en avoir étudié la biographie, il part vivre quelque temps dans diverses villes polonaises où le vrai Lehmann, qui a très probablement disparu, a séjourné. Au cours de l’été 1955, l'agent en préparation travaille comme ouvrier métallurgiste dans une usine à la seule fin de se faire délivrer un permis de travail à son nom d’emprunt, Josef Lehmann. Cette étape accomplie, il part s’installer à Francfort-sur-l’Oder, en zone d’occupation russe, où il se fait passer pour un interprète employé au service commercial et y rencontre Inge Pohl dans un dancing. Îl informe ses supérieurs de cette liaison comme cela est de règle dans tous les SR. L'enquête de sécurité est négative. La jeune femme, coiffeuse à Berlin-Ouest, est inconnue des services.

L’année suivante il commence à se déplacer beaucoup, il sert de courrier-messager. Il se rend à Munich pour y rencontrer un émigré ukrainien du nom de Nadytchyn. Ce dernier est un agent infiltré au sein de la rédaction d’Ukrainski Samostinik, un journal anticommuniste dirigé par des réfugiés ukrainiens. En 1957, « Lehmann » devient Siegfried Dräger né le 29 août 1930 à Potsdam. Sa première mission consiste à recueillir tous les renseignements possibles sur un certain Lev Rebet. « Dräger » commence par s’installer dans l’hôtel Grünwald, d’où il peut, de sa chambre, surveiller les bureaux du Ukrainski Samostinik où travaille Rebet. Les filatures ne tardent pas à établir que l’individu habite à l’Occamstrasse et qu’il lui arrive de se rendre dans les locaux d’une organisation au 8 Karlplatz.

Au mois de septembre un ordre enjoint à « Dräger » de rentrer à Karlshorst pour y être présenté à un émissaire venu spécialement de Moscou. Il s’agit de son nouvel instructeur individuel. Ce dernier a pour tâche de lui apprendre à utiliser une arme nouvelle capable de projeter un nuage de cyanure sur le visage de la cible, qui s’écroule immédiatement, victime en apparence d’une crise cardiaque. Le tireur se doit d’absorber préventivement un comprimé de thiosulfate de sodium et d’avaler le contenu d’une petite ampoule de nitrate de méthyle. L’essai de l’arme sur un petit chien s’étant révélé concluant, Bogdan, alias Dräger, embarque le 9 octobre à bord d’un appareil de la compagnie Air France assurant la liaison Berlin-Munich. Il a reçu pour ordre d’assassiner Rebet dans un certain immeuble de la Karlplatz et dans un dans un délai maximum de 10 jours.

« Dräger » pose ses valises à l’hôtel Stachus. Le 12 courant, il aperçoit Rebet descendre du tramway et rejoindre seul, et à pied, l’immeuble où il travaille. « Dräger » hâte alors le pas de façon à y devancer Rebet afin de l’attendre sur le palier du premier étage. L’entendant pénétrer dans le hall de l’immeuble, Dräger sort son arme qui ressemble à un long tube, en ôte la sécurité et descend l’escalier pour se porter à la rencontre de sa cible. Parvenu à la hauteur de sa cible, Dräger agit tel un robot et lui décharge le contenu de l’ampoule en plein visage. L’homme s’écroule sur les marches. Dräger poursuit sa descente, parvenu au bas de l’escalier il avale rapidement l’antidote et quitte l’immeuble pour se rendre directement vers un ruisseau, le Kogelmuhlback, et de s'y débarrasser de l’arme. De retour à l’hôtel, il paie sa note, part pour la gare centrale et embarque à bord du train à destination de Francfort-sur-le-Main, ville dans laquelle il va passer la nuit sous une nouvelle identité d’emprunt. Le lendemain il embarque sur un appareil de la compagnie Pan America Airways qui assure la desserte de Berlin. L’autopsie du corps de feu Rebet, qui a été découvert une trentaine de minutes après son assassinat, ne révéla rien d’anormal. La mort fut déclarée naturelle et consécutive à une obstruction de l’aorte coronaire...

Mai 1958, Stachynsky part pour Rotterdam afin d’assister aux cérémonies commémorant la mort du général Konovalec, le fondateur de l’OUN assassiné en 1938. De retour à la centrale, il établit son rapport, y notant tout ce qu’il a remarqué, sans oublier de joindre les photographies qu’il a prises, de dresser le croquis du cimetière et de mentionner l’emplacement de la sépulture en prévision d’y placer une bombe lors de la prochaine commémoration... Vers la fin de l’année, Stachynsky reçoit une nouvelle identité, Hans Joachim Budeit, né à Kassel le 12 avril 1927 et demeurant 69 Knappenweg à Dortmund. Il ne s’agit pas en l’occurrence de l’identité d’un citoyen décédé, mais bien vivant (principe de la doublette). Tous les habitants vivant à proximité de la zone frontalière doivent présenter leurs papiers aux autorités, qui, sous prétexte de les pré-inscrire pour faciliter leurs déplacements, en relèvent les détails afin de doter leurs agents et sous-agents de nouvelles identités. Les Soviétiques peuvent ainsi s’assurer que le détenteur légal n’a pas quitté la zone avant d’assigner son identité à un de leur agent !

En janvier, « Budeit » est envoyé à Munich pour surveiller Stepan Bandera surnommé le « Renard rusé », le chef de l’OUN. La surveillance établit que celui-ci est accompagné d’un garde du corps, une arme monocoup ne peut dès lors convenir. Les laboratoires vont mettre au point une arme à double canon pour la circonstance. L’agent exécuteur sera en mesure d’utiliser une ampoule, puis l’autre ou les deux simultanément. Le 9 mai, Stachynsky reçoit l’ordre d’exécuter Bandera, et son contact lui remet la nouvelle arme, deux doses d’antidote, un trousseau de clefs correspondant aux serrures de l’appartement et un lot de faux papiers. « Hans Budeit » dispose de dix jours pour accomplir sa mission. Revenu à Munich, il établit une « planque » devant l’immeuble de sa cible, situé 7 Kreittmayerstrasse. Au troisième jour de surveillance, il aperçoit Bandera au volant d’un véhicule bleu de marque Opel dans le garage qui jouxte la maison, il est seul. Pour une raison inconnue, Stachynsky décampe en direction du ruisseau Hofgarten où il décharge l’arme avant de s’en débarrasser en la jetant dans l’eau ! Le lendemain, il se rend au domicile de Bandera, introduit la clef dans la serrure où elle se brise, un morceau restant dans la serrure... Il rentre à Berlin-Est précipitamment faire son rapport. Quatre jours plus tard, on lui remet quatre nouvelles clefs et reçoit l’ordre de retourner à Munich les essayer.

Stachynsky a reçu une nouvelle mission, vérifier l’adresse d’un autre opposant en exil, l’ancien premier ministre du gouvernement ukrainien à la botte des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Stachynsky doit relever le type et la marque de la serrure de la porte palière. Le 14 octobre 1959 l’agent itinérant s’envole pour Munich où il descend à l’hôtel de Salzbourg. Bandera doit mourir ! Le lendemain, l’agent exécuteur qu’il est devenu établit son poste d’observation devant le 67 Zeppelinstrasse, adresse des bureaux de Bandera où son véhicule est déjà stationné, ce qui confirme en principe, sa présence sur place. À midi Bandera sort en compagnie d’une femme et le couple s’engouffre dans une Opel qui démarre. Stachynsky prend alors le tram afin d’attendre sa cible aux abords de son immeuble.

Il est 13 heures lorsque Stachynsky aperçoit la voiture qui arrive. Il répète les mêmes gestes préparatoires à l’utilisation de l’arme, pénètre dans le hall de l’immeuble et s’apprête à emprunter l’escalier lorsqu’il entend une femme dire « auf wiedersehen » (au revoir) et des pas descendre l’escalier ! Pour éviter toute rencontre inopportune, il n’a d’autre recours que celui de s’engouffrer dans la cabine de l’ascenseur. Parvenu au premier étage, il entend la porte de l’appartement s’ouvrir et, en descendant l’escalier, il voit Bandera qui s’apprête à pénétrer dans son appartement. C’est l’instant qu’il choisit pour lui décharger les deux canons de son arme en plein visage. Bandera s’écroule sur le pas de sa porte. Stachynsky prend l’antidote et se débarrasse de l’arme dans le même ruisseau que la fois précédente... Il jette ensuite les clefs dans un égout, rejoint l’hôtel pour y récupérer ses affaires, règle sa note, rejoint la gare et embarque dans le premier train à destination de Francfortsur-le-Main où il passera la nuit à hôtel Wiesbaden. Le lendemain, il s’envole pour Berlin à bord d’un appareil de la compagnie British European Airways et rejoind le secteur soviétique. L’autopsie de Bandera met en évidence des morceaux de verre incrustés sur le visage, le médecin légiste de conclure à la mort par empoisonnement !

Le 6 novembre 1959 Stachynsky est décoré de l’ordre du Drapeau rouge par Alexandre Shelepine. On lui annonce qu'il va suivre une nouvelle formation avant de rejoindre l'Angleterre ou les Etats-Unis. C'est à ce moment qu'il informe son supérieur de son intention de convoler. Pas question ! Un agent ne peut vivre qu'en compagnie d'une femme partageant l'idéologie socialiste. On lui propose de se faire accompagner d'une femme sûre. Il refuse. Le 23 avril 1960 Stachynsky épouse finalement Inge avec office religieux protestant à Berlin-Est. Les mois passent ; Ingel accouche. Le bébé confié à une voisine s'étrangle avec son biberon et meurt étouffé. Le 12 août 1961 Bogdan est autorisé à se rendre à Berlin-Est pour les funérailles. Le couple quitte en catimini le domicile des parents vers 4 heures fermement décider de passer à l'Ouest et de tout raconter. Une correction, une précision, une remarque ?

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2 réactions à cet article    


  • V_Parlier V_Parlier 14 mars 18:18

    "Un doute plane sur les circonstances de la mort des lieutenants Nikita Kiryanov et Toursounov Khouchbakht. Ont-ils été abattus par Kouzminov qui a empoché 500 000 dollars pour sa forfaiture ? Le message est clair, si dans aucune armée on apprécie la trahison, les Russes se montrent les plus retors." -> Dans le cas présent je trouve ça juste normal.


    • Durand Durand 17 mars 14:53

      « Une correction, une précision, une remarque ? »

      C’est Villajoyosa, province d’Alicante…

      Bien vu ! Il n’aura pas profité longtemps de ses dollars…

      ..

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