Hémiplégie du regard politique
Nous sommes dans une perception des groupes humains qui nous fait pratiquer une dichotomie entre le constat du problème, et le chemin vers sa solution... notamment dans des questions qui touchent au nouveau sens de la laïcité, les question qui touchent aux banlieues, à l’immigration... mais aussi les rapports homme-femme et la lutte contre la violence à l’école (il ne faut pas de mesure sélective pour certains établissements, cela les mettrait « à part »...)
D’autre part, le social nous paraît susceptible d’être l’objet de pensées, de discours, d’actions, de choix (moraux, politiques). Il est dans notre « champ de compétence humaine », si j’ose ce concept. L’action publique de l’État nous semble dépendre de la volonté et la volonté de l’analyse et des principes. Les problèmes sociaux sont solubles, nous semble-t-il, dans de bons principes généreux et si cette solution n’arrive pas, cela provient d’une mauvaise volonté qui crée de mauvaise analyse et applique sans le dire de mauvais principes, égoïstes. Nous nous représentons que ceux qui prennent les décisions dans les institutions politiques obtiennent ce qu’ils veulent et qu’on peut voir à ce qu’ils obtiennent ce qu’ils veulent vraiment.
L’ethnie n’appartient pas à ce régime de décisions ordonnées . L’ethnie est de l’ordre d’une entité de naissance, biologique. Elle est antérieure à tout. Si on est né comme ça... on n’y peut rien. C’est inadmissible.
La conséquence est qu’on n’en parle pas à la prévention. On a le droit d’en parler au négatif, a posteriori, à la plainte mais pas à la réparation. Sinon, le simple fait de les évoquer les stigmatise. En ce moment, stigmatiser est le verbe qui désigne l’acte le plus odieux de la politique, stigmatiser est honteux, se voir opposer que l’on stigmatise la pire des critiques. Stigmatiser, si c’est bien cela que l’on fait est pourtant un acte symbolique (de langage) pas une action en soi. On ne peut pas considérer un groupe « en-soi », comme on disait il y a quarante ans.
De ce fait, nous n’arrivons pas à penser nos problèmes sociétaux. Nous nous en empêchons nous-mêmes. Nous nous interdisons de penser la liaison entre les aspects permanents (de mentalité collective, d’existence de groupes, d’appartenance à un groupe) et les aspects conjoncturels de nos problèmes politiques. Ce qui nous interdit aussi le traitement simultané du positif et du négatif, de l’énoncé des problèmes dans leur totalité et d’un traitement faisant réellement face à un constat complet.
D’autre part, enfin, si nous devons tout verser dans le politico-social, dans la politique, c’est qu’il est perçue comme volonté politique. La volonté politique paraît sans contrainte. En politique, vouloir, c’est pouvoir. Les problèmes résultent donc des mauvaises volontés, voire de la volonté de refus du partage, et la solution découlera rapidement de la mise en œuvre d’une bonne volonté de partage et d’égalité.
Ainsi, nous refusons la création de statistiques ethniques. Cependant, tout le monde s’accorde à reconnaitre que des immigrés subissent une discrimination sociale du fait qu’ils sont d’ethnies non-européennes. Que l’origine ethnique soit la source du problème est affirmée (il s’agit de reconnaître une discrimination de fait) en même temps qu’il est interdit d’en parler, il est interdit de l’institutionnaliser, de faire entrer ce constat général dans les institutions commune de la res publica de la chose commune. Au delà de la reconnaissance quasi-unanime, il faut trouver un remède social, strictement social à cette discrimination. On casse un lien entre le problème et sa solution. Si des Français d’origine immigrée subissent des discriminations de ce fait, il faut les concevoir et les traiter comme des problèmes sociaux.
On pratique cette même hémiplégie du regard, du constat (je vois la souffrance, je reconnais le groupe ; je vise la remédiation de la souffrance, je ne veux plus voir le groupe, ce serait le stigmatiser), dans (presque) tous les problèmes...
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