IKEA, symbole de l’impuissance européenne face à un système fiscal en roue libre
IKEA, le champion de l’ameublement mondial, vient de se faire retoquer par le parti Europe-Ecologie Les Verts qui l’accuse, rapport à l’appui, d’optimisation fiscale. Une affaire de plus ?
L’Europe est-elle devenue le terrain de jeu fiscal des multinationales ? Depuis 2012 et les multiples révélations de scandales financiers, il est permis de se poser la question. Il est désormais connu de tous que les grandes entreprises ont appris à détourner des nuances fiscales entre les pays européens pour servir leurs propres intérêts.
Ces premiers scandales qui avaient pris de l’altitude avec la découverte des « double irlandais » et des « sandwich hollandais » (voir vidéo ) si chers aux autres Starbucks, Google, Amazon, Facebook, ont finalement atteint un point culminant avec la révélation des LuxLeaks et de ces accords fiscaux (« tax rulings ») passés par des cabinets d’audit pour le compte de nombreux clients internationaux.
Au plus haut niveau de l’Etat, l’optimisation fiscale des entreprises a été organisée et négociée sans le moindre remords. Depuis 2014, l’espoir semblait permis : grâce à un travail de fond, les députés en France et en Europe s’étaient s’être mis en mouvement pour faire adopter une mesure anti-évasion fiscale… jusqu’au revirement.
Des actions… sans conséquences ?
Sur le papier, M. Moscovici, actuel Commissaire européen aux Affaires économiques, a beau déclarer que « les jours sont comptés pour les entreprises qui réduisent abusivement leurs impôts sur le dos des autres », les faits sont têtus.
Jean-Claude Juncker, Commissaire européen, a été premier ministre du Luxembourg à l’époque des LuxLeaks. Certains témoins affirment même que ce dernier était parfaitement au courant des tax rulings. Comment dès lors s’imaginer que ce dernier pourrait mettre un terme à l’optimisation fiscale alors qu’il a été, sinon complice, tout du moins impuissant à l’arrêter ? Comment vraiment croire M. Moscovici quand on voit le surprenant revirement du gouvernement français à l’égard de la transparence fiscale, après deux ans de dur labeur ?
Même dans le phrasé, on assiste à une reculade : les pratiques qui étaient jusque-là taxées d’évasion fiscale, sont devenues de « l’optimisation », pour finalement se transformer sous la plume d’EELV en « stratégie de planification fiscale agressive ». Des mots différents, édulcorés, pour dénoncer une réalité qui s’abroge des décisions politiques et du courroux populaire : les grandes multinationales continuent, encore et toujours, de payer moins d’impôts.
Kit d’optimisation fiscale clef en main pour Ikéa
Revenons-en à Ikéa et à sa méthode magique pour se prémunir de l’appétit forcément insatiable des Etats (car qui a besoin d’impôts pour payer des routes, des hôpitaux, des services publics ?). L’entreprise suédoise s’est ainsi « structurée pour soustraire à l’impôt plus d’un milliard d’euros ces six dernières années au détriment de divers États européens ». Elle utilise pour ce faire une filiale basée aux Pays-Bas, qui joue un rôle de « conduit » et qui permet de transférer des fonds sans jamais être taxée. En 2014, les pertes fiscales s’évalueraient à 66,5 millions d’euros cumulés pour l’Allemagne, la France, la Belgique. Sans grande surprise, on apprend que l’entreprise Ikéa a « essentiellement utilisé des échappatoires fiscales qu’offrent les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg » selon le rapport des eurodéputés Verts commenté par Libération.
Pourquoi sans surprise ? Parce que ces méthodes sont connues. Commentées, et recommentées. Elles sont l’apanage d’Apple ou Google en Europe. En revanche, ce qui est le plus surprenant, c’est cette capacité à encore et toujours encenser les acteurs que l’on condamne par la suite.
Les performances économiques et la consommation hissées au rang de culte
C’est probablement l’aspect le plus grave et le plus pernicieux de ces scandales, la partie immergée de l’iceberg. Alors même que l’on condamne aujourd’hui Ikéa, le géant suédois sera encensé pour ses performances économiques au moment des résultats trimestriels.
Accrochés à leurs communiqués de presse, les journalistes les moins engagés ménagent la chèvre et le chou. Un jour on encense untel, l’autre jour on le condamne. Une valse de propos démagogiques se succèdent les commentaires dithyrambiques vantant les performances économiques de l’acteur qui hier était voué aux gémonies.
Des entreprises comme Ryanair incarnent parfaitement la schizophrénie qui touche les rédactions. Un jour condamnée pour ses pratiques sociales et fiscales, dont le mécanisme n’est par ailleurs pas si différent de celui d’Ikéa, elle est le lendemain encensée pour ses chiffres d’affaires rutilants et ses prix cassés.
De quoi jeter les foules dans les bras d’auteurs controversés comme Phillippe de Villiers qui déclare que le rêve européen n’a jamais existé et que « le projet véritable était d'abolir les nations pour installer en leur lieu et place un marché planétaire de masse qui viendrait un jour faire la jonction avec le marché américain ».
Quand on constate l’incapacité à agir de nos dirigeants européens, il est hélas difficile de lui donner tort.
6 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON