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Accueil du site > Tribune Libre > Intéressement ou dessein de dépassement ?

Intéressement ou dessein de dépassement ?

Un matin d’octobre 2007, sur fond de jeudi noir syndical, nous avons entendu à l’antenne de France Inter deux personnalités invitées à causer de la société française ; l’un Thierry Saussez est conseiller en communication des Princes (parmi lesquels le précédent président de la République et l’actuel président quand il était pressenti comme candidat) ; l’autre, Régis Debray, peut être présenté comme conseiller du peuple, ou plutôt, de ceux qui le lisent. De ces regards croisés, j’ai tout spécialement retenu deux thèmes. Saussez a déploré qu’il n’y ait pas assez de représentation syndicale en France, ce qui est dans la ligne de la pensée présidentielle mais aussi une préoccupation de la candidate Royal qui en pleine campagne évoquait un projet pour inciter les travailleurs à se syndiquer. Debray, cet intellectuel pénétré de foi sans croyance, trouvait quant à lui que ce qui fait défaut à la France, c’est une absence de référentiel transcendantal, d’aspiration au dépassement signifiée par une symbolique capable d’unir une nation. On aura reconnu là un thème très Troisième Rep, une saillie à la Renan.

 

 

Certes, ces considérations n’ont sans doute que peu d’importance eu égard aux problèmes économiques et géopolitiques qui se préparent mais cela n’empêche pas qu’on puisse réfléchir sur ces constats. La première idée venue à l’esprit, c’est le côté pragmatique de Saussez doublé de sa vision, disons, utilitariste. J’ai pensé sur-le-champ à une morale de l’intérêt et cette idée se confirme si on connaît le personnage dont l’un des conseils prodigués aux candidats et responsables politiques (ce monsieur conseille en effet des chef d’Etats africains) est de s’adresser aux catégories sociales en parlant de leurs intérêts. Ce qui est évident dans le principe mais suppose un certain art de la persuasion et de la rhétorique dans la réalisation sur le terrain médiatique. Intérêt, intéressement, autrement dit établir une relation définie entre le discoureur et les personnes dont l’essence en termes d’intéressement est déterminée. Chaque intérêt est spécifique, composite certes, mais différencié en général pour chaque classe sociale, professionnelle, géographique. Différence entre un rural (du moins ce qu’il en reste) et un urbain, un pêcheur professionnel et un médecin, un artisan ébéniste et un cadre chez EADS, un smicard et un riverain des beaux quartiers dans les hypercentres urbains. Quelque part, à chaque catégorie son discours, l’approche est celle du multiple.

 

 

Au contraire, le schème déployé par Debray est le Un, l’unité autour d’un ensemble de symboles, valeurs et sens du dépassement. On reconnaît bien là un avatar du religieux, décliné sous l’architectonique du Un et de l’ineffable. Ce dispositif, pour autant que ce terme soit approprié, ne relève pas du domaine de l’efficacité technique. La question de l’unité et du dépassement, du point de vue de l’engagement, ne produit pas les mêmes résultats que celui de la multiplicité de l’intéressement. Le dispositif de l’intérêt fournit des dividendes matériels à ceux qui ont investi, financièrement ou politiquement. On parle à dessein d’investiture d’un président. D’intéressement aux bénéfices dans le monde de l’entreprise. Voilà un langage des gens intéressés, auxquels s’adressent les discours électoraux suggéré par les conseillers en communication. Le schème du dépassement évoqué par Debray suppose un désintéressement. On est pas certain de toucher les dividendes si l’on accomplit une œuvre ou une action désintéressée, c’est même le contraire. Tout au plus, l’action désintéressée offrira quelque satisfaction d’ordre éthique dont on ne sait qui en est le régisseur. D’ailleurs, y a-t-il un régisseur ? Dieu sait si dans l’aventure des grandes causes il y a les cocus de l’Histoire comme on les appelle. Et nul ne sait, excepté Dieu, si les cocus de l’Histoire sont dédommagés par des voies surnaturelles. Seuls les initiés savent. Le désintéressement est une attitude éthique noble, élevée, pénétrée de mystère comme l’amour inconditionnel qui nous semble plutôt exotique, relevant d’un monde autre et d’ailleurs, les saints ne semblent pas appartenir à notre monde, ou du moins, ils sont dans deux mondes. Quant au monde ordinaire des gens, la règle matérielle prévaut. Au cas où ces lignes n’auraient pas été bien lues, il faut préciser que le désintéressement, comme le don qui selon Mauss est une posture constitutive de lien social. Le don suppose un acte qui n’a pas réciprocité obligatoire. Le dépassement et le sens de la transcendance supposent un acte dont les conséquences ne sont pas consignées par un contrat, ni d’ailleurs causales et déterminées dans leur forme et leurs conséquences. On agit avec une foi de charbonnier, sans attendre une récompense ni être certain du résultat. Bref, une foi dans l’impossible, consignée dans des symboles qui n’ont plus, et sans doute Debray le déplore, leur efficace. Comme d’ailleurs l’idée de deux mondes.

 

 

Voilà une conjecture signant la confrontation entre Saussez, partisan de l’intéressement et Debray, chantre du dépassement. S’il n’y a qu’un seul monde, alors autant jouer l’économie de l’intérêt, de la matérialité, de la technique et l’action. Le destin du dépassement n’a de sens que s’il y a deux mondes. Ce n’est pas un pari pascalien qui ne mange pas de pain, excepté celui pour nourrir ses neurones pensants. Le destin de dépassement peut aussi être frelaté et prendre la tournure d’une escroquerie, direction intégrismes, fondamentalismes, évangélismes, d’Occident en Orient. Le destin de dépassement n’est plus dans les idéologies, les livres, le théâtre intellectualisé, le cinéma édulcoré, les religions institués, il est dans l’existence, la foi des gens, une certaine forme de connaissance et d’instinct spirituel. Une foi portée vers l’invisible, l’inconnu, l’indéterminé, l’indéfini, l’impossible. Mais si les gens veulent du tangible, qu’ils suivent les règles du système. Et votent pour ceux qui s’intéressent à eux, enfin, disons à leur voix, en présentant en tête de gondole médiatique un programme pour l’avenir. Demandez le programme !

 

 

Pour résumer, Saussez pense en pragmatique et cherche des solutions aux problèmes sociaux, conseillant par ailleurs les politiciens pour qu’ils parlent aux gens en s’y intéressant, ce que sait bien faire Sarkozy. Debray au contraire, en vieux routard des causes perdues, ne croit pas qu’une société puisse avancer et perdurer sans quelque élément relevant de la foi et de la transcendance. De ce dilemme, la réponse sera apportée par chacun mais pour défendre l’une des deux causes, il est certain que le pragmatisme de l’intéressement se prête plus facilement à une exposition rhétorique tout en satisfaisant la demande la plus générale. Dans un monde de 1760 à construire, la volonté générale est un moindre mal. Dans le monde actuel à partager et gérer entre acteurs, travailleurs et actionnaires, l’intéressement général est le moindre mal. Cela va de soi. Dire qu’il n’y a eu aucun Rousseau pour théoriser ce nouveau contrat social de l’intéressement général ! Car tel est le schème devenu dominant dans la vie sociale et politique. Chacun balaie devant son dessein. Et le politique d’apporter quelques solutions générales s’additionnant aux solutions particulières. Quant au dessein de dépassement, il devient une affaire privée, personnelle et sectorielle plus que collective (dans le sens politique), même si Debray le déplore à tort et à raison car un tel dessein pousse l’humain à travailler le meilleur de lui-même, pour un bénéfice général, mais avec les (cocus) arnaqués par les profiteurs ; chassez l’intéressement, il revient au galop ! Les causes transcendantes sont souvent récupérées en dividendes par quelques factions douées en exploitation de la crédulité du genre humain. Alors à tout prendre, mieux vaut des politiques qui s’occupent des cancers et d’Alzheimer.

 

 


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9 réactions à cet article    


  • Marsupilami Marsupilami 26 octobre 2007 12:34

    @ Bernard

    J’ai entendu cette émission. Elle était assez surréaliste. Je me demande de plus en plus où en est Régis Debray. Il me fait penser à un mystique sans foi crucifié sur une absence de croix. Il a bien perçu l’absence de transcendance de notre société « pragmatique » et utilitariste, mais semble incapable d’imaginer ce que pourrait être cette transcendance si elle ressurgissait - et elle ressurgira, il n’en faut pas douter. C’est sans doute pour cette raison qu’il se passionne de plus en plus pour l’étude du fait religieux. Avec, je trouve, comme une espèce de nostalgie qui en appelle néanmoins à un dépassement, une métamorphose future. Etrange paradoxe. Mais faut dire que les actuels mythes collectifs sont vraiment au ras des pâquerettes (que se passera-t-il quand il n’y auras plus de pâquerettes ?). La transcendance, le mystère, la métaphysique n’ont plus de symboles et représentations qu’antiques. Notre plus grand défi sera d’en imaginer de nouveaux - ou d’être fécondés par de nouveaux imaginaires dont nous ne soupçonnons encore ni le fond, ni la forme, ni la façon dont ils pourraient être collectivement partagés...


    • moebius 26 octobre 2007 20:33

      ..il s’agitait donc de s’élever au dessus des paquerettes... de prendre de la hauteur...mais il y’a aussi du ras les paquerettes dans toutes métaphysiques et tout dépassement peut se réveler trés interessé. Aucune transcendance du don, le don c’est du surplus sans plus avec du moins que rien parfois, allez savoir...


      • ernst 26 octobre 2007 20:37

        Qu’est ce que vous me déconnez là, tous les deux, l’Initié et le radiophage ?!...

        Quand Lavandeyra, dit Debray, ( je reviens sur mon dégoût premier des recherches ADN )sortira de son imbroglio maçonnique, je crois mais je crois pas, crucifié sans la croix (en principe, il se casse la gueule, sauf miracle !...) quand vous cesserez d’inonder les pages de ce journal avec une publicité honteuse à l’honneur du Maître débile, on commencera peut-être à parler clair.Mais qui croyez vous éblouir ?...

        Oui, il faut des Syndicats, mais pas le genre proposé , les chevelus, les cul-pincés qui ne font QUE de la politique, cad la grève, la grève et encore la Gréve.

        Que l’on prenne exemple sur les syndicats allemands, danois, suédois qui sont des professionnels de la Gestion, lesquels prennent des accords qinquennaux et s’y tiennent.Mais en partenaires responsables, écoutés et suivis des deux côtés de la barrière.

        Et tous, des patrons aux ouvriers, nous cherchons à vivre mieux, avec plus de confort, davantage d’équité et de bonne conscience écologico économique. Cela est un discours unique qui s’applique à tous. pas besoin de chercher midi à quatorze heures avec votre charabia !...

        Et si vous cherchez les prédateurs qui ruinent la Bourse et la société française depuis 1987, les faiseurs de « cocus », cherchez plutôt dans vos rangs, Messieurs et BAF, dans votre propre famille au moment des canons, regardez vous tous en face.Sans rire.


        • moebius 26 octobre 2007 20:37

          ..il s’agitait donc de s’élever au dessus des paquerettes... de prendre de la hauteur...mais il y’a aussi du ras les paquerettes dans toutes métaphysiques et tout dépassement peut se réveler trés interessé. Aucune transcendance du don, le don c’est du surplus sans plus avec du moins que rien parfois, allez savoir...


          • moebius 26 octobre 2007 20:41

            ..bien encadré en tout cas, ça dépasse le plus souvent..


          • ernst 26 octobre 2007 22:23

            Je vous le dis, on ne les arrêtera pas, les agités de la pâquerette !...


            • La Taverne des Poètes 26 octobre 2007 23:33

              Tiens cela parle de Régis Debray : what a surprise !


              • casp casp 27 octobre 2007 08:00

                je ne suis pas d’accord le don et le desinteressement est non seulement « intéressant » dans le cas de « deux mondes » comme vous dites même si cette expression est plus que réductrice. Mais est aussi tout a fait utile dans une société purement matérialiste. Le cercle vertueux entrainé par le desinteressement permet d’accomplir des taches inhumaine dans un monde intéressé. la vie est fractale et chaotique ; nous pouvons la faire pencher dans un sens ou dans l’autre ; une société desinteressé est à mon avis l’achevement de la société humaine. Seul l’amour entraine l’amour.

                la question n’est donc pas de savoir la réalité d’un monde spirituel ; mais juste de constater par l’observation les lois du chaos et de l’unnivers ; Que seul le désinteressement permettra de mettre en place notre aspiration à un monde juste ; le désinteressement totale ; Désinteressement allant même jusqu’à ne plus avoir cette aspiration. Pour se contenter d’être soit même une part de la vérité sans plus rien rechercher.


                • alberto alberto 27 octobre 2007 11:31

                  M. Dugué, l’Intérêt général, je veux dire celui de la Communauté, ne serait-il pas proportionnel au désintéressement particulier de chacun de ses membres ?

                  Bien à vous.

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