« Jeunes » et communautarisme : quel constat ?
En France, il ne se passe bientôt plus une semaine sans émeute. Toutes les raisons sont bonnes : un règlement de comptes entre bandes, une arrestation qui vient troubler le business, une manifestation de syndicats à laquelle on se mêle, une kippa, des lycéens un peu trop stylés skaters (comprendre : céfrans, babtous) qui font la fête sont autant de provocations insoutenables pour certains « jeunes » issus des quartiers dits sensibles.
Mais attention à la sémantique, ce ne sont pas des émeutes, il s’agit plutôt du seul moyen qu’ils ont d’exprimer leur misère sociale. La dernière expression de misère sociale en date, le tabassage de quelques lycéens fêtant la fin des épreuves du bac et la destruction de vitrines comme le veut la tradition, s’est passée dans la plus grande douceur : les médias relatent, et les Français, habitués et désabusés, savent que dans l’après-midi les casseurs seront libres et que tout ça n’ira pas plus loin. Le 14 juin une émeute a fait suite à un règlement de compte sur fond de cannabis dans une petite ville de province bien loin du neuf-trois dont, à part ses 17 000 habitants, personne ne soupçonnait l’existence, hier un jeune homme s’est fait tabasser sur fond de conflit intercommunautaire (d’après les habitants du 19e, les juifs se voient qualifiés de « sales gaulois, sales feujs »), et enfin les violences survenues sur le Champ-de-Mars ont rappelé à nos esprits les manifestations anti-CPE et les milices ethniques qu’elles avaient attirées.
Moi je suis né au milieu des années 80, habitant jusqu’au début de cette année dans un « ghetto multiculturel » comme le dit la fabuleuse antiphrase. Mon âge fait de moi un jeune, mais je ne suis pas un « jeune » au sens PS-Canal+ du terme. Pourtant, à chaque règlement de compte, à chaque vitrine brisée, à chaque agression gratuite, le monde des médias, la bave aux lèvres, s’empresse de stigmatiser toute une partie de la population, en qualifiant ceux qui sont des voyous de « jeunes ». Il s’agit en fait d’une habile utilisation de la langue de Molière dont le but est de ne pas heurter les consciences, de ne pas choquer les bonnes gens et de ne pas réveiller le courroux des associations de la pensée juste pour un ordre juste dont la rhétorique aride et stérile ramène systématiquement à la même sémantique simpliste : « Vichy », « Pétain », « années 30 »… Si bien qu’à chaque nouvelle parution du Petit Larousse illustré, je me demande si une mention « syn. racaille, voyou » a été ajoutée à la définition de « jeune ». Or, l’agression du jeune Rudy, faisant suite à une bataille rangée en représailles à une bataille rangée elle-même en représailles au vol d’un signe religieux que portait un jeune juif, a rappelé à la France que les agressions racistes en France sont d’abord le fait de bandes afro-maghrébines. Le Figaro a brisé la glace dans un article du 24 juin. En quoi est-ce important de préciser les origines ethniques ?
Préciser les origines ethniques peut paraître inutile puisque nous sommes tous égaux face à la République. Pourtant la France de 2008 est secouée par des tensions importées, des problèmes que ne sont pas les siens, mais qui sont dus au fait qu’un nombre trop important de jeunes Français ne se sentent pas Français, et placent leurs origines en tête de toutes leurs priorités. Le communautarisme et tout le racisme qui en découle est ainsi souvent le fait de jeunes gens nés en France, élevés dans le système éducatif français, mais chez qui « la race » est primordiale. Personne ne s’est inquiété de voir fleurir les drapeaux algériens sur les survêtements ou les scooters depuis la fin des années 90, c’était pourtant un signe avant-coureur clair.
Certains diront que tous ces exemples sont des actes isolés, mais loin des morceaux choisis de la presse et des reportages à sensations fortes de TF1, la vérité de ce pays est celle que nous vivons au quotidien. Le 27 mai dernier, le président Sarkozy s’adressait depuis Rungis à « la France qui ne casse pas les abribus », provoquant la colère et l’indignation chez certaines personnes qui ne vivent manifestement pas sur la même planète France que les autres : l’un d’entre eux a eu l’affront d’affirmer qu’il avait téléphoné à JC Decaux et qu’il lui avait été certifié qu’aucun abribus n’avait été détruit depuis les émeutes de 2005 ! Il s’agirait donc de croire qu’en France, en trois ans, pas un abribus n’a été vandalisé. Aucun besoin d’appeler JC Decaux pour avoir la mesure de l’énormité de ce mensonge odieux, il suffit de sortir la tête de chez soi. Abribus cassés, poubelles brûlées, vitres gravées sont autant de formes d’expression sociale quotidienne si banales que plus personne n’aurait l’idée de s’en offusquer. Dans quel monde imaginaire enchanté vivent ces gens qui ne voient pas les noms de cités et autres insultes gravés sur les vitres du métro, les dossiers de fauteuils brûlés dans les bus, les croix gammées dans les halls d’escaliers maculés d’urine ? Dans quel ghetto de riche de l’arrière-pays niçois faut-il vivre pour ne jamais avoir vu, vécu ou entendu ces « incivilités » ? Coups de couteau au hasard à Lyon lors de la fête de la musique l’année dernière, émeute cette année à Toulouse, dans quel monde parallèle faut-il vivre pour ne pas en avoir au moins entendu parler ? Ici point de communautarisme dira-t-on, juste la colère sociale d’une communauté qui se sent rejetée. Pourtant un sentiment de « vengeance » contre la France qui aurait « humilié » leurs parents et qui devrait se « payer » ressurgit dans les discours, les insultes et le rap haineux. Le côté ludique est quant à lui exacerbé par un double sentiment : l’impunité au vu des dizaines de 2e chances qui sont généreusement accordées, et le rien-à-perdre du fait que beaucoup ne croient plus en l’avenir depuis bien longtemps.
Il est vrai que la situation économico-sociale de la communauté maghrébine n’est pas à envier et que les perspectives de s’en sortir sont d’autant plus maigres que ceux qui essaient de travailler à l’école se font en général insulter et harceler. Mais est-ce une raison pour pardonner la délinquance systématiquement ? Parmi les défenseurs du droit de casser pour s’exprimer, il y a ceux qui y croient dur comme fer et qui sont prêts à prendre les armes avec el lider facteur de Neuilly pour guillotiner tous ceux qui gagnent plus que le Smic, ces assoiffeurs racistes et leurs luxueuses Clio diesel bling-bling, véritables provocations pour le prolétariat. Mais il y a également ceux pour qui cela part d’une bonne intention : reconnaissant la responsabilité de la politique d’immigration, d’intégration et la politique sociale de la France, ils souhaiteraient protéger ceux qui n’ont d’autre choix que de finir en capuche à lancer des cocktails Molotov sur les forces de l’ordre. Seulement le hic, c’est qu’il y a beaucoup d’autres choix. Etre né au milieu des années 80, c’est faire partie de cette jeunesse française dont 25 à 30 %, selon les estimations, est née de parents étrangers, en majorité maghrébins, et c’est donc être allé à l’école, au collège, au lycée, en colonie de vacances et à la MJC avec eux. Avoir grandi dans les années 90, c’est avoir vu certains de ses amis d’origine maghrébine suivre une scolarité normale pour parler un français correct et se comporter comme des personnes éduquées, et d’autres sombrer dans la facilité des jérémiades justificatives de toutes leurs violences et échecs. Même quartier, même école, même origine, quelquefois même famille, mais des chemins tellement différents. Contrairement à ce que qu’essaie de nous faire croire la bien-pensance et ses convictions tellement éloignées de la réalité du terrain, avoir des parents originaires du Maghreb n’est pas une malédiction condamnant à la délinquance et à la prison. En voulant dénoncer la violence sociale subie par les populations immigrées et le sentiment d’éviction de la société qu’a une partie de la jeunesse d’origine africaine et nord-africaine, cette pensée stigmatise et condamne tous ceux qui réussissent à n’être considérés que comme des « jeunes », c’est-à-dire en langue moderne, des racailles. On se retrouve donc dans une situation invraisemblable où les agresseurs sont sans cesse victimisés et par là même pardonnés, et où les véritables victimes sont au mieux passées sous silence, sinon assimilées aux casseurs. Dans un quartier de 20 000 habitants comme le Neuhof à Strasbourg il y aurait donc 20 000 délinquants ?
Ce raccourci est évidemment une aberration pour quiconque a un minimum de bon sens, de gauche comme de droite. Pourtant, treize ans après les violences qui avaient émaillé un certain nombre de quartiers de France et Navarre au milieu des années 90, les casseurs sont encore et toujours excusés, « compris » et victimisés au mépris le plus total des véritables victimes. On en arrive à une situation où, pour ne pas se faire taxer de racisme, on considère que toutes les justifications sont bonnes quand la délinquance et la violence sont le fait d’individus d’origine africaine ou nord-africaine : on accuse notamment les immeubles qui seraient trop hauts (quid des Olympiades dans le 13e arrondissement de la capitale qui est un quartier sûr ?) et les quartiers trop enclavés (quid des 19e et 20e arrondissements parisiens, de la Guillotière à Lyon ou de Belsunce à Marseille qui sont en plein centre ?) Tout ceci au mépris des jeunes et moins jeunes Français, avec ou sans origines étrangères, qui se donnent les moyens de réussir et qui ont à essuyer sans cesse les mêmes amalgames depuis plus de vingt ans. Ainsi, à force de tourner autour du pot, une politique du deux poids deux mesures s’est également imposée progressivement : quand des milices de néo-nazis tabassent quelqu’un qu’elles jugent trop bronzé on parle justement de racisme, mais quand une milice de nazillons en jogging tabassent quelqu’un jugé trop fromage on parle de violences.
C’est encore cette même pensée qui accuse Nicolas Sarkozy de monter les Français les uns contre les autres. Si force est de constater que les promesses électorales de Plan Marshall sont restées de l’ordre du fantasme, il est légitime de se demander dans quel monde vivent ces accusateurs. Les « jeunes » ont-ils attendu Sarkozy le président ou Sarkozy le ministre de l’Intérieur pour se détester ? Quand on vit dans un quartier multi-ethnique, on voit la façon dont les communautés se côtoient. Certains jeunes, plus préoccupés par leurs origines, que par leur carte d’identité tricolore, s’insultent et se battent sur des critères géographico-culturels. Généralement, ces mêmes « jeunes » tombent cependant d’accord sur deux choses : les céfrans et les feujs sont deux espèces à éliminer de toute urgence, tout comme les « traîtres », ces Français d’origine maghrébine qui se font passer à tabac parce qu’ils sont intégrés et se comportent « comme des babtous ».
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