Juillet 1944, Assemblée consultative d’Alger : le parti communiste se rallie officiellement au général Charles de Gaulle…
Comme je l’ai écrit à de multiples reprises depuis 1994, Jean Moulin est mort pour avoir obligé Charles de Gaulle à faire figurer l’adverbe « souverainement » dans les Instructions du 21 février 1943 qui organisaient la mise en place de ce que l’Histoire connaît désormais sous le nom de Conseil National de la Résistance.

Quand, le 21 juillet 1944, un an après la mort du créateur et premier président de cet organisme souverain, Etienne Fajon utilise ce même adverbe dans un discours qui engage très officiellement le parti communiste devant le pays à travers l’Assemblée consultative rassemblée à Alger, il sait qu’il ne doit être appliqué qu’au C. N. R., dans l’attente des élections générales qui auront lieu dès que le dernier des combattants allemands aura été chassé du territoire national.
Mais, déjà le parti avait vendu ce que l’on pourrait appeler son « droit d’aînesse » contre ce qui apparaît aujourd’hui comme une des forces dont dispose encore le peuple travailleur français… En 1944-1947, au lieu de la révolution prolétarienne, il y a eu, en France, la fonction publique et ce qui l’accompagne, c’est-à-dire l’ensemble des sécurités qui entourent les revenus des plus modestes, sécurités dont Alexandre Mirlicourtois nous a offert une liste particulièrement conséquente.
Notons-le immédiatement : dès le mois de mai de 1947, le parti communiste a été chassé d’un gouvernement où il ne reviendra qu’en 1981… alors que les votes d’après la Libération l’auront régulièrement fait figurer comme premier parti de France… avec à peu près régulièrement 25% des voix…
Mais la fonction publique et son cortège y sont toujours en ce vingt-et-unième siècle déjà bien engagé…
Aujourd’hui, certes, plus personne en France ne sait – ni ne veut savoir – ce qui a opposé Jean Moulin à Charles de Gaulle jusqu’à faire du premier une cible qu’il ne s’agissait surtout pas de manquer : il aura été président de l’organe souverain pendant vingt-cinq jours, pas un de plus (27 mai 1943 – 21 juin 1943). Après sa mort, De Gaulle, que cette souveraineté avait réduit momentanément au rôle de second couteau a pu, tout à coup, repasser au premier plan, et vogue la France impérialiste…
Si le parti communiste pouvait tout ignorer de la réalité même du personnage alors incarné par Jean Moulin sur la scène internationale (et grâce à Pierre Cot, alors réfugié aux Etats-Unis), il n’ignorait pas la présence de l’adverbe « souverainement » dans les statuts du C.N.R. C’est ce que démontre le numéro 240 (15 août 1943) de L’Humanité clandestine…
Au beau milieu de la première page, on trouve un texte intitulé : « Le « Conseil National de la Résistance » lance un APPEL À LA NATION ». Le corps même de l’article proclame ceci :
« Expression complète et unique de la résistance, le Conseil de la résistance revendique sur tout le territoire les droits et les responsabilités de gérant et d’organe provisoire de la souveraineté nationale. »
Une analyse un peu fine ne tarderait toutefois pas à montrer en quoi cette « souveraineté-là » est plutôt flottante par rapport à celle que nous devons à la fermeté de la ligne politique dont s’est toujours inspiré Jean Moulin – au contact, lui, des réalités internationales -, mais le pire est ailleurs…
Le pire est dans ce qui se trouve au fronton de ce numéro de L’Humanité du 15 août 1943 (38 jours après la mort de Jean Moulin)… À gauche, sous le nom du journal, nous constatons qu’aucune erreur n’est possible… Nous sommes bien en présence de l’ « ORGANE CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS ». Quant à ce qu’il y a, à droite et tout en haut, c’est justement ce contre quoi Jean Moulin s’était dressé dès sa première venue à Londres à l’automne de 1941 et ceci, en présence du colonel britannique Sutton qui avait aussitôt pris bonne note :
« L’informateur croit profondément que la propagande en faveur de De Gaulle symbole de la résistance, et plus encore, la propagande strictement gaulliste ne sont pas nécessaires. Ce qui est urgent, c’est de se mettre à constituer des noyaux de groupes paramilitaires, partout où c’est possible. » (Daniel Cordier, Jean Moulin – L’inconnu du Panthéon, tome III, Jean-Claude Lattès 1993, page 1260)
Voici sous quel saint patron L’Humanité clandestine se sera placée dès le mois d’août 1943 :
« « L’Insurrection Nationale est inséparable de la Libération Nationale » Général de Gaulle. »
C’est donc lui qui pourra désormais dicter sa loi au parti communiste… sans que celui-ci ait à s’en plaindre…
Et c’est effectivement ce que va exprimer Etienne Fajon le 21 juillet 1944 devant l’Assemblée consultative d’Alger, non sans avoir renvoyé, dès le début de son intervention, au discours prononcé par De Gaulle une semaine plus tôt… le 14 juillet… La « Voix de son maître », comme si Lénine s’était placé immédiatement sous la direction de Kérenski en 1917…
Entrons maintenant dans les détails de la façon communiste de promouvoir l’analyse dialectique…
« En ce qui concerne les trusts, le Comité central du Parti communiste, dans un manifeste édité et distribué en France à un million d’exemplaires, s’est prononcé pour leur suppression définitive. » (L’Humanité, etc., page 4)
« Suppression »… évidemment par décret pris par Charles de Gaulle… sans que les travailleurs et les travailleuses y aient mis la main… Pêle-mêle, nous aurons ensuite les hauts cris qui concernent : « l’organisation par les trusts de l’impréparation à la guerre » ; « à cause du sabotage des hitlériens maîtres des trusts » ; « les trusts ont conduit la France au désastre de 1940 » ; « La trahison des trusts a donc été patente » ; « les trusts doivent être supprimés » ; « la suppression des trusts recueille aujourd’hui le suffrage de l’immense majorité des Français » ; « mesures énergiques préalables, telles que la suppression des trusts » ; « Il ne peut donc s’agir d’apprivoiser les trusts, mais seulement de les détruire. » (Idem, pages 4 à 8)
Donc, les trusts, apparemment, c’est fini… Ceci sous la bannière d’un De Gaulle, c’est déjà très fort… Mais s’il s’agit – en en faisant le personnage véritablement tutélaire du pays – d’abandonner la « souveraineté » à De Gaulle au détriment du Conseil National de la Résistance, que dire de ce qui s’annonce ici ?
« En un mot, qu’on n’ait pas d’inquiétude sur l’attitude des travailleurs français à l’égard de la production dans les prochaines années. Ils donneront plus qu’on ne leur demandera, à la seule condition de travailler pour la nation, et non pour enrichir les traîtres, à la seule condition d’obtenir, selon la formule du général de Gaulle, dans son discours du 1er mai 1943 : « d’abord un sort digne et sûr, ensuite la place qui leur revient dans la gestion des grands intérêts communs ». » (Idem, page 10)
N’était-ce pas tout simplement un bon de sortie pour ces travailleurs trompés sur le sens profond de la démarche du parti communiste ?
Mais remettons-en une petite couche : « cet essor est assuré si les trusts disparaissaient » ; « Ce sont les trusts des machines agricoles, des engrais, de l’électricité, des semences, qui exploitaient les paysans français ». (Idem, page 10)
Quant au basculement du parti tout entier hors du prolétariat, en voici l’annonce irréfutable de la bouche même d’Etienne Fajon :
« Ce sont les traîtres, les profiteurs de la défaite qui doivent, à nos yeux, faire les frais essentiels de l’équilibre budgétaire, de la solidité du franc, de la stabilité des revenus du travail et des classes moyennes. » (Idem, page 11)
Des « classes moyennes », et non pas de la « classe ouvrière » et de la « paysannerie pauvre »…
Quant à ce qui peut tenir lieu de péroraison… rien que « La voix de son maître »…
« Relisez les discours du général de Gaulle, notamment son appréciation du 23 juin 1942 sur « le système de coalition des intérêts particuliers qui a joué contre l’intérêt national » ! Relisez le numéro de septembre 1943 des Cahiers français où un homme, fort éloigné sans doute des communistes, note que « la trahison n’est pas une simple addition de défaillances individuelles, mais l’œuvre d’un parti ou même d’une véritable classe sociale : la ploutocratie ». La formule du chef du Gouvernement et celle de l’écrivain de la Résistance tracent la voie qu’il faut suivre en matière économique comme ailleurs : contre les « coalitions d’intérêts », en s’appuyant sur le peuple. » (Idem, page 15)
Ce jour-là, 21 juillet 1944, l’armée allemande s’abattait sur le massif du Vercors… Pourquoi ce maquis avait-il été mobilisé dès le 9 juin précédent (3 jours après le débarquement en Normandie) ? Alors que, lorsque Jean Moulin avait décidé sa mise en oeuvre et développé la chaîne de commandement avec les Britanniques lors de sa seconde venue à Londres, le général Delestraint et lui-même avaient bien insisté sur le fait qu’il n’y aurait d’activation de ce site qu’après un éventuel débarquement sur les côtes de Provence ?…
Débarquement dont chacune et chacun sait qu’il ne s’est finalement produit que le 15 août… après les centaines de victimes du site de Vassieux-en-Vercors ?…
De Gaulle ?… Ce mystère n’en est plus un. Mais tout le monde s’en fout, les communistes y compris.
NB. Cet article est le quatre-vingt-dixième d'une série...
« L’Allemagne victorieuse de la Seconde Guerre mondiale ? »
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