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Accueil du site > Tribune Libre > Jules Jeanneney et Édouard Herriot devant toute la vaisselle (...)

Jules Jeanneney et Édouard Herriot devant toute la vaisselle brisée

Les deux finasseurs de la veille, président du Sénat et président de la Chambre des députés, qui ont si bien manœuvré pour chasser les députés communistes et en faire emprisonner la plupart, se retrouvent en tête-à-tête au surlendemain de la bousculade du 10 juillet 1940 qui les a sortis, en moins de deux, du système de pouvoir.

L’inconsolable Jules nous raconte tout cela dans son Journal, avec toujours quelques vilains points de suspension :
« 12 juillet 1940. 17 h 30. Chez Herriot, avenue Thermale. Il est démonté et geint, la tête dans les mains et les yeux clos : "Ce n’est plus tenable… On me le fait bien voir… On recommencera demain. Je ne puis pas… Les actes constitutionnels parus ce matin, vous les avez bien lus ? Le Maréchal qui se décerne à lui-même le pouvoir… tous les pouvoirs ! Les Chambres qui ne peuvent plus s’assembler que par ordre… qui ne subsistent plus que par charité et pour leur humiliation. Non ! je ne puis admettre cela, ni paraître le couvrir. Je suis tout à fait résolu à m’en aller". » (page 104)

Naïf, l’Herriot ? En tout cas, le Jeanneney lui avoue qu’on l’avait, lui Jules, parfaitement affranchi :
« Je ne comprends pas… pas du tout ! Qu’y a-t-il de nouveau depuis mercredi ? Les actes constitutionnels parus ce matin ? Je les réprouve autant que vous. Mais dites-le vous bien, la loi votée par l’Assemblée les autorisait. C’est indéniable. Le moyen d’empêcher cela eut été de voter contre le projet, vous vous y êtes refusé. Alors ? Est-ce pour réparer cette erreur, que vous démissionneriez à présent ? Ce serait en commettre une seconde et même aggraver la première. Votre geste serait interprété pour celui d’un homme instable et un mouvement d’humeur. Il n’apportera aucune force à la minorité d’hier. Par contre il ravira Laval et Cie, qui y verront un succès de plus et pourraient bien être tentés de l’exploiter : un Fernand Bouisson remonterait volontiers au fauteuil. Hier, il s’y est fait des titres auprès de certains. Ah non ! Écartez cela de grâce ! » (page 104)

On sent bien que Jules n’a guère apprécié d’avoir dû basculer de son trône… Une revanche ? Une vengeance en bonne et due forme ? Que, surtout, Herriot ne lâche pas :
« Et puis, avez-vous songé au cas où votre démission me mettrait ? Je vous ai dit à Bordeaux et vous ai répété depuis lors que le jour où l’on entendrait nous imposer des choses inadmissibles, j’aurais allégresse à quitter le fauteuil. Si c’était une forme efficace de protestation, nous n’aurions garde de la laisser échapper. Mais quel profit y aurait-il à ce que je m’en aille ? À passer la main à un Valadier ! Ou à faire la place à Léon Bérard  ? Ce serait bien ?... » (page 105)

Donc, jusqu’à présent, il n’y aurait pas encore eu de "choses inadmissibles". Il n’y a tout simplement plus de pouvoir législatif : tout va donc très bien. Ainsi, le vin étant tiré, buvons-le jusqu’à la lie…, s’enchante ce brave Jules, qui n’en démordra pas. Et d’ailleurs, voici les deux harpies sur le point de s’empoigner sur la question de savoir à qui la faute dont il s’agit de se rassasier :
« [Jules :] Vous me faites regretter d’avoir voulu ne point me séparer de vous. [Édouard :] Je ne vous impose rien. Vous êtes libre de demeurer président. [Jules :] J’étais libre aussi, avant-hier, de voter bleu [de dire non à Pétain]. Je ne l’ai pas fait : ce fut uniquement pour ne point marquer de désaccord entre nous. Vous m’auriez dit à ce moment : "Votons bleu et allons-nous en", j’aurais dit oui, d’enthousiasme. Après avoir refusé mercredi de réprouver le projet Laval vous voulez le condamner aujourd’hui. Nous avions été solidaires. Cela ne vous importe plus. Soit ! Le souvenir me restera des trois semaines pendant lesquelles nous aurons été si pleinement d’accord. » (page 105)

C’est beau, l’amitié, n’est-ce pas ? Et le lendemain…
« 13 juillet 1940. 9 h. Herriot, qui s’est fait annoncer, vient. Je le trouve au salon. Les yeux à terre, gravement, il me dit en propres termes : "Je me soumets à votre jugement et à votre droiture". »

Droiture… dans l’avilissement…

Voyons la suite…
« [Jules :] J’y ai de nouveau bien réfléchi cette nuit. Mes raisons en ont pris plus de force encore. [Édouard :] C’est entendu. Je me soumets. [Jules :] C’est une grande joie pour moi que nous nous retrouvions pleinement d’accord. Qu’une mésentente de cette sorte ne puisse se renouveler jamais. Je dis la peine que la façon dont nous nous sommes quittés hier m’avait causée. Il en voit mon émotion. Je lui demande d’excuser les mots trop vifs que j’ai pu avoir. Nous nous donnons l’accolade. » (page 106)

Jusqu’à la Libération, les deux Assemblées garderont ainsi un religieux silence… Et puis Jules Jeanneney viendrait gentiment susurrer à un Charles de Gaulle tout ce qu’il faut savoir pour circonvenir une… Assemblée Constituante. Un expert.


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