Karzaï, le Parrain de l’Afghanistan (19) : les confirmations compromettantes de Wikileaks
Dans le flot des « révélations » de Wikileaks, que j’aurais plutôt envie de présenter comme des « confirmations » pour ceux qui observent en détail la géopolitique depuis plusieurs années, un bon nombre de « câbles » d’ambassadeurs ont alerté les USA sur l’état de grande faiblesse dans lequel se trouve l’Afghnanistan, en raison notamment de son gouvernement d’incapables qui a détourné à son seul profit l’essentiel de l’aide humanitaire ou de reconstruction qu’à reçus le pays. Il en reste quelques unes, cependant, d’informations émanant de Wikileaks. Elles enfoncent encore davantage Hamid Karzaï et sa clique. C’est ce qui ressort de leur lecture, en effet.
Et ce n'est pas le seul cas d'espèce, car parfois c'est à l'initiative seule du président : "Le cas le plus retentissant de ces dernières années est celui de Dastagir, responsable de la milice dans la province de Badghis, remis en liberté en 2007 sur ordre d'Hamid Karzaï lorsque des dignitaires de la région ont assuré qu'il était décidé à déposer les armes. L'homme, abattu en 2009, est jugé personnellement responsable de la mort de 32 policiers afghans". Il avait été abattu par un drône, lui aussi, à Darya-ye-Morghab, en février 2009 après avoir commis en novembre 2008 une attaque meurtrière sur un convoi qui s'était soldée par 13 morts. Il avait été libéré après être resté quatre mois emprisonné et juré devant Karzaï de ne pas reprendre les armes. Et on ose parler "d'autorité" gouvernementale à l'égard du maître de Kaboul qui ne dirige en fait rien du tout ? Il n'en a aucune, d'autorité, dans le pays !
Relâcher les assassins de sa propre police, voilà ce que fait donc Karzaï, au yeux de tous : comment voulez-vous à partir de là convaincre les afghans de s'enrôler dans cette même police qui tourne au désastre malgré les millions de dollars injectés dedans et disparus dans les caisses des formateurs, tous des groupes de mercenaires grassement payés. Non, ça ne peut pas marcher, et ce n'est pas une politique que ce népotisme sans nom !
Un népotisme et une évasion fiscale évidente : enfin, comment utiliser le mot fiscalité dans un pays sans collecte d'impôts véritables et où les taxes ne possèdent comme échelle de valeurs la seule tête du client en face ? Au pays du bakchich-roi, on prend l'avion avec des valises bourrées de dollars ; direction l'île en forme de palmier de Dubaï. C'est ce que montre également Wikileaks, un phénomène que je vous avais déjà décrit ici-même : " Washington a découvert que, lors d’une visite dans les Émirats, le vice-président afghan, Ahmed Zia Massoud, transportait 52 millions de dollars en liquide, dont " l’origine et la destination » restent inconnues". Le vice président du pays, qui sort plus de 50 millions de dollars du pays ? Sans que personne ne sache ce qu'il peut bien en faire ? Car ce n'est pas un inconnu, cet Ahmed Zia Massoud : c'est bien le jeune frère du commandant Ahmed Shah Massoud, le leader de l’ancienne Alliance du Nord, assassiné le 9 septembre 2001 : j'avais déjà évoqué ici sa vie fastueuse, avant même les révélations de Wikileaks ! il y en a qui vont regretter amèrement leur soutien inconditionnel à la famille Massoud.... le lion du Panshir était peut-être quelqu'un de bien : mais pourquoi donc alors s'être entouré de pareils individus ? Son propre frère "’actuel vice-président de République islamique d’Afghanistan" vit fastueusement sur son île factice de Palm Jumeirah, pendant que son peuple crève de faim ! A la rentrée dernière, la banque centrale afghane ne pouvait plus payer ses fonctionnaires : ses dirigeants avaient été ruinés par des placements à la Madoff : on comprend mieux pourquoi certains sortaient avant par valises complètes les dollars du pays ! "Des responsables afghans et américains affirment que les deux hommes qui ont présidé la banque d'une manière imprudente l'ont laissée en roue libre, distribuant des millions aux amis du président Hamid Karzaï et ont investi de de l'argent dans des investissements risqués qui se sont effondrés" précise le NYT.
Et puis il y a le sordide. Dans l'usage immodéré des mercenaires, des têtes brûlées sans cervelles privées de sexe sur place, les dérives ont été nombreuses. Kaboul n'étant pas Las Vegas, nos gros bras se sont vite trouvés des succédanés aux "pole dancers" du coin. Ici ceux de Kunduz. Des garçons, de jeunes garçons, déguisés en filles, surnommés les "dancing boys", une tradition locale pédophile ou homosexuelle, liée à une tradition séculaire moult fois décrite, et montrée par le détail dans le film de Jamie Doran, visible ici. La culture plutôt étrange des "Bacha bazi", qui nous apparaît ici comme une pratique de prostitution enfantine, et qui là-bas, ne choque hélas personne, ou presque. Un autre film de Najibullah Quraishi montre cette pratique sidérante, ce particularisme culturel choquant dans les civilisations occidentales qui semblent déjà avoir oublié certaines pratiques en Europe au Moyen-Age ou chez les romains et Caligula, par exemple, raconté par Suétone.
Dans les soirées où étaient "invités" les "dancing boys", la drogue était évidemment présente. C'est elle qui fait vivre le pays ! Les mercenaires, comme à leurs habitudes de vantardise, avaient même filmé leurs ébats avec ces tout jeunes garçons : et le hic, c'est que la cassette de leurs soirées de débauche commençait à circuler quelques jours après sous le manteau à Kaboul, au point de sérieusement affoler le ministre de l'intérieur du pays, Hanif Atmar, qui a fait râtisser toute la capitale pour en retrouver des exemplaires : trop compromettant pour tout le monde, américains compris. Voilà donc notre ministre à alerter les militaires US, qui, au lieu de faire des rondes, ont passé des heures à débusquer les sex-tape de mercenaires alcoolisés : combien sont morts explosés sur une IED lors de cette recherche, on ne l'a pas su. Mais depuis des mois les scores augmentent, et statistiquement il doit y en avoir qui ont perdu la vie pour ce motif dérisoire au regard de ce qu'il a plutôt à faire dans le pays ! Et on voudrait qu'on continue à croire un président qui parle de défendre des "valeurs occidentales" alors qu'on crève aussi en Afghanistan pour une cassette sordide de cul égarée dans la nature ? Ç'est marcher sur la tête là ! Un militaire américain résume ainsi la situation : "Pour qui se bat-on vraiment ? Nous risquons nos vies pour les attraper et les amener en prison, et après on les libère ?"
Ce que révèle aussi Wikileaks dans cette sordide affaire, ce sont les pressions exercées par le Pentagone sur un journaliste qui s'apprêtait à dévoiler ce scandale. Finalement, c'est en juillet que le Washington Post parlera à demi-mots de l'affaire parlant d'un soldat qui "aurait invité un jeune garçon à une danse tribale lors d'une cérémonie de départ". C'était ça en effet où des réactions incendiaires des talibans, qui auraient facilement embrasé tout le pays avec la révélation de l'affaire dans le détail. Karzaï le savait bien que c'était de la dynamite, dont il a sû faire usage... auprès des américains : du genre "si on dévoile ça, demain tous vos soldats se feront égorger" en quelque sorte On n'a pas tout su des exactions irakiennes, on ne voit pas pourquoi l'Afghanistan aurait fait exception. A l'époque, ce qu'on ne savait pas, c'est que cette affaire se produisait au même moment ou les autres gros bras sans cervelle de Blackwater se déchaînaient à la mitrailleuse à un carrefour irakien, celui de Nissor. Ce qui tombait plutôt pile pour Karzaï qui pouvait parler de deux poids deux mesures, avec la phrase "où est la vérité ?" prononcée aux américains : c'est vrai, ça, entre libérer les talibans ou se conduire comme des amateurs sans cervelle à la place de soldats professionnels, où est-elle donc, cette vérité ? Les talibans ont été libérés, preuve aussi que les soldats et les mercenaires de Dyncorp étaient bien des demeurés ; et que l'armée américaine l'a implicitement reconnu. Un de ces demeurés vient de faire des aveux en Irak, nous en avons parlé ici-même dans un autre article.
Un Karzaï présenté par Wikileaks comme celui que j'ai pu vous décrire ici : incompétent, laissant grossir la corruption dans des proportions jamais vues dans un pays et homme sans aucune parole, avec lequel on ne peut jamais compter : le dernier qui quitte son bureau (en laissant une enveloppe) est invariablement le gagnant. Les révélations de Wikileaks sur sa personne, il ne peut les avaler " (...) Hamid Karzaï, le président afghan, a mis en doute l'authenticité des documents américains. « Doit-on les croire, ou ne pas les croire... Je serais porté à ne pas les croire », a-t-il déclaré à Kaboul. Plusieurs notes publiées cette semaine sont extrêmement critiques envers le chef de l'État afghan, décrit comme « faible », peu compétent et partie prenante d'un régime extrêmement corrompu". On comprend que ce portrait si peu flatteur ne lui a pas vraiment plu. Mais que diantre fait-on là-bas à protéger pareil individu qui enfonce chaque jour un peu davantage son pays dans la drogue et la corruption ? On possède un président capable de rodomontades pendables vis à vis d'un Laurent Gbagbo mais qui s'associe à ceux qui souhaitent maintenir en place pareil dirigeant vivant manifestement de la corruption ? C'est grotesque ! Quant à faire dans l'ingérence, au nom du bonheur supposé d'un peuple, autant plutôt renverser Karzaï, au lieu de lui dérouler le tapis rouge ! Une semaine avant Noël, c'était le 52eme soldat français qui tombait. Pour défendre la clique de Karzaï ?
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