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Accueil du site > Tribune Libre > « Kerviel de l’humanitaire » et « Breteau de la finance (...)

« Kerviel de l’humanitaire » et « Breteau de la finance »

Un internaute anonyme faisait remarquer sur le blog du philosophe Yves Michaud, que Jérôme Kerviel était un « Breteau de la finance ». Les deux hommes sont les principaux protagonistes de deux grosses affaires qui ont animé notre actualité ces six derniers mois. Leurs domaines de prédilection sont si diamétralement opposés (humanitaire et finance) qu’il semble difficile de rapprocher les deux histoires. Pourtant, on distingue des points communs dans le comportement, la stratégie et le raisonnement des deux hommes.

Le goût du risque, l’inconscience du danger

Jérôme Kerviel et Eric Breteau ont tous les deux pris des risques insensés. Ils ne se sont pas beaucoup préoccupés des conséquences possibles de leurs actes pour leur entourage.

La mégalomanie

Jérôme Kerviel avait le sentiment d’être un « trader d’exception ». Il a pris des positions à hauteur de 50 milliards d’euros, sans contrepartie, alors que le service pour lequel il travaillait, Delta One, avait un plafond d’exposition aux risques fixé à 125 millions d’euros.

Eric Breteau voulait faire évacuer d’urgence 10 000 orphelins du Darfour. Il trouvait que les autres ONG ne faisaient rien au Tchad. Il pensait que sa petite arche de Zoé parviendrait à réveiller l’opinion mondiale sur le drame que vit le Darfour. Et maintenant il veut transformer son association en parti politique.

Le mépris des règles

Les règles et les lois sont utiles pour encadrer le comportement des petites gens. Mais dès lors qu’on a affaire à un être d’exception, elles deviennent nuisibles car elles brident l’expression de son génie. Un individu réellement supérieur a le droit de les contourner.

Cascade de manipulations

Jérôme Kerviel a dissimulé ses activités secrètes durant de longs mois, grâce à des opérations fictives, des mensonges, la production de faux (faux mail, faux récapitulatif de ses opérations, faux fax). Il a manipulé son courtier correspondant en lui faisant croire à l’existence d’un certain « Mat », un trader basé à Londres, afin de légitimer certaines opérations.

Eric Breteau a laissé entendre aux familles d’accueil qu’elles pourraient adopter. Au Tchad, il a convaincu les proches de lui confier des enfants en expliquant qu’il allait les scolariser sur place. Il a caché à ses collaborateurs tchadiens le but final de sa présence dans leur pays. Pour motiver ses compagnons de l’Arche de Zoé, il a prétendu qu’ils avaient le soutien de l’Etat français et que Mme Sarkozy les accueillerait à leur retour en métropole. Il a fait poser des bandages et du mercurochrome sur les enfants pour essayer de tromper la vigilance des autorités tchadiennes. Il a produit de faux documents attestant que les enfants étaient orphelins.

Une fois que le château de cartes s’est effondré...

C’est pas moi, c’est les autres...

Jérôme Kerviel a dénoncé ses collègues qui avaient - selon lui - les mêmes pratiques que lui. Il a imputé les pertes occasionnées par ses positions au débouclage intempestif réalisé par la Société générale (mais les experts semblent s’accorder pour dire que la Société générale n’avait pas vraiment le choix).

Eric Breteau a prétendu avoir été trompé par ses intermédiaires.

Se poser en victime, en « bouc émissaire »

Jérôme Kerviel a déclaré plusieurs fois qu’il ne voulait pas être le « bouc émissaire » de la Société générale. Lorsqu’on l’a placé en détention provisoire, il a dit se sentir «  trahi » par la justice de son pays.

Même son de cloche chez Breteau, qui s’est plaint du lâchage de la France (la rhétorique du bouc émissaire était déjà exploitée par Eric Breteau alors qu’il était président de l’association des propriétaires de 4x4).

Le déni

A propos de JK, Le Monde rapportait ces propos : « Il était par exemple incapable de se souvenir des pertes qu’il avait fait subir à la banque : 2,2 milliards d’euros fin juin 2007. Il ne se rappelait que ses gains, lui qui savait négocier âprement ses bonus. »

Eric Breteau a persisté à parler d’orphelins bien après qu’il ait été établi que la majorité des enfants avaient de la famille.

Prétendre qu’on était couvert par la hiérarchie

Pour Jérôme Kerviel, sa hiérarchie était au courant et « fermait les yeux ».

« Je ne peux croire que ma hiérarchie n’avait pas conscience des montants que j’engageais, il est impossible de générer de tels profits avec de petites positions. »

Pour Eric Breteau, son opération avait reçu l’aval de Bernard Kouchner et Nicolas Sarkozy.

« Tout d’abord, il faut dire qu’on ne peut pas organiser une telle opération sans bénéficier de soutiens politiques haut placés (...) Pour moi, il est donc clair que l’Etat français était parfaitement informé de nos intentions.[1] »

Essayer de susciter la compassion

Un témoin raconte, à propos de Jérôme Kerviel, qu’il savait « attirer la compassion[2] ». Il a gardé son costume de deuil pendant un an. Lorsqu’en décembre 2007, un de ses chefs lui a demandé de prendre ses congés, il a répondu : « Je ne peux pas partir à cette date, c’est l’anniversaire de la mort de mon père ». Un prétexte. Kerviel ne voulait tout simplement pas quitter son poste de travail car il craignait que le pot aux roses ne soit découvert. Son supérieur avait finalement toléré qu’il diffère de quelques semaines ses congés et Kerviel l’avait récompensé d’une petite flatterie : « Merci de ta compréhension ».

Le week-end où il a été découvert, il a donné l’impression aux médecins de la Société générale d’être très mal en point psychologiquement. Quelques jours plus tard, il faisait son apparition devant la presse, en pleine forme apparemment.

Eric Breteau a lui aussi donné l’impression d’être au bord du gouffre, sur le plan psychologique. Il s’était engagé dans une grève de la faim et ses proches ont même craint pour sa vie. Aujourd’hui, une semaine à peine après sa libération, il est en pleine forme, prêt à se battre sur tous les fronts pour défendre ses intérêts, à créer son parti politique. Malgré sa grève de la faim et sa détresse psychologique, il a trouvé les ressources pour écrire un livre pendant sa détention, afin de nous dévoiler « les dessous d’une affaire d’Etat ».

Causer le malheur des proches

Le premier a fait perdre cinq milliards d’euros à la Société générale. Il a fait perdre leur emploi à plusieurs de ses collègues. Il est difficile de mesurer les conséquences de ses actes en termes d’image pour la banque.

A cause du second, ses compagnons ont passé cinq mois en prison. Ils doivent aujourd’hui payer solidairement une amende de 6,3 millions d’euros. Ils ont également causé beaucoup d’angoisse aux familles tchadiennes, et de faux espoirs aux familles d’accueil en France. Certaines se sont vu retirer leur agrément du fait de leur implication dans cette histoire. Les conséquences de ce fiasco pour les ONG sont difficiles à évaluer.

L’absence de remords

Ni Breteau ni Kerviel ne semblent éprouver de culpabilité pour les dommages qu’ils ont causés. Le premier explique même qu’il est prêt à recommencer.

Sûrs de leur bon droit

Eric Breteau a annoncé hier qu’il allait porter plainte contre Rama Yade pour diffamation et atteinte à la présomption d’innocence. Il réaffirme que son opération était parfaitement légale, alors qu’il a été condamné à huit ans de travaux forcés.

La presse s’est fait l’écho, la semaine dernière, du fait que Jérôme Kerviel avait envisagé de traîner son employeur devant les Prud’hommes pour licenciement abusif.

Les univers dans lesquels ont éclaté ces affaires sont aux antipodes, mais les personnalités des principaux acteurs - tous deux manipulateurs - leur donnent un air de famille.

Malgré les similitudes flagrantes, Jérôme Kerviel et Eric Breteau ne s’en tirent pas au même compte aux yeux de l’opinion publique.

Jérôme Kerviel bénéficie de la mansuétude du grand nombre, qui se méfie du monde de la finance. Les femmes se pâment devant son charme. Beaucoup d’internautes se sont félicités de sa libération.

L’attitude d’Eric Breteau, au contraire, suscite l’indignation. Sur le site du figaro.fr, la quasi-totalité des commentaires, suite à la publication de son interview, étaient virulents. Breteau était qualifié de «  démago  », « mégalomane », « menteur  », « fou  », «  manipulateur ». Certains regrettaient qu’on ne l’ait pas laissé moisir au Tchad.



[1] « Une opération parfaitement légale et légitime », Le Figaro, le 8 avril 2008

[2] "Je voulais vous faire la surprise", Le Monde, 5 février 2008


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18 réactions à cet article    


  • tvargentine.com lerma 8 avril 2008 10:15

    En ce qui concerne l’interview serpillére de Eric Breteau par PPDA au journal de 20h00 c’est vraiment un contre modèle de journalisme 

    Comment a t-il pu invité un criminel et lui donner ainsi une tribune !

    Un vrai scandale 

     


    • Vincent 8 avril 2008 10:51

      Lerma,

      pourquoi vous persistez à regarder TF1,

      ce n’est pas comme ça que vous augmenterez votre objectivité.


    • kelticlago kelticlago 8 avril 2008 10:29

      Kerviel s’est attaqué au méchant : la banque, ceux qui s’en mettent plein les poches et qui mettent des agios. Penser que la majorité de ceux qui écoutent les aventures de JK à la radio sont des gens auxquels on prend de l’argent quand ils n’en ont pas (voir Coluche !), d’où la sympathie pour ce qu’on prend pour une robinnade des bois, à tort d’ailleurs.

      Breteau a tapé dans le "dégueulasse", une sorte de matuvu du 4x4 qui truque de l’humanitaire. Normal qu’il n’attire pas la sympathie !

      Ce qui me choque surtout dans les nouvelles de ces temps derniers c’est la grâce pour l’arche de Zoé. Il n’y a donc pas eu d’opération "mains sales" au Tchad ; il n’a jamais existé d’enfants non orphelins enlevés, par des moyens divers, à leur famille ; il n’y a donc pas eu tromperie des candidats à l’adoption.... ?


      • Vincent 8 avril 2008 10:55

        La grâce est probablement la conséquence l’aide militaire française face aux rebelles tchadiens.

         


      • Norbert Balcon 8 avril 2008 15:06

        Oui, je suis d’accord avec les raisons que vous avancez pour expliquer la différence de traitement de l’opinion publique.

        Je crois que c’est le Wall Street Journal qui se moquait de l’indulgence des Français pour leur "rogue trader". Ils avaient demandé l’avis d’un expert : Christophe Rocancourt. Les Américains s’étaient agacés qu’il soit accueilli comme une sorte de héros en France alors qu’il a escroqué des dizaines de personnes aux USA (il a été invité dans des talk shows).

        Je cite de mémoire Rocancourt : "Les gens aiment bien quand les riches se font détrousser" (Rocancourt détroussait ceux qui avaient de l’argent, et plutôt les riches parce que c’est eux qui en ont le plus. Mais il a aussi dépouillé des personnes qui galéraient).

        Rocancourt minimisait cependant les exploits de Kerviel, qui ne mérite pas selon lui d’entrer au panthéon des escrocs parce qu’il n’est apparemment pas parvenu à s’en mettre plein les poches. Toutes ces manipulations pour rien, regrettait-il, ajoutant : "It doesn’t take a genius to lose money". (Il n’y a pas besoin d’être un génie pour perdre de l’argent).

         

         

         


      • Lapa Lapa 8 avril 2008 16:15

        @Keltiaclgo : grâcier n’est pas innocenter. Dans tous les cas et jusqu’à rejugement éventuel, les protagonistes restent coupables des faits reprochés.

         

        cdlt,


      • Algunet 8 avril 2008 10:47

        Excellent parallèle,

        J’ajoute que je suis surpris par le comportement des médias à leur endroit. Un exemple hier sur canal, les journalistes ont laissé Breteau « bavasser » ses explications (sous le couvert de son avocat !) sans apporter la moindre contestation eux si prompts à mettre le monde politique devant ses contradictions. Incompétence ou bienveillance ?


        • Norbert Balcon 8 avril 2008 19:18

          Je viens d’écouter ces deux interviews, sur France Info et à Canal+. C’est vrai que Mr Breteau fait un peu ce qu’il veut. Il parvient assez facilement à éluder les questions gênantes (par exemple, sur France Info, lorsqu’on lui fait remarquer qu’il y a des images montrant le maquillage des enfants).

          Je pense qu’Eric Breteau est exceptionnellement doué à l’oral. C’est un bon client, pour un talk show. Les journalistes se sont peut-être un peu laissé endormir parce qu’il ne s’attendaient pas à ça. Lorsqu’ils ont affaire à un homme politique, ils essaient toujours de l’asticoter un minimum parce qu’ils savent qu’on les attend là dessus. Mais lorsque c’est un représentant de la société civile, une personne qui n’est pas habituée aux plateaux télé, je crois qu’ils cherchent surtout à mettre à l’aise l’invité. Ils ne sont pas là pour le déstabiliser.

          Mais cette attitude ne convenait pas avec une personne comme M. Breteau.

          On a l’impression qu’il a fait ça toute sa vie. Il n’était pas intimidé. Il était aussi à l’aise qu’un politicien chevronné qui viendrait servir sa soupe. Au fond, les journalistes se sont un peu laissé manipuler eux aussi.

          Cette assurance inébranlable, cette capacité à pouvoir donner une réponse à tout... On comprend mieux ce qui fait le charisme de ce type, pourquoi il réussit si facilement à entrainer des "fidèles" et à manipuler.

          Le bagout, l’aisance à l’oral, sont un des principaux traits qui forment le noyau des personnalités psychopathiques, selon Robert Hare. J’avais publié un article là dessus :

          Cldt


        • MagicBuster 8 avril 2008 11:51

          Et si le gouvernement avait été au courant ?

          Et si c’était un piège ?

          Breteau/Kierviel sont soit super forts , soit super innocents ?


          • Bernard Dugué Bernard Dugué 8 avril 2008 11:59

            Très intéressant billet dont le thème s’insère dans une tendance forte, celle de quelques individus pratiquant le culte de la personnalité et qui ne peuvent croire s’être trompé. Un phénomène quasi religieux. Il manque une troisième personne, qui croit avoir gagné les présidentielles avec 47 pour cents des voix, je vous laisse deviner de qui il s’agit


            • barba_papa barba_papa 8 avril 2008 15:09

              Excellente analyse....

              Quand on a vu le sieur Breteau completement inconscient de la portée de ses actes et de ses discours plastronner avec aplomb hier soir sur TF1, on est stupefait que celui ci ne soit pas remis immediatement en détention provisoire par le juge chargé d’instruire les plaintes des familles francaise dont on peut craindre qu’elles subissent des pressions psychologiques inadmissibles


              • Battement d’elle 8 avril 2008 21:18

                @ l’auteur

                Certes ces deux personnages ont un point commun... mais vous vous fourvoyez complètement en ce qui concerne ce point commun !

                Disons plutôt qu’ils sont....l’arbre qui cache la forêt !


                • pragma 8 avril 2008 21:20

                  Le parallèle est saisissant...

                  De sales gosses que l’on a laissé faire...et qui mériteraient une torgnole !

                  Mais la bien-pensance courageuse de nos élites va probablement les absoudre d’ici peu...

                   


                  • Yannick Harrel Yannick Harrel 9 avril 2008 06:03

                    Bonjour,

                    De prime abord, je dois vous avouer que je n’aurais pas pensé rapprocher côte à côte ces deux personnalités marquantes de l’actualité au sein d’un même article. Mais là je vous tire tout de même mon chapeau pour l’avoir fait de si belle et opportune manière.

                    Seul bémol toutefois, il me semble que Jérome Kerviel reste un peu le lampiste à qui l’on tente de faire porter tout le poids d’errements et de déficiences successifs. Les responsables de cette institution bancaire sont, eux, encore en place : ce qui est un comble pour un tel scandale ! Deux poids deux mesures devant les responsabilités et ses conséquences selon que l’on se trouve au sommet de la pyramide ou à un niveau inférieur...

                    Cordialement


                    • alceste 9 avril 2008 12:04

                      bonjour Yannick Harrel,

                      Tout comme vous, j’ai trouvé surprenant, mais très intéressant le rapprochement entre ces deux personnes ; cependant, j’aurais tendance à penser que M. Breteau est aussi, dans une certaine mesure, la "victime" d’une dérive de l’humanitaire : l’analyse de Rony Brauman dans "Causeur" montre bien comment on peut se sentir "moralement" autorisé à des actions du type "Arche de Zoé" 

                      http://www.causeur.fr/rony-brauman


                    • Yannick Harrel Yannick Harrel 9 avril 2008 15:02

                      Bonjour Alceste,

                      Effectivement vu ainsi on peut aussi considérer Breteau comme une victime. J’ajouterais même que le docteur Kouchner porte une certaine part de responsabilité dans ce mélodrame, n’est-ce pas lui en effet qui a voulu démocratiser la doctrine de l’ingérence humanitaire ? Principe au nom duquel le président de l’Arche de Zoé et tous ses compagnons ont fondé leur action. Comme quoi les bons sentiments font rarement une bonne politique étrangère...

                      Cordialement


                    • Yannick Harrel Yannick Harrel 9 avril 2008 15:16

                      Zut ! Je voulais écrire une bonne politique humanitaire, mais finalement politique étrangère n’est pas faux non plus quand on y réfléchit attentivement...


                    • alceste 9 avril 2008 19:25

                      le lapsus calami " politique étrangère" tombe très bien !

                      Et, sans vouloir nier les responsabilités individuelles de M. Kerviel et de M.Breteau, on pourrait dire que nous sommes presque tous les proies plus ou moins consentantes d’une énorme usine à rêves, où l’on se raconte "l’histoire dont vous êtes le héros"...

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