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L’absence de définition de la monnaie

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Imagine-t-on se contenter de définir un train et une voiture par leurs mêmes trois utilités de moyen de transport, de protecteur des intempéries et de montreur de paysages ? C’est pourtant ce que l’on fait avec la monnaie en ne la définissant que comme moyen d’échange, unité de compte et réserve de valeur. Demandez ce qu’est la monnaie et la réponse commencera toujours par « La monnaie sert à… ». Si vous insistez on vous répondra que la monnaie est une marchandise ou un symbole ou encore une institution sans jamais évidemment vous préciser lesquels. ChatGPT prétend même que c’est les trois. Pierre Gueneau dans son livre Macroéconomie écrit : « Monsieur Reinesch, le président de la Banque centrale du Luxembourg, un très grand expert en économie dont la culture est impressionnante, m’a confié un jour qu’ayant reçu un prix Nobel d’économie, celui-ci lui avait avoué humblement qu’il ne savait pas ce qu’était la monnaie  ».

Ce vide intellectuel sidéral ne peut s’expliquer que par un autre vide tout aussi sidéral sur l’origine de la monnaie, présentée à l’université comme ayant remplacé le troc alors qu’aucun ethnologue ni aucun archéologue n’a jamais trouvé trace d’une seule économie de troc dans une société où les membres se connaissent. La question première est donc de s’interroger sur ce qu’était l’organisation sociale avant l’arrivée de la monnaie puisque ce n’était pas le troc.

Tout groupe d’êtres humains a au départ une raison d’être et organise dans ce but les apports de chacun et rend complémentaires les différentes énergies individuelles. Cette organisation a été improprement appelée troc en suggérant une simultanéité du don et de sa contrepartie alors que cette simultanéité n’a jamais été habituelle. Le don et sa contrepartie, sa contrevaleur, existent dès la création du groupe, même animal, (couple, famille, association ou tribu) mais ils ne sont quasiment jamais simultanés et en tous cas jamais chiffrés. L’anthropologue et professeur au Collège de France Marcel Mauss a parfaitement expliqué que le don entraînait ce qu’il appelait le contre-don et que le «  donner-recevoir-rendre » était au service du lien social et qu’il le nourrissait. Mauss a développé que le don et le contre-don était ce qu’il a appelé un « fait social total » à dimensions culturelle, économique, religieuse, symbolique et juridique et qu’il ne pouvait être réduit à l’une ou à l’autre de ses dimensions. Ce fait social total, complétement méconnu quand on s’égare dans le troc, est l’échange organisé d’énergie entre tous les membres d’un même groupe humain.

Mais quand la taille du groupe devient importante et quand ce groupe n’est plus une communauté, la détection des profiteurs et des tire-au-flanc devient difficile et rend obligatoire la simultanéité de la contrepartie. L’origine de la monnaie est donc, de mon point de vue, très probablement cette invention rendue nécessaire de la contrepartie simultanée. Mais si la monnaie remplace le don et le contre-don et non le troc, et si nous suivons Mauss, la monnaie est donc à la fois culturelle, économique, sociale, religieuse, symbolique et juridique et elle ne peut être réduite à l’une ou à l’autre de ses dimensions. Elle est un fait social total. A ma connaissance, le seul autre concept qui soit à la fois culturel, économique, social, religieux, symbolique et juridique, est l’homme. Et si la monnaie a été réellement créée pour être une contrepartie simultanée de valeur reconnue, il est raisonnable de penser que sa valeur reconnue lui vient de l’énergie humaine qu’il a fallu dépenser pour l’obtenir. Elle serait donc le véhicule culturel, économique, social, religieux, symbolique et juridique d’une énergie humaine culturelle, économique, sociale, religieuse, symbolique et juridique. La monnaie serait donc aussi au service du lien social qu’elle nourrirait.

La hargne agressive avec laquelle ceux que cela dérange réagissent, montre bien que l’on touche là à quelque chose de profond, d’essentiel et malheureusement très peu étudié.

Par sa facilité d’usage la monnaie est devenue le regard que le groupe utilise pour distinguer les richesses dans l’immensité des productions, par l’échange qui en est fait contre de la monnaie. C’est parce qu’une production trouve acheteur qu’elle est reconnue comme richesse et non comme embarras ou déchet comme d’autres productions comme les fèces, l’urine ou la sueur. Toutes les fonctions de la monnaie décrites depuis l’antiquité, réserve de valeur, unité de compte et intermédiaire des échanges, découlent toutes de ce que la monnaie est l’étalon culturel de la richesse, elle-même étant un condensé de ce que le groupe juge beau et bon. La monnaie est l’énergie du groupe quand le travail est l’énergie individuelle. La monnaie est reconnaissance par le groupe de l’utilité du travail individuel qui l’a générée. Toutes les querelles autour de la monnaie viennent de la difficulté à marier la notion qualitative de richesse qui est un regard fondateur du lien social, avec la notion quantitative d’étalonnage. Mélanger l’arithmétique et la culture n’est pas chose simple. Beaucoup d’incompréhensions viennent de simplifications excessives et souvent contradictoires.

L’incompréhension du pourquoi de l’efficacité de la monnaie est quasi générale chez les intellectuels, incompréhension que le peuple n’a pas car il y voit une richesse que les intellectuels savent ne pas être toujours vraie. En effet fut un temps où les banques centrales détenaient l’or à leur actif qui justifiait les billets mis à disposition à leur passif et où les banques commerciales ne faisaient que du commerce d’argent sans le créer. Ce temps est complètement révolu.

Les banques centrales ont de moins en moins d’or à leur actif et mélangent pour le tout-venant les avoirs en or et les créances en or, les uns bien réels, les autres uniquement potentielles. Fin 2022 la BCE n’avait à son actif que 593 milliards d’euros en or réel ou potentiel, sur un actif total de 7.951 milliards. Tout le reste est composé de créances sur des États et des institutions financières qui ne savent payer qu’en ponctionnant les peuples. Ces créances qui ne seront réelles que si les peuples les paient, ont été partout gonflées par le « quantitative easing », rachat de créances plus ou moins douteuses pour pouvoir émettre des liquidités.

Quant aux banques commerciales, elles créent dorénavant l’argent qu’elles prêtent en ne le détruisant qu’après récupération avec intérêts. Les Bâle 1,2,3,4 s’égrènent dans des compromis entre ceux qui veulent limiter ce processus créateur de fausse monnaie, et les banques qui veillent chaque fois à ce qu’il reste de grands trous.

Si l’on accepte d’ouvrir les yeux, on prend conscience que tout naturellement les élites ont fabriqué une fausse monnaie qui sert aux mêmes usages que la vraie monnaie et qui n’est justifiée par les banques que par le fait qu’elle est éphémère. Mais personne ne voit les dégâts commis par cette fausse monnaie pendant son existence, les deux étant mélangées et le peuple les croyant bonnes toutes les deux. Les deux sont moyen d’échanges et unité de compte mais la fausse monnaie n’est pas réserve de valeur contrairement à la vraie. Elle ne fait que baisser subrepticement la valeur de la vraie.

S’il était reconnu que la monnaie n’est qu’un véhicule d’énergie humaine, le peuple pourrait prendre conscience que depuis la deuxième guerre mondiale en occident, seuls les peuples continuent à payer avec de l’énergie humaine déjà bien dépensée pour obtenir la monnaie qu’ils utilisent. Toute une élite autoproclamée dépense un argent créé arbitrairement par leur banque et qui ne puisera sa force que dans une énergie humaine qu’il faudra trouver demain sans contrepartie, n’importe où et par n’importe quel moyen. Et n’oublions jamais que cette fausse monnaie éphémère est comme la vraie, culturelle, économique, sociale, religieuse, symbolique et juridique alors qu’elle en est l’inverse sur quasiment tous les plans. Que le bien et le mal se retrouvent ensemble, au même moment, au même endroit et sous la même forme, n’est pas une nouveauté. Les deux se prétendent au service du lien social qu’ils affirment nourrir. Tous les problèmes actuels trouvent en fait leur source première dans ce dilemme intellectuel. En prendre conscience serait un premier pas salutaire.

Comprendre la géostratégie occidentale actuelle passe par la compréhension de la définition cachée de la monnaie et de l’impossibilité qu’il y a à distinguer la bonne monnaie de la fausse monnaie éphémère. Les classes politiques occidentales, pour réussir à baisser nécessairement le niveau de vie moyen de leurs peuples, ont le choix entre reconnaître qu’elles ont, pour les flatter, égaré elles-mêmes leurs peuples dans des impasses , ou déclencher des guerres qui baisseront naturellement le niveau de vie des peuples sans qu’elles en apparaissent responsables.


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8 réactions à cet article    


  • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 23 janvier 11:07

    ’’Imagine-t-on se contenter de définir un train et une voiture par leurs mêmes trois utilités de moyen de transport, de protecteur des intempéries et de montreur de paysages ?’’

    >

    Un animal n’a que faire des définitions de ce qui l’entoure, et il s’en tire très bien.

     

    Ce n’est pas la définition qui fait la chose mais la chose qui fait la définition. Et cette définition est le résultat de notre compréhension, de nos besoins, lesquels sont en adéquation avec nos intentions. Pour recentrer sur la monnaie, les intentions des banquiers ne sont pas les mêmes que celles de leurs clients.

     

    Vous parlez de fausse monnaie c’est comme l’on parle d’une fausse clé : les deux ouvrent les mêmes serrures. Et ça ne fait pas avancer le chimilibilic.

     

    Cordialement


    • Marc Dugois Marc Dugois 23 janvier 11:19

      @Francis, agnotologue

      J’ai eu beau lire plusieurs fois, je n’ai toujours pas compris le sens de votre commentaire, pas plus que du chmilblic dont vous parlez.

      Une définition sert, entre humains, à être au moins d’accord sur ce dont on parle. Ce n’est actuellement pas kle cas de la monnaie et, si cela ne vous dérange pas, tant mieux pour vous.


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 23 janvier 11:44

      @Marc Dugois
       
       ’’J’ai eu beau lire plusieurs fois, je n’ai toujours pas compris le sens de votre commentaire, pas plus que du chmilblic dont vous parlez.’’
      — >
       Je vais faire plus simple : « La carte n’est pas le territoire. »
       
      Chacun peut voir en quoi que ce soit ce qu’il veut, des consensus divers peuvent émerger : ce qui s’ensuivra sera une question de rapports de forces.

       
      Il y a raison et raison : la raison de ceux qui raisonnent, et la raison de ceux qui déraisonnent. Cette raison est comme le pouvoir, qui échoit toujours à celui qui le veut le plus.
       
       cf. La monnaie entre confiance et violence
       « Pourquoi l’euro a-t-il suscité l’engouement des Français ? Pourquoi la parité du peso et du dollar a-t-elle déchaîné la violence des Argentins ? À ces questions, l’économie traditionnelle est en mal de réponses. Peut-être parce que la monnaie n’est pas uniquement un phénomène économique... Michel Aglietta et André Orléan montrent comment elle constitue la clé de voûte des sociétés humaines, comment elle les fait passer tour à tour de la violence mimétique à la confiance institutionnelle ; et comment son histoire, depuis les temps les plus reculés, est celle de la dissolution et de la constitution du lien social. Bref, qu’est-ce que la monnaie ? Pour Michel Aglietta et André Orléan, ce n’est pas un phénomène économique ; c’est beaucoup plus que cela, c’est, selon l’expression de Marcel Mauss, un fait social total. »


    • Marc Dugois Marc Dugois 23 janvier 12:41

      @Francis, agnotologue

      C’est intéresant de recopier la 4e de couverture d’un livre . 


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 23 janvier 18:00

      @Marc Dugois
       
       ’’C’est intéresant de recopier la 4e de couverture d’un livre . ’’

       >

       Mais en l’occurrence, c’est autrement plus instructif de lire le livre. Vous devriez essayer.


    • Marc Dugois Marc Dugois 23 janvier 19:10

      @Francis, agnotologue
       
      J’ai malheureeusement fait plus qu’essayer et ces deux polytechniciens qui pantouflent à l’INSEE ne m’ont apparus ni instructifs ni novateurs.


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 24 janvier 10:15

      @Marc Dugois
       
      ’’J’ai malheureeusement fait plus qu’essayer et ces deux polytechniciens qui pantouflent à l’INSEE ne m’ont apparus ni instructifs ni novateurs.’’
      >
       Malheureusement ? Pourquoi donc cet adverbe ?
       
       La compréhension est une adéquation à nos intentions. Peut-être pourriez vous essayer encore, après avoir revu vos intentions à la baisse ?
       
      Je dis ça, je dis rien, c’est vous qui voyez.
       


    • perlseb 23 janvier 12:13

      Pour comprendre les choses, il faut penser hors du bocal. Comme tout le monde, vous êtes persuadé que la monnaie est indispensable, est un progrès car vous avez été éduqué avec.

      Mais vous dites quelque chose de très intéressant. Dans les petites communautés (avant l’invention de la monnaie), il était facile de détecter les tire-au-flanc. La monnaie n’a pas été créée pour limiter leur existence, elle a été créée par ces tire-au-flanc. On aurait pu ne rien inventer et juger les biens par le nombre d’heures de travail qu’ils ont coûté. Mais il est bien plus avantageux d’une part de créer une monnaie à partir du vent (et de prétendre qu’elle vaut des heures de travail) et d’autre part d’essayer de conserver au maximum le secret réel du coût (en heures) des biens que vous produisez (ou simplement échangez) pour arnaquer au maximum le client (marchandage, souk arabe, déplacement de biens selon leur rareté et arnaque des 2 parties).

      Donc l’argent n’a pas permis d’éviter l’absence de contre-partie dans les échanges, il l’a instituée, aidé par des règles de propriété privée abusives. Maintenant, ceux qui ont l’argent ne font rien, décident de tout et se font encore plus d’argent sur le travail et les échanges des autres, comme avant chaque grave crise que ce système basé sur le vol ne peut que générer.

      On recommence toujours la même partie de Monopoly et à la fin du jeu, le gagnant, qui n’a pas conscience de ses excès, est pendu (à moins que l’IA permette au gagnant de la partie de se débarrasser des autres, devenus inutiles...). Après la pendaison du gagnant, on recommence une nouvelle partie, avec les mêmes règles, pensant obtenir un résultat différent (seul le redémarrage de la partie donne l’illusion d’une nouvelle justice, mais avec le temps, ...).

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